Par Isabelle Ava-Pointon
Il y a quelques jours, la publication d’une initiative étudiante sur Facebook au sujet de l’Ukraine m’interpelle. Curieuse, je me lance à la recherche de son fondateur, Mykyta Sobko, sur Facebook. Ce dernier accepte de me parler via Skype de son projet “Uart”.
Qui est Mykyta Sobko ? A 20 ans, cet étudiant en deuxième année en droit sur le campus Europe de l’Est de Sciences Po Paris, à Dijon, vient de la région de Donetsk, en Ukraine. Ses parents sont diplomates, ce qui a amené Mykyta à multiplier les voyages au cours de sa vie. Il a ainsi vécu plusieurs années en Tunisie, y compris pendant la révolution. Il était d’ailleurs présent pendant l’Euromaïdan en Ukraine, ce qui lui a permis de comparer les révolutions dans ces deux pays.
Je m’interrogeais sur les raisons qui l’avaient amené à créer ce projet. L’idée lui est venue l’année dernière, lors des présentations des écoles de Masters. Un atelier organisé par l’Ecole de l’innovation consistait à séparer l’audience en petits groupes, dans lesquels les participants devaient discuter de leur projet professionnel. Sobko n’en avait aucune idée. La modératrice lui a alors demandé quelles étaient ses passions. L’art – Sobko peint, dessine et photographie – ainsi que la politique de son pays, l’Ukraine, constituaient ses centres d’intérêts principaux. Elle lui a ensuite proposé de combiner ses deux passions pour créer un projet. C’est ainsi qu’est né Uart : une exposition de photos de street art en Ukraine, et notamment dans les lieux affectés par le conflit ukrainien. La modératrice, très enthousiaste, lui rétorque alors : “Si tu fais ce projet, je t’accepte directement dans mon école”. En septembre dernier, l’initiative est lancée et 20 étudiants rejoignent l’équipe.
Pourquoi ce nom ? A l’origine, il s’agit de “Ukraine Street Art”. Mais pour sa marraine de Sciences Po, ce nom est trop long. Elle lui propose alors de le raccourcir pour parvenir à “Uart”, le “U” pour l’Ukraine mais également “toi” en anglais, et “art” soulignant l’aspect artistique du projet. L’équipe est unanime : “ça sonne bien”.
Le projet insiste sur le “street art” ukrainien, dont je n’avais jusqu’à maintenant jamais entendu parler. Sobko m’explique l’histoire de cette tradition. Après la révolution de 2014, le nouveau gouvernement passe une loi stipulant que les citoyens peuvent peindre partout dans la rue, que ce soit sur les murs, les ponts ou encore les immeubles, tant que leur réalisation n’interfère pas avec le domaine de la propriété privée. C’est ainsi que commence le “street art”. Sobko a lui-même peint avec ses amis tout un pont en bleu et jaune, couleurs du drapeau ukrainien. À cette période, d’immenses fresques murales illustrent des messages politiques, symboles de l’unité nationale, de l’expérience de la guerre et du combat contre un ennemi commun. Ce médium était très à la mode et attirait même de célèbres artistes étrangers, venus peindre les rues de l’Ukraine. Bien que le street art ait débuté par une initiative gouvernementale, les Ukrainiens s’en sont servis pour mettre cet art à disposition de la société civile. Plus de 200 de leurs oeuvres à Kyiv sont exposées sur un site web. Mais ce n’est pas un phénomène limité à Kyiv, comme le raconte Sobko, “quand nous avons récupéré des territoires près de la frontière Russe, les artistes sont venus jusque là pour y donner une nouvelle vie… pour rendre la vie meilleure… pour ajouter un peu de couleur”.
Uart est actuellement en pleine campagne de collecte de fonds. Cet argent est destiné à l’envoi des 21 membres de l’association en Ukraine afin qu’ils puissent voir et photographier les oeuvres de street art. Les villes de Kyiv et Lviv seront, bien entendu, des lieux incontournables de leur visite, mais leur site web indique qu’ils aspirent également à découvrir des villes de l’Est, près du conflit actuel. Durant l’interview, Sobko me confie qu’il vient juste de recevoir la confirmation du gouvernement ukrainien leur permettant de visiter deux petits villages, Avdiyvka et Popasna, situés dans les régions de Donetsk et Lugansk. La permission du gouvernement est nécessaire car, en général, les étrangers sont exclus des zones près de la ligne de conflit pour des raisons de sécurité. Néanmoins, Sobko souligne la nécessité d’informer sur le street art dans ces régions récemment libérées, car c’est là où les oeuvres sont les plus politiques et où les artistes se sont mis en danger pour réaliser ces peintures.
Comme indiqué sur le site web d’Uart, le but ultime de l’association est d’aider financièrement les enfants victimes de la guerre. Sobko m’a donnée plus de détails, m’expliquant le travail mené par Uart avec un programme soutenu par l’Ambassade d’Ukraine en France, nommé “À travers l’Europe”. Ce projet a pour objectif d’aider les enfants dont les parents – militaires – sont décédés, à effectuer des séjours à l’étranger lors d’échanges culturels. Uart souhaite également se rendre à un centre de réhabilitation pour enfants physiquement ou psychologiquement blessés par la guerre, “Le Petit soleil“, et leur faire un don. Mais tout cela dépend du montant de dons reçus par l’association. Sobko espère qu’en plus des dons récoltés sur leur site de collecte de fonds, les deux expositions de photos prises en Ukraine vont recueillir suffisamment pour aider ces enfants. La première exposition aura lieu à Dijon. Son vernissage est prévu le 5 mai et sera ouverte au public pendant une semaine dans la salle de coupole. La deuxième exposition aura, quant à elle, lieu au Centre ukrainien de Paris cet été, mais la date exacte n’a pas encore été fixée.
En tant qu’individu ukrainien et étudiant en politique, l’opinion personnelle de Mykyta m’intéresse, notamment sur ce que devrait être le rôle de la communauté internationale dans la résolution du conflit en Ukraine. Pour Sobko, “dans les médias, français et internationaux, l’Ukraine a été oubliée”. Sobko tient avant tout à souligner l’importance de l’aide militaire accordée à l’Ukraine. La plupart de l’armée est en effet financée par des dons individuels venant de citoyens ukrainiens, car le gouvernement ne possède pas les fonds requis pour la payer intégralement, même si “un tiers du budget étatique” est dédié à la défense. Selon Sobko, les gouvernements étrangers sont méfiants lorsqu’il s’agit d’aider financièrement l’Ukraine – un soutien pourtant vital pour le pays – de peur que cet argent ne finance l’achat d’armes.
La population étudiante de Sciences Po est-elle suffisamment au courant de la situation en Ukraine ? L’année passée, sur le campus de Dijon, un cours était dédié à ce pays, à son histoire et à sa situation actuelle. Pour Sobko, la connaissance des affaires ukrainiennes a été acquise par son entourage grâce à ce cours et à sa talentueuse enseignante, Mme Goujon. Malheureusement, avec le passage de l’acte II de la réforme du Collège universitaire, ce cours, comme beaucoup d’autres liés à la zone géographique du campus, a été supprimé. Pour le fondateur de Uart, la réforme du Collège est la cause directe du manque de connaissances constaté cette année chez les étudiants et les étudiantes en première année.
Vous pouvez vous renseigner sur l’association Uart et donner ici.
L’équipe d’Uart. Avec l’aimable autorisation de Mykyta Sobko.
Other posts that may interest you:
- Local Victories for Turkish Opposition — A Sign of Hope?
- Are France and Japan a Mismatch Made in Heaven?
- A Reflection on Dark Tourism
- Cadavre Exquis : Goodbye stranger
- An Untoward Progress?
Discover more from The Sundial Press
Subscribe to get the latest posts sent to your email.