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We have republished this article through The Sundial Press’s partnership with La Péniche, the newspaper of Sciences Po’s Paris Campus. The original post may be read here. Throughout the year we will be syndicating articles that appear in the newspapers of other Sciences Po campuses.


Par Capucine Delattre

Vous l’avez sans doute déjà dit vous-même en ressortant d’une salle de cinéma.

C’était « pas mal ».

Cela n’a l’air de rien. Après tout, pas mal, c’est inoffensif. On ne regrette pas d’avoir vu un film « pas mal ».

Et pourtant si, il faut le regretter, il faut s’en indigner. Pas mal, ce n’est pas bien non plus. Parce que la raison d’être du cinéma ne sera jamais d’éviter la catastrophe et de décevoir le moins possible son spectateur. La raison d’être du cinéma, c’est bien d’oser, de prendre les plus grands risques imaginables pour parvenir à créer de véritables chefs-d’œuvre. C’est dans l’audace que naît l’inoubliable. Pas dans les convenances qui se satisfont d’elles-mêmes. Où sont passés les meilleurs films de tous les temps ? Pour beaucoup, dans le passé, justement.

La sécurité plutôt que la création

Nous devons désormais enrayer cette épidémie de médiocrité qui s’attaque à tant de sorties en salles. Cela ne tient pas à grand-chose : des facilités scénaristiques, des messages simplistes, des mises en scène très sages. Et pourtant, ces petits défauts propres à tant de films s’accumulent et viennent grignoter petit à petit notre esprit critique et notre enthousiasme. Nous devenons blasés, et nous ne devons pas laisser cette tendance se confirmer.

Qui n’a par exemple pas entendu la plainte selon laquelle « les comédies françaises sont toutes pourries » ? Stéréotypes à ne plus savoir où en donner de la tête, parfois même outranciers comme dans le très controversé A bras ouverts aux clichés choquants sur les Roms, rythme souvent prenant dans les premières scènes mais qui finit par se prendre les pieds et s’étirer en longueur… Et pourtant, ce sont bel et bien ces films qui font le plus d’entrées. Parce que faciles d’accès, parce que prévisibles : on est au moins assuré de savoir ce que l’on va voir ! Tous ces films souffrent d’un même syndrome, en apparence inoffensif mais qui pose vraiment problème : une paresse créative, la sécurité plutôt que le danger, et un public plus conciliant qu’exalté. Mais est-ce bien ce que l’on a envie de voir ? Ce que l’on mérite de voir ?

« C’est un film, ce n’est pas réaliste »

Reste enfin le point essentiel de la cohérence scénaristique. De plus en plus, on en vient à se satisfaire de projets tout simplement loin d’être aboutis… et les spectateurs d’accepter les pires absurdités, au prétexte que « c’est un film, ce n’est pas réaliste ». Mais il y a une différence entre réalisme et cohérence ! Une histoire de science-fiction peut, et même devrait, s’attacher au respect des règles qu’elle invente. Dans la moindre œuvre, un contrat aussi tacite que fragile s’instaure entre réalisateur et spectateur. Ce dernier accepte de « suspendre sa crédulité », et d’accepter par exemple des règles qui n’ont pas cours dans son monde. Mais le spectateur n’est pas non plus stupide : il ne peut faire cet effort que si le réalisateur et le scénariste respectent jusqu’au bout les règles qu’ils mettent eux-mêmes en place. Or, quel n’est pas le nombre de films qui se trahissent eux-mêmes, souvent plus d’une fois ! Des incohérences les plus effarantes aux simples détails contradictoires, il est facile de tiquer en visionnant de nombreux longs-métrages actuels, notamment dans le cinéma fantastique ou d’action, dont nous avons déjà parlé.

On entendra beaucoup soupirer que ce n’est qu’un film, que c’est pour se divertir, qu’on peut faire avec… Mais n’est-ce pas un peu triste ? N’avons-nous pas droit à un traitement de qualité, à une marque de respect envers notre intelligence ? Tenter tant bien que mal de faire passer en douce des erreurs et des raccourcis scénaristiques relève en réalité de la malhonnêteté intellectuelle. Nous sommes en droit d’être exigeants et d’estimer avoir droit à des films honnêtes. Ce n’est pas être psychorigide ! Simplement attendre le meilleur de chaque production dans laquelle on fait l’effort de s’immerger. Si l’on commence à non plus jouer avec le spectateur mais se jouer de lui, le lien de confiance entre créateur et public est rompu, et il n’y a dès lors plus lieu d’appeler le résultat « art ». Ce n’est plus qu’un produit industriel.

Se divertir en restant critique

Le problème vient donc sans doute de notre attitude, de la translation qui s’est opérée entre état alerte et posture de consommation. Se divertir ne veut pas dire laisser son cerveau au vestiaire. On peut passer un excellent moment tout en étant critique, disponible, inventif – la séance ne sera qu’enrichie par un tel effort intellectuel ! Il ne s’agit pas d’écrire une thèse au sujet du moindre film, mais de s’investir dans l’expérience que l’on en fait. Rester passif, voire consommer bêtement en regardant des films ou séries en accéléré, c’est bafouer ce qui fait le cinéma même.

Cependant, il y a aussi du bon. Il est hors de question de conclure cet article sur une note pessimiste. Voici donc trois recommandations brûlantes, enthousiastes et insistantes de films récents qui donnent espoir en la capacité de notre cinéma à se réinventer. Des œuvres dont on ressort avec le désir inexplicable et un peu fou de mettre soi-même les mains sur une caméra et de faire quelque chose de grand, d’exaltant, d’universel.

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Grave, de Julia Ducourneau ( 2016 )

Un film plébiscité par la critique et les multiples festivals par lesquels il est passé – on parle quand même de la Semaine de la Critique et de Gérardmer, hein – et dont la réputation n’a d’égale que la qualité. OVNI cinématographique, film de genre intelligent et viscéral, il réaffirme la capacité d’un cinéma français quelque peu frileux et en pleine hibernation à créer de toutes pièces des films qui osent. Grave s’aventure dans le « body-horror », un genre assez unique qui repose sur la déformation ou la transformation d’un être humain dans le but de réveiller les peurs et les instincts du spectateur. Ici, à travers l’histoire d’une jeune étudiante confrontée à d’effrayantes pulsions cannibales, c’est toute une métaphore de l’âge adulte qui se met en place, dans le cadre d’un métrage fascinant, aux couleurs sublimes, à la photographie maîtrisée, à l’atmosphère captivante, à la marque sur l’esprit du spectateur remarquable. On a beaucoup insisté sur le caractère gore du film, mais ce dernier n’est ni avéré ni essentiel. Quelques scènes jouent en effet avec les nerfs du spectateur, mais rien de traumatisant à l’horizon ! L’horreur se joue bien davantage dans l’atmosphère que par l’image. Immergez-vous donc dans cette expérience inouïe, influencée par Cronenberg, entre fascination et répulsion, mutation et quête d’identité.

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Whiplash, de Damien Chazelle ( 2014 )

Un autre problème du cinéma actuel revient régulièrement : le rythme, ou plutôt son absence. Intrigue molle, rebondissements poussifs, dialogues artificiels, les exemples de tels égarements ne manquent pas. Alors quelle bouffée d’air frais que ce long-métrage du réalisateur désormais bien connu de La La Land ! Du premier au tout dernier plan, l’intrigue défile avec une énergie qui semble relever de la folie furieuse mais qui témoigne en réalité d’une surprenante maîtrise pour un réalisateur aussi jeune. Doublé d’une dimension aussi bienvenue qu’appropriée, celle de la musique, le film entraîne le spectateur dans une spirale destructrice qui joue avec les limites d’une passion dévorante. Le duo d’acteurs principaux convainc dès le tout premier instant, et noue une relation d’admiration et de haine qui ne peut que happer. A travers un montage survitaminé, un récit que l’on ne voit pas passer et un final assourdissant, c’est bel et bien un éclair de génie que Whiplash !

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Get Out, de Jordan Peele ( 2017 )

Encore un film de genre, mais une fois de plus, un exemple qui enthousiasmera les spectateurs de tous âges et de toutes préférences. Get Out offre un synopsis relativement simple, avec son héros, Chris, un Afro-américain en couple avec une Blanche, qui rencontre pour la première fois les parents de cette dernière. Et le moins que l’on puisse dire est que ce week-end ne se déroulera pas comme prévu. Get Out, c’est de « l’horreur » , si l’on peut dire cela ainsi. Le film repose en effet davantage sur un travail d’atmosphère que sur des jumpscares, à savoir des scènes destinées à faire sursauter le spectateur. Un rythme déchaîné, un humour dévastateur, un personnage principal auquel l’on s’attache férocement, une satire sociale redoutablement efficace, un final jouissif… D’un bout à l’autre, on se laisse convaincre par un récit tout en irrévérence et dynamisme, qui joue avec les nerfs et les hypothèses du public. Le message grave suggéré n’empêche pas un humour décapant ou une tension réussie, pour un résultat à découvrir absolument !

Alors qu’attendons-nous ? A nos caméras, et surtout, à nos places de cinéma. Car s’il est bien un moyen efficace de soutenir le cinéma… C’est d’y aller. Chaque billet payé pour un film est comme un vote en sa faveur, et une demande au CNC d’en financer d’autres dans la même lignée.

Soyons exigeants, ne nous laissons pas satisfaire par des concentrés de médiocrité. Le cinéma mérite mieux, nous méritons mieux !

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  • Marie-Helene says:

    Ne faut-il pas rapprocher cette tiédeur cinématographique française de son mode de financement qui met le producteur à l’abri des risques ? S’ils sont assurés de rentrer dans leurs frais, quel est l’impact sur la qualité de ce qu’ils cherchent à produire ?