Foreign Affairs

Des faiseurs de justice du génocide des Tutsi à la médiathèque Falala

By October 2, 2015 No Comments

By Floriane Graignic

« Alain connaît leur histoire par cœur, lui aussi est hanté par les images du carnage. Parfois il se réveille la nuit et il y repense. Un jour il l’a retrouvé : le responsable, l’homme qui avait ordonné à tous ces gens de se rassembler ici “pour leur sécurité”, et qui a ensuite envoyé l’armée et les miliciens pour les tuer. Il l’a retrouvé bien des années après le génocide, dans une jolie ville du sud-ouest de la France. L’homme y avait refait sa vie, travaillant pour le diocèse. Il était très apprécié.»

C’est par ces quelques lignes extraites d’un roman de Maria Malagardis que commence la conférence : le décor est planté. Alain, c’est l’homme qui se trouve en face de moi. Avec sa femme Dafroza, d’origine rwandaise, elle aussi présente ce soir-là, il traque sans relâche les responsables du génocide des Tutsi. À ce jour, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, qu’ils ont créé, a déposé une trentaine de plaintes devant les tribunaux français. S’ils sont à Reims ce jeudi 24 septembre, c’est pour nous raconter leur combat contre la banalisation du génocide et pour la sensibilisation des jeunes. Une étape indispensable pour s’assurer que les générations futures continueront à transmettre l’histoire du dernier génocide du XXe siècle.

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Mais d’abord, un petit rappel historique s’impose. Le Rwanda est un petit pays d’Afrique de l’Est, grand comme la Champagne-Ardenne et occupé par 7 à 8 millions d’habitants en 1994. Deux groupes sociaux cohabitent à l’intérieur de ce pays : les Tutsi et les Hutu. Ce sont les puissances coloniales (d’abord l’Empire allemand, puis la Belgique à partir de 1918) qui ont contribué à faire de ces groupes sociaux des ethnies, en imposant notamment que les cartes d’identités portent la mention “Tutsi” ou “Hutu” : en réalité, Tutsi et Hutu ne désignaient à l’origine ni plus ni moins que deux classes sociales distinctes. Au fil du XXe siècle s’est développée une politique d’épuration ethnique contre les Tutsi, se traduisant par des massacres comme lors de la “Toussaint rwandaise” en 1959, où 20 000 Tutsi furent mis à mort. Le génocide (qui est un massacre de masse répondant à une volonté d’exterminer tout ou une partie d’une population pour une de ses caractéristiques, qu’elle soit d’ordre ethnique, racial, sexuel, etc) semble avoir été préparé très tôt par l’Etat. Celui-ci  non seulement fournissait des machettes et des outils à la population mais la formait aussi et repérait les endroits où les massacres de masses pourraient avoir lieu. Si bien que lorsque, le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu, tout est prêt pour le bain de sang : du 7 avril au 4 juillet 1994, plus d’un million de personnes, essentiellement Tutsi, sont exterminées. Dans la plupart des cas, les bourreaux étaient des voisins, des connaissances, ce qui vaut parfois au génocide le surnom de “génocide de proximité”.

Malgré l’existence de preuves irréfutables, le génocide des Tutsi par les Hutu a tendance à être banalisé. D’abord à cause du refus des responsables français de l’époque de reconnaître la moindre responsabilité dans les événements qui se sont déroulés au Rwanda, alors même que des responsables rwandais étaient accueillis en France au moment des massacres. L’idée très répandue d’un double génocide, selon laquelle les Hutu auraient eux aussi été massacrés, contribue aussi à la minimisation du génocide des Tutsi dans l’imaginaire collectif. Sans compter qu’une portion très faible de la population connaît réellement l’ampleur de la tragédie, et que les médias participent de la minimisation des événements. Canal + a par exemple diffusé un sketch le 20 décembre 2013 dans lequel, entre autres blagues douteuses à propos du génocide, l’un des personnages lançait “On te dit génocide, génocide ; moi, je trouve qu’il y en a encore un paquet en pleine forme !”. D’où l’importance d’informer et de transmettre, sans cesse, l’histoire du génocide. Parce qu’il est inconnu, banalisé, et même nié.

Refuser la négation du génocide passe aussi par le combat de justiciers que mènent Alain et Dafroza. Bien que le Rwanda ait réussi à juger une partie des coupables grâce aux tribunaux Gacaca, tribunaux coutumiers passant par la discussion pour régler des différends entre voisins, Dafroza et Alain cherchent à poursuivre les coupables qui ont réussi à s’enfuir du Rwanda après le génocide (en particulier grâce à une intervention militaire française à la frontière congolaise, officiellement visant à créer une zone humanitaire sûre…)  et se réfugier au Congo, où ils participent à la déstabilisation de la région, ou bien même en France. Parmi les succès du collectif, la condamnation de Pascal Simbikangwa à 25 ans de prison pour génocide lors du premier procès d’assises contre un présumé génocidaire en France. Le prochain procès devrait concerner deux anciens maires de l’est du Rwanda et se tenir à Paris du 10 mai au 1er juillet 2016. Au total, une trentaine de dossiers sont en cours d’instruction par la justice française.

Notre devoir est le suivant : nous informer et transmettre l’histoire du génocide des Tutsi afin que plus jamais personne ne puisse le nier, et que les coupables soient jugés. Et cela pour une raison toute simple : des trois génocides du XXe siècle, celui des Tutsi est le plus méconnu.

Cette conférence fait partie d’une série d’événements organisés par la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) autour du thème “Du rejet au respect de la différence : Comment accompager le public jeune dans sa construction du rapport à l’Autre aujourd’hui ?” Pour plus d’informations concernant la programmation, n’hésitez pas à consulter leur site internet : http://licrareims.wix.com/licra-reims

Pour plus d’informations sur le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda et leur action : http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr

[1] Malagardis, M. (2012). Sur la piste des tueurs rwandais. Flammarion.

Crédit fond de carte : Lemarchand, J. http://johan.lemarchand.free.fr/cartes/Afrique1.html

Modifications : Floriane Graignic

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