Opinion

Letters to… French Politics: Langue Française

By Sarah Tosca Levy

Chère Langue Française,

Certes, c’est ironique de t’écrire une lettre. En français.  Mais c’est qu’on te bouscule un peu, ces jours-ci. On te dit vieille, intouchable, élitiste, trop compliquée- en témoignent les nombreuses heures de French As Foreign Language imposées aux étudiants anglophones du campus de Sciences Po au long de leurs semaines.  On te dit syncrétique, souillée, envahie par les anglicismes – mais c’est le week-end, et entre mon jogging et mes essays à rendre, je n’ai pas vraiment le time de m’y attarder. Tu poses problème.

Réglons d’abord nos affaires personnelles, toutes les deux. Oui, il faut qu’on s’explique. Issue d’un couple hispano-américain, mais éduquée en France, je me suis très vite pliée à tes règles. Dictées, COD, COI et conjugaisons égrenées en CM2B, restent pour moi des souvenirs rébarbatifs mais certainement pas traumatisants. Traumatisante, tu l’as été pour ma mère, espagnole. Elle ne t’a jamais vraiment maîtrisée –accent trop fort, trop chantant ; grammaire maladroite, écriture approximative, trente ans de résidence en France n’y change vraiment trop rien. Elle s’entraînait à dire « chouquette » dans la queue de la boulangerie pour bien se faire comprendre en passant à la caisse ; elle s’entraînait à dire « joyeuses fêtes », cette formule qu’on se doit de rabâcher toutes les fins de Décembre, chaque année. Elle s’entraînait pour les autres. Pour les autres Français qui lui lançaient des regards ou bien exaspérés, ou bien surpris, ou bien méprisants, quand ils l’entendaient parler français. Qui pensaient bien faire en la corrigeant systématiquement : « Bah oui, faut bien qu’elle s’intègre. »

Tu l’auras bien compris, ce n’est pas directement contre toi que j’écris cette lettre. On a fait de toi un symbole beaucoup trop stigmatisant. Un facteur d’intégration, mais paradoxalement –et sans que cela soit si surprenant, un facteur de ségrégation socio-économique et culturel. Le documentaire « A Voix Haute » (Stéphane de Freitas) sur le concours Eloquentia élisant chaque année le meilleur orateur du 93, ouvre sur la remarque caustique d’un jeune candidat : parler « bien », t’utiliser dans les règles de l’art, c’est un truc de politicien, un truc d’élite. Langue d’une démocratie, trop peu démocratisée…mais bien trop instrumentalisée. Récemment fut validée par plusieurs conseils régionaux la Clause Molière, visant à imposer le français sur les chantiers publics. Son but assumé n’est pas moins de lutter contre le recours aux travailleurs détachés. Pour une préférence nationale légalisée, on n’attend pas Marine –et on t’utilise pour lui couper l’herbe sous le pied.

Je t’écris dans une période trouble –celle de l’entre-deux tours. Je t’écris pour donner voix à ceux qui t’appréhendent, qui veulent t’apprendre sans en pâtir, sans te subir. A ceux qui te parlent et te teintent d’un accent, d’un mot en verlan.

Ne m’en tiens pas rigueur pour le tutoiement – bien à toi,

Sarah Tosca Levy

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