We have republished this article through The Sundial Press’s partnership with La Péniche, the newspaper of Sciences Po’s Paris Campus. The original post may be read here. Throughout the year we will be syndicating articles that appear in the newspapers of other Sciences Po campuses.
By Suzanne Assrir
Samer Younes et Rana Fayo sont tous deux étudiants en master à Sciences Po. Comme tous les autres élèves, ils ont des devoirs à rendre, des exposés à présenter et des professeurs un peu tatillons. Pourtant, ils ont dû faire face à des obstacles que n’ont pas et n’auront probablement jamais à surmonter leur camarades. Retour sur le parcours impressionnant de ces deux syriens, qui étaient demandeurs d’asile et sont désormais étudiants en master.
Un départ difficile, une arrivée en demi-teinte
Après une gorgée de café au lait, Samer entame son récit le premier. Originaire de Damas, il a commencé à travailler à Dubaï à partir de 2009, en tant que chef de projet dans le transport public. C’est en 2012, à l’aube du conflit syrien, qu’il pénètre dans son pays pour la dernière fois. Mais déjà, le retour est déconseillé. Le danger est là. Samer retourne à Dubaï et, lorsque son contrat prend fin au terme de l’année 2014, il obtient un visa et se rend en France. Il me confie que la déchirure n’a pas été aussi vive que pour certains de ses concitoyens eux-aussi expatriés, parce qu’il n’a pas eu à s’arracher directement à la Syrie pour venir en France. Pour Rana, l’histoire est différente. Ancienne professeure d’anglais à Alep, elle y reste jusqu’à la fin de l’année 2015, moment où la situation devient critique. Des groupes armés violents s’emparent de son quartier. L’horreur au pas de la porte. Malgré la douleur immense à l’idée de quitter le pays dans lequel ils ont construit leur vie, Rana et sa famille viennent trouver refuge en France.
Quand je leur demande si l’obtention du statut de réfugié a été difficile, Samer et Rana échangent un rire complice. « Comment te dire… » commence Samer. En reprenant son sérieux, il m’explique que ce n’est pas tant la procédure de l’OFPRA (Office Français de Protection des Apatrides) qui pose problème que celle qui la précède. Une fois arrivés en France, et dans l’attente d’une prise en charge et d’une réponse de l’OFPRA, les demandeurs d’asile sont théoriquement pris en charge par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), qui est supposé les aiguiller dans la gestion de la paperasse administrative et des informations pratiques pour séjourner en France -sur leurs droits en ce qui concerne, par exemple, la Sécurité Sociale, la recherche d’un travail, d’un logement, etc-. En théorie seulement: en réalité, les demandeurs d’asile ont surtout accès à des renseignements basiques, insuffisants pour se frayer un chemin dans les méandres de l’administration.
Un entretien seul face à trois personnes
Des associations comme France Terre d’Asile tentent de renforcer cette formation. Cependant, dans la majorité des cas, c’est aux immigrés de se débrouiller pour connaître leurs droits et parvenir à vivre décemment (par exemple trouver une activité professionnelle ou universitaire), ce qui peut être problématique pour les plus fragiles d’entre eux. En ce qui concerne la demande du statut de réfugié à l’OFPRA, en revanche, Rana et Samer sont unanimes. Le plus difficile, c’est l’attente : ce dernier a attendu un an avant de connaître la décision. En revanche, l’entretien en lui-même n’est pas une épreuve. Au contraire, en ce qui les concerne, l’officier de protection ( la personne en charge de l’instruction, ndlr ) s’est montré attentif et humain. C’est un moment certes crucial et donc forcément stressant, d’autant plus que le demandeur d’asile se trouve non pas face à une mais trois personnes: l’officier de protection, un traducteur, et un surveillant chargé, selon Samer, de décrypter le « body language » et de garantir la neutralité de la procédure; mais il ne s’agit néanmoins pas tant d’un interrogatoire que d’un dialogue.
Un choc culturel parfois pas si déconcertant
Après une longue discussion sur les conditions d’arrivée des demandeurs d’asile, je pose à Rana et à Samer une question qu’ils ont déjà du entendre une bonne centaine de fois: qu’est-ce qui les a frappés en découvrant le mode de vie français, et comment ont-ils vécu ce choc culturel ? Rana me répond que ce qui change, c’est qu’elle se sent en sécurité en France, alors qu’en Syrie, la violence a peu à peu redessiné les contours de la vie quotidienne. C’est aussi ce qui ressort de la comparaison que me fait Samer de l’État français avec l’État syrien: le premier s’occupe de ses citoyens, le second les laisse mourir, voire les tue.
Même avant la guerre, les destructions, la menace quotidienne de la mort, et les fuites hors du pays, il m’explique que les droits des Syriens étaient bafoués et leurs rêves, leurs projets en étaient le plus souvent rendus impossibles. Samer souligne également la différence entre la manière de penser en Syrie et en Occident. Ici , à Paris, il constate que les gens sont beaucoup plus individualistes. « En Syrie, ajoute-t-il en riant, c’est naturel de connaître la vie de tous ceux qui habitent ton quartier ! ». En revanche, ce que n’ont pas changé les plus de 4000 kilomètres qui séparent Paris de la Syrie, c’est l’architecture: avec les traces de la colonisation française, de nombreux boulevards et bâtiments que l’on peut (pouvait?) voir dans certaines grandes villes syriennes pourraient tout aussi bien se trouver à Paris sans pour autant détonner dans le paysage.
L’arrivée et l’intégration à Sciences Po
C’est en mars 2016 que Rana et Samer commencent le « Welcome refugees program » ( fruit de l’association de SciencesPo avec deux associations, Kiron et Wintergreat, ndlr ) avec dix-huit autres réfugiés, une mise à niveau intensive de deux mois pour leur permettre de parler français correctement. À la suite de quoi ils sont tous deux sélectionnés avec une poignée d’autres participants du Welcome Refugees Program pour faire la Summer School en juillet et aout 2016, cette fois ouverte non pas exclusivement aux réfugiés mais aux étudiants du monde entier intéressés par les cursus de SciencesPo. En septembre 2016, ils sont finalement acceptés en tant qu’étudiants en échange.
Ils trouvent une certaine difficulté à s’intégrer dans le système pédagogique français, car le rythme est assez intensif et les professeurs sont sévères sur la rigueur de l’argumentation. Il y a aussi beaucoup de devoirs à rendre: notamment « Des exposés… Beaucoup d’exposés… » me précise Samer en souriant. Cependant, cette charge de travail importante a aussi un versant positif: occuper l’esprit et éviter la désagréable sensation du « homesick ». En cette année 2017, lui et Rana font enfin partie des étudiants classiques (et non plus en échange) et entament leur deuxième année de master. Ce qui n’est pas le cas de tous leurs camarades: sur dix-huit réfugiés ayant participé au « Welcome refugees program » en mars 2016, moins de la moitié est parvenue à intégrer le cursus classique de SciencesPo (deux au collège universitaire, et cinq en master).
Academic Advisor, Mion et petits boulots
En ce qui concerne l’intégration sociale, elle semble plutôt réussie -ne serait-ce que parce qu’aucun d’eux ne se départira de son sourire au cours de notre entretien. Ils m’assurent que la très grande majorité des étudiants et des professeurs avec qui ils ont pu parler jusqu’à maintenant ont été chaleureux, et que les rencontres se font naturellement, et ce même avec la barrière de la langue. Selon Samer, cet enthousiasme est probablement dû au fait qu’à SciencesPo, la plupart des élèves sont ouverts d’esprit -d’autant plus qu’il y a de nombreux étudiants internationaux-, cultivés et, surtout, ils ne se bornent pas à une réflexion purement académique.
En outre, l’administration et les enseignants sont extrêmement présents, tant dans le cadre scolaire que pour le reste. Rana évoque notamment la gentillesse de son « academic advisor », qui lui a fait visiter la ville et plusieurs musées, ou encore de sa professeure de français, qui l’a aidée à trouver un petit boulot en été. Samer, lui, a même rencontré LA personnalité que tout SciencesPiste rêve d’approcher (Frédéric Mion, vous l’avez deviné): « Il est très engagé, affirme t-il. Nous ne serions pas ici sans tous leurs efforts et leur engagement, à lui et à l’administration ». Néanmoins, ils n’oublient pas que SciencesPo est aussi une sorte de « bulle » et dans la vie de tous les jours, hors de la rue Saint Guillaume, le contact avec les autres n’est pas toujours aussi aisé.
L’enseignement supérieur, une voie d’accès vers un futur prometteur
Pour Samer, le plus important actuellement est de maîtriser parfaitement la langue française, parce que c’est indispensable pour réaliser son projet professionnel, lequel est ambitieux: développer l’entreprenariat social. L’enthousiasme avec lequel il me déploie ses idées lorsque je lui demande des précisions me fait sentir à quel point cela lui tient à coeur: il s’agirait de remettre en cause le modèle économique traditionnel qui est selon lui défaillant car il est source de chômage, de précarité, voire de conflits armés pour innover dans l’économie alternative afin d’y développer le dialogue et d’en faire un pacte social dont le coeur serait l’humain.
Il ajoute que c’est un projet certes un peu trop idéal à première vue, mais qu’il s’inscrit dans le long terme et qu’il souhaite surtout apporter sa pierre à l’édifice et proposer sa propre vision du monde du travail en travaillant dans la gestion au sein d’une entreprise sociale. Les aspirations de Rana sont très différentes, mais pas moins ambitieuses: en master en International Security et passionnée par ce sujet autant que par la pédagogie (c’est une ancienne professeure d’anglais!), elle aimerait faire une thèse puis devenir enseignante-chercheuse. Tous deux souhaitent pour le moment rester en France, tout en n’excluant pas la potentialité de travailler éventuellement dans un autre pays plus tard.
Un message d’espoir
Avant que nous nous quittions, je demande à Samer et à Rana quels conseils ils donneraient aux personnes qui, comme eux, ont du quitter leur patrie pour s’installer dans un pays plus sûr. Pour cette dernière, le plus important tient en deux mots: « keep going ». La première étape est la plus difficile, parce que l’on doit débuter une nouvelle vie et s’arracher à ce qui appartient au passé sans regarder en arrière, mais même si l’adaptation est difficile la première année, il faut à tout prix s’accrocher. Une fois que l’on commence à apprendre le français et à s’habituer à la vie en France, les choses deviennent moins ardues. Le conseil que donne Samer ne tient, lui, pas en deux mots mais en un proverbe: « Petit à petit, l’oiseau fait son nid » me répond t-il en souriant. Il ajoute qu’au-delà de l’adaptation, il est absolument nécessaire de rester aux aguets et de ne jamais rester dans l’attente et que s’il y a des d’opportunités, il faut néanmoins savoir les chercher.
Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, seuls 1% d’entre eux parviennent à accéder à l’enseignement supérieur. Pour une personne qui avait déjà donné les preuves de sa capacité et de sa motivation à apprendre dans son pays d’origine (beaucoup de réfugiés faisaient de hautes études ou occupaient de hauts postes avant d’être chassés de leur pays) et qui, par ailleurs, y a probablement vécu des expériences traumatisantes comme la guerre, n’est-il pas juste de lui offrir, au moins la possibilité de s’accomplir pleinement intellectuellement ?
De fait, Sciences Po a affirmé sa volonté de favoriser l’intégration des réfugiés dans la société française en nouant deux partenariats dans le cadre du Welcome Refugees program depuis mars 2016: un avec l’association Kiron Open Education, et un avec l’association Wintegreat.
Kiron, un portail vers des études gratuites
Kiron est une startup allemande dont la branche française permet aux réfugiés et demandeurs d’asile vivant en France de reprendre, voire de commencer des études universitaires gratuitement. Le modèle d’apprentissage est hybride, et consiste en deux étapes: une première où les cours sont dispensés sur une plateforme numérique, et un second temps où les étudiants intègrent l’une des universités partenaires en Licence 2, formation qu’ils poursuivront ensuite pendant deux ans.
Cette solution hybride permet de pallier à certaines des principales difficultés auxquelles sont généralement confrontés les expatriés en apprentissage supérieur, telles que le coût financier élevé, le nombre de places limitées au sein des établissements universitaires ou encore la difficulté de se déplacer. SciencesPo propose en plus de compléter les cours dispensés sur la plateforme numérique pendant la première phase de la formation par des enseignements fondamentaux en français et en anglais dans le domaine des sciences sociales. Outre SciencesPo, le premier partenaire de Kiron, cinq autres partenariats ont été conclus en France avec Kiron: avec le CNAM (Conservatoire National des Arts et des Métiers), l’INP de Grenoble; SciencesPo Grenoble, l’université Grenoble-Alpes et l’université Savoie Mont-Blanc; et quinze autres partenariats sont en cours de négociation.
Wintegreat, une aide pour l’insertion
Wintegreat est fondée en 2015 par deux étudiants à l’ESCP Europe, dont le but est d’insérer des réfugiés ayant effectué des études supérieures dans leur pays d’origine et ayant du les arrêter à cause de la situation politique dans leur pays. Les grandes écoles parisiennes mettent à disposition leurs locaux pour que les réfugiés suivent un semestre de cours « tremplin » afin de s’insérer dans des vraies études ou dans la vie professionnelle en France. L’accent est notamment mis sur l’apprentissage du français, mais aussi de l’anglais, ainsi que des cours de repères culturels et pratiques sur la vie en France. Wintegreat a déjà noué des partenariats avec plusieurs écoles prestigieuses: ESCP Europe bien sûr, mais aussi SciencesPo Paris, SciencesPo Bordeaux de Paris et l’ESSEC -la première promotion a SciencesPo a été intégrée en mars 2016-. Le choix de s’allier avec de grandes écoles s’explique par la nécessité de donner au certificat acquis par les réfugiés grâce au programme d’insertion une réelle crédibilité.
Il est très difficile et aliénant pour ces réfugiés, brillants dans leur pays d’origine, d’en être chassé par des conditions politiques indépendantes de leur volonté et de se retrouver en France dépossédés de tout ce qu’ils avaient pu acquérir dans leur vie d’avant: certains étaient médecins, étudiants dans de grandes écoles, avocats… Aujourd’hui, ils sont réfugiés. Alors certes, les dommages psychologiques survenus avec la déchirure du pays d’origine sont irréversibles, mais ils peuvent être atténués par une meilleure insertion des étrangers dans le pays d’accueil. Même en bénéficiant du droit d’asile, évoluer dans un pays quotidiennement sans en connaître la langue peut s’avérer un véritable calvaire, car alors la solitude et le sentiment insistant de n’appartenir ni au pays d’accueil ni au pays d’origine dont on a été chassé s’installe. Pour diminuer ce sentiment d’aliénation, les programmes d’accueil des réfugiés dans les études supérieures font quelque chose d’essentiel: ils leur confèrent un statut, celui d’étudiant, ce qui permet de mettre de l’ordre dans leur vie et d’éviter la perte totale de repères. L’insertion que veulent initier de telles structures n’est donc pas uniquement éducative et professionnelle, elle est aussi sociale.
On peut voir l’aide apportée aux réfugiés comme un geste purement altruiste et philanthropique mais il y a, selon moi, un apport qui ne transite pas seulement des nationaux aux réfugiés mais aussi en sens inverse. Leurs expériences, leur propre culture et leur manière d’appréhender le monde ont probablement beaucoup à nous apprendre.
On entend beaucoup dans la bouche de certains politiques que la France est et restera une terre d’asile. Pour ancrer cette phrase dans la réalité, augmenter le budget de l’OFPRA ne suffit pas: nous devons, tous, tout faire pour non pas seulement accepter mais aussi accueillir les réfugiés; et ce dans la plus grande dignité possible.
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