By Laetitia Laali
Chère démocratie,
Excuse-moi du temps que j’ai mis à te répondre. J’ai l’impression de te voir partout ces jours-ci, et pourtant tu me manques énormément; je ne savais pas trop comment mettre ça en mots, alors je m’éloignais de mon nécessaire à missives.
Je repense à toi, dans mes plus distants souvenirs, je devais avoir onze ans et on parlait de toi, souvent, pour la première fois. On parlait de toi au présent ou à l’accompli, on parlait de toi sans temps parce que tu étais le temps, tu étais 2000 ans, sentant notre véhémence tu devais rougir, sentiments entrelacés entre les pages glacées de mon manuel estampillé 6ème B.
Dans mes souvenirs tu es comme un halo, une chaleur, on parlait de toi comme d’une muse, vraiment ; s’il te plaît, ne détourne pas le regard du papier. Tu es tellement belle, regarde, sous tes acropoles et tes colonnes immaculées, toutes nos aspirations semblent rythmées sur tes aspérités.
Pourtant, ma chère démocratie, je sais, tu as l’impression qu’on ne sait plus qui tu es.
On te souhaite partout mais on te trahie constamment. On te dit effondrée, un petit peu partout, en Turquie, à ce jour l’exemple le plus récent, aussi aux Etats-Unis, et on dit que le Brexit, finalement, c’était sûrement ta faute. On te dit caduque, obsolète, dépassée, surannée. On dit que quand on essaye de te sublimer ça ne marche jamais. Participative on aimerait te voir, mais c’est en tournant 49.3 fois sa langue dans ta bouche qu’on réussit à étouffer ta voix. Il arrive ici bas que l’on se traque, se suive, s’épie; et alors, comment pourrais-tu opérer ? Il arrive que l’on s’influence, que l’on se manipule, que sans carte de presse on se presse à s’oppresser mutuellement, à coup de courrier non-recommandé remis à la post-vérité ; et alors, comment pourrais-tu procéder ?
On dit que c’est un tournant du siècle ou on dit que ça va passer. On te dit meurtrière ou qu’il faut te repenser. Moi je repense à ta lumière mais au fond je ne sais plus que penser. Ce soir, je t’envoie cette dépêche, à bout de souffle, j’écris par terre. J’aimerais te revoir. Si en ce dimanche d’avril le dêmos aura bien le kratein, j’aimerais qu’avant de clamer A voter ! tu tires au sort dans tes souvenirs le citoyen qui aura de nos convictions élu domicile.
De mon côté, c’est peut-être alors en cherchant à qui donner ma voix, que je retrouverai la tienne.
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