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Par Sabine Audelin

Le weekend du vendredi 9 au dimanche 11 février 2018, se déroulait à la Comédie de Reims la rencontre des membres du réseau de jeunes spectateurs européens « YPAL » (Young Performing Arts Lovers), tous résolument férus de théâtre, danse et performances en tous genres.

YPAL voit le jour en 2009, sous l’impulsion d’Anne Goalard, déléguée générale du festival Reims Scènes d’Europe, rassemblement d’acteurs affirmés ou naissants de la scène théâtrale européenne. Dès lors, le réseau d’YPAL ne cesse de se transformer : il s’étend, perd certains membres et en gagne d’autres.

Cette édition 2018 des rencontres YPAL a rassemblé près d’une centaine de spectateurs-membres, quelques Rémois et Français venus des quatre coins de l’Hexagone mais aussi des Belges, Espagnols et Allemands venus spécialement pour l’occasion.

 

Un weekend riche en découvertes

Si les membres d’YPAL ont eu la chance d’assister aux nombreuses représentations données à la Comédie, au Manège ou encore à l’Opéra de Reims, la manifestation était aussi un temps d’échange, et ce notamment lors d’ateliers artistiques organisés par certains membres d’YPAL.

J’ai pu assister à l’un de ces ateliers, animé par Rony Férat. Intitulé « Devenir spectateur polyglotte », il s’intéressait aux différents moyens de traduction de spectacles, proposant notamment des solutions très créatives et iconoclastes ne se limitant pas au sur-titrage des répliques théâtrales. Cet atelier se situait dans le prolongement de deux spectacles vus la veille en ouverture du weekend YPAL : « Institut de la solitude global » du Blitz Theatre Group à l’Atelier de la Comédie et « L’éternel retour » de Clément Layes au Manège.

Le premier spectacle, savant mélange d’absurdité et de comédie noire, se déroulait dans un futur proche terrifiant où la solitude serait devenue une maladie, un fléau se répandant sur Terre et conduisant inexorablement à la mort. La pièce narre les pérégrinations des pensionnaires de « l’Institut de la Solitude Globale », sorte d’hôpital qui tente de guérir ceux qui peuvent potentiellement échapper à cette terrible solitude, par le biais d’une rééducation à l’amour, à l’altérité ou encore à l’amitié … Une telle intrigue n’est pas sans rappeler le film The Lobster du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, où les personnages, peinant à trouver l’amour au sein d’un similaire et étrange institut, sont alors changés en animaux. Et ce lien n’est pas fortuit, car Aggeliki Papoulia, une des metteurs en scène, est actrice et a joué dans The Lobster!

L’autre représentation, « L’éternel retour » de Clément Layes, était un spectacle de danse-théâtre, où 15 artistes ont déployé une gestuelle loufoque et répétitive au sein de l’espace confiné d’une maison. Là où la parole avait un rôle important et nécessaire dans « Institut de la solitude globale », spectacle en grec surtitré français et anglais, la création de Clément Layes utilisait seulement les sons et onomatopées des danseurs pour créer du sens.

Et pourtant… Rony Férat et la plupart des spectateurs ont davantage senti le langage compréhensible et commun lors de cette création dénuée de véritables mots et phrases construites, que dans la bavarde mais exigeante pièce de la troupe grecque. D’où la nécessité d’échanger, de tester, d’expérimenter de nouvelles formes de traduction hors des sentiers battus.  Pour ce faire, les traducteurs en herbe se sont racontés une histoire en petit groupe dans une langue imparfaitement maîtrisée, afin de mettre l’accent sur les intonations de voix, les inflexions et les émotions qui se dégagent de l’expression orale ; ils furent aussi invités à danser et accompagner de gestes des sons, mots et chants émis par un partenaire et réaliser la plénitude des compétences du corps, ce vexteur d’expression.

Mais YPAL c’est également une parenthèse de réflexion sur le réseau en lui-même. Soline Travers travaille à la Comédie de Reims et s’est fortement investie dans le réseau YPAL. Cette année, elle a mené un atelier sur ce thème, afin de s’interroger sur l’avenir d’YPAL et sa construction en tant que réseau ouvert et européen. A la suite d’un brainstorming entre membres de l’organisation, nous avons pu échanger sur les points forts et failles du système d’YPAL, ce qui devait changer et ce qui en faisait son identité. En petits groupes, dédiés tout aussi bien à la communication du réseau qu’à sa structure, avec les néophytes et ceux qui le connaissent depuis ses premiers pas, nous avons pu confronter nos expériences et mettre au point des solutions à tester lors des prochaines éditions, lieux de rencontres entre jeunes spectateurs européens. Les problématiques majeures du réseau résultent principalement de son manque d’efficacité au niveau de la communication et de son organisation structurelle quelque peu… balbutiante.

L’après-midi, plusieurs groupes se sont séparés et ont participé à différentes activités. Certains ont pu visiter l’exposition photographique « Europia » de Julien Allouf en présence de l’artiste, ce dernier ayant glané des clichés mémorables et édifiants de notre vieux continent, témoin de toute sa beauté et ses désillusions. Jasdeep, élève en première année EurAm, et moi-même, avons assisté à deux représentations à la Comédie, « One writes and in the end the letters burn somewhere along the way » de Michael Beron, Sam Parfitt et Adrian Schindler, et « Peut-on frire de tout ? » de Luc-Jérôme Bailleul.

La première performance, déconcertante et profondément émouvante, se composait de trois comédiens parlant tour à tour anglais, français et allemand autour d’une collection de lettres écrites par l’arrière-grand-père de l’un des acteurs durant la Seconde Guerre mondiale. Brisant avec brio le Quatrième mur, les artistes interrogeaient d’une certaine façon les spectateurs sur leur façon d’appréhender la mémoire collective, mémoire au final si subjective et singulière à chacun. Laissant bon nombre de questions en suspens, les artistes ont réussi à captiver leur auditoire en faisant fi des conventions théâtrales traditionnelles. L’autre représentation, sorte de one-man show humoristique absurdement loufoque, s’articulait autour de la frite, son histoire mais aussi celle de celle sans qui la frite ne serait pas la frite : la baraque à frites, pardi !

YPAL : des temps forts à la fois bouleversants et … déconcertants

Maud Guérard, Max Owen et Elisa Jaucourt-Perroyet accompagnés d’Agnès Mateus et Quim Tarrida du spectacle Rebota Rebota

Si vous demandez à un membre d’YPAL ce qu’il a préféré du week-end, il est fort probable qu’il vous réponde « Rebota Rebota y en tu cara explota  » (Il rebondit, il rebondit, et il t’explose au visage), performance en espagnol sous titrée français et anglais d’Agnès Mateus et Quim Tarrida. Un spectacle tellement percutant, émouvant, drôle. Il nous donne envie d’agir et ne peut laisser indifférent. Agnès Mateus, artiste affirmée de la scène catalane, livre ici une performance éblouissante sur le thème des féminicides en Espagne. Dénonçant la passivité ambiante face aux violences faites aux femmes, Agnès Mateus et Quim Tarrida se servent des codes de la pop culture, comme le sexisme dans les contes de fées ou les paroles sexualisées et dégradantes de la musique pop et reggaeton, pour mieux les dénoncer et pointer du doigt une violence misogyne profondément enracinée. Les absurdités patriarcales de notre quotidien se révèlent lorsque le spectacle atteint son paroxysme, laissant le spectateur face au nombre effroyable de décès de femmes tombant sous les coups de leurs conjoints, de leurs frères, de leurs maris, de leurs pères. Agnès Mateus, seule sur scène, mène la performance avec verve et prestance, vivant son art au point de se mettre en danger, comme lorsqu’elle se met face à un lanceur de couteaux. Remarquable en tous points.

S’il était difficile de succéder à Agnès Mateus, la pièce de théâtre « Ciné » du collectif Tristura, également en langue espagnole surtitré français et anglais,réussit brillamment ce pari. La troupe madrilène abordait le thème des bébés volés en Espagne de Franco jusque dans les années 1980. Le titre sans équivoque du spectacle laisse transparaître la volonté du collectif de mêler théâtre et cinéma dans leur scénographie. L’objectif est atteint grâce à des dispositions scéniques innovantes, demandant aux spectateurs de porter des casques pour capter les sons. Par ailleurs, les musiques, extérieures aux paroles des personnages, rendent le dispositif très immersif. Les membres jouent de la présence sur scène d’une sorte d’écran de fumée projetant des images afin de recréer l’ambiance d’une salle obscure de cinéma sur scène.

Mais YPAL c’est quelquefois – bien que très rarement – de petites déceptions. C’est le cas pour l’opéra « L’ombre » de Don Venceslao, mis en scène par Jorge Lavelli, avec une musique de Martin Matalon et adapté d’une pièce de Copi donnée à l’Opéra de Reims. Le côté déjanté, foutraque et complètement désacralisé de Don Venceslao a pu laisser certains d’entre nous totalement hermétiques voire légèrement décontenancés.

Et Sciences Po dans YPAL ?

Etudiants impliqués dans le projet et Soline de la Comédie de Reims.

Jasdeep Singh Hundal, Maxen Owen, Manon Bourbousson, Elisa Jaucourt-Perroy, Maud Guérard et moi-même, tous élèves de Sciences Po, avions préparé tout au long de l’année, en amont du festival, l’atelier artistique « Amazing Race », sorte de jeu de pistes culturel à travers la ville de Reims. C’était pour nous une façon ludique et amusante de présenter la ville de Reims et son dynamisme aux membres d’YPAL, venus le temps du festival. Avec la participation de musiciens de Sciences Po et de membres de l’association DramaThalia, nous avons pu leur montrer la cité des sacres et son fourmillement artistique, à travers notre belle cathédrale, la place Royale, ou encore le Musée des Beaux-arts.

L’année prochaine, les sciencespistes d’YPAL prévoient de faire vivre le réseau pendant toute l’année, même en dehors du fameux weekend YPAL. Il est envisagé de faire d’YPAL une association du campus, ce qui permettrait de recruter des membres dès le début de l’année. La porte s’ouvre à de nombreuses opportunités, telles que des « dîners » ou « apéros  YPAL » durant lesquels les membres rémois du réseau (pas seulement sciencespistes !) pourraient échanger autour d’un verre ou d’un bon repas après avoir vu un spectacle. Il est important pour nous de conserver l’identité rémoise et européenne du réseau, qui ne se restreint pas à Sciences Po mais rassemble également des jeunes de toute l’Europe et des différents établissements scolaires de Reims.

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