By Héloïse Gastinne
Picture courtesy of http://www.banc-moussu.com/2013/11/un-samedi-comme-un-autre-dans-le-marais.%C3%A0-paris.html
« Où avez-vous trouvé ce joli sac », se décide Sarah. C’est comme ça qu’elle va « accrocher sa cliente ». Dans cette boutique de vêtements de la marque Les Petites située rue des Francs-Bourgeois, il entre environ quatre clientes toutes les heures. 90% d’entre elles n’ont besoin de rien. Mais de cela, ces vendeuses professionnelles se soucient peu. A leur niveau, elles n’attendent pas les opportunités de vente ; elles en sont les principales instigatrices.
« Accrocher » la cliente dans ce luxueux magasin de prêt-à-porter français constitue une technique à part entière qui n’a rien à voir avec l’accueil que réserve un H&M ou un Zara. La cliente qui entre rue des Francs-Bourgeois ne sortira pas sans qu’au moins une vendeuse ne lui ait adressé la parole. En quelques secondes, elle se verra interpelée par une des vendeuses, d’une manière amicale et apparemment naturelle. « En voilà un beau bébé », dit-on à celle qui entre avec un enfant. « Qu’avez-vous trouvé de beau chez Uniqlo ? », demande-t-on à celle qui arrive chargée de ses précédentes courses. Des phrases banales dont l’intonation et la légèreté sont soigneusement pesées.
La vendeuse et la cliente ne se sont jamais rencontrées. Il est probable qu’elles ne se reverront jamais. Mais la mouche est rentrée dans la pièce et la vendeuse sait qu’elle ne dispose que de quelques secondes pour établir un lien avec elle. C’est assez pour que l’araignée tisse sa toile. Le regard de la cliente s’arrête sur le chemisier de la vendeuse dont l’imprimé lui plaît. Elle ne saura jamais que les vendeuses portent les vêtements mêmes du magasin et qu’ils ne seront même pas lavés avant d’être remis en vente. Une minute plus tard, elle est en cabine, avec la taille qui lui convient. Sarah referme le rideau derrière elle avec un petit soupir de soulagement : le plus dur est fait. La mouche est prise dans la toile. D’un pas tranquille, la vendeuse s’en va chercher un jean flare et une paire d’escarpins. La cliente n’a rien demandé, mais c’est « pour essayer avec le chemisier ». Sa main experte les glisse à l’intérieur de la cabine et trouve où les accrocher sans avoir besoin de violer l’intimité de sa cliente, avec qui elle continue de parler à travers le rideau pour « maintenir le lien ». Lorsque celle-ci sortira pour s’observer dans les miroirs situés stratégiquement hors des cabines, Sarah la cueillera comme un fruit mûr. D’autorité, elle lui passera sur les épaules un perfecto en cuir d’agneau à 365 euros.
Quand la cliente a passé le pas du magasin, Sarah a jaugé d’un coup d’œil sa morphologie, son look et sa couleur de cheveux. Le jean flare compensera les hanches un peu larges de sa cliente. Un gilet en cachemire long éclipsera ses formes et la cliente aimera cela. Quand elle sortira de la boutique chargée de ses quatre achats, Laurence se demandera mollement comment ces magasins où il entre si peu de monde peuvent survivre à l’économie actuelle. Elle a déjà oublié qu’en entrant, elle n’avait besoin de rien. En quelques minutes dans cette boutique, Sarah a fait bien plus que vendre des vêtements à sa cliente. Elle a créé de toute pièce dans son esprit un désir à 1200 euros.
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