Les filles dansaient sur Bum Bum Tam Tam, Waka Waka et Ed Sheeran sans vraiment comprendre les paroles. Petit chat, tête d’ananas ou langue arc-en-ciel, chaque point de vue méritait son lot de selfies. Comme arrière plan, les filtres snapchat étaient toutefois préférés aux cèdres du Mont Liban et à la vallée du Chouf en contrebas. La Macarena remplacée par le dabke, la derbake sauvant la dernière boom de la coupure d’électricité et Justin Bieber éclipsé par Nassif Zeytoun étaient les seuls indices me rappelant leur nationalité.
La ب de أهلا بك est coloriée d’un smiley souriant. Des empreintes de mains à l’acrylique ornent également la bannière comme si elles saluaient les joyeux jeunes campeurs. Ces derniers se ruent hors du bus dans lequel ils ont dansé tout le trajet de Beyrouth et du Chouf jusqu’à Ramlieh ignorant les ceintures de sécurité. Un cauchemar pour tout animateur Bafa.
Vendredi 27 Juillet 2018, le ruban rouge tendu pour l’occasion devant l’auberge de jeunesse est rompu avec une paire de ciseaux d’écoliers. Le premier Seeds of Peace Summer Camp organisé par l’organisation non gouvernementale Blue Mission et fondé par Secours Islamique France peut officiellement commencer. Le jeune auditoire surexcité applaudit à renfort de yuyuyu à n’en plus finir. Quarante adolescents, âgés de 12 à 17 ans, Libanais mais aussi et surtout Syriens.
Comme son nom métaphorique l’indique, ce camp de vacances a pour but de semer des valeurs pacifiques. Dès leur arrivée, les enfants nouent un ruban blanc à un arbuste en formulant un souhait pour la paix. “Je souhaite grandir dans un monde sans guerre”, “Je souhaite que la guerre en Syrie s’arrête pour que je puisse rentrer à la maison”. Une petite libanaise profite de l’occasion pour faire le voeu de devenir gymnaste. Des discussions préalables ont été menées en petits groupes donnant naissance à d’intéressants débats : “Il faut faire la guerre pour faire la paix” commence l’un, “Je ne suis pas d’accord!”, s’agite une autre sur son siège, “La guerre ne fait pas la paix car elle donne naissance à des envies de vengeance !”. Au programme, ateliers de sensibilisation aux droits des enfants, à l’égalité de genre, à l’environnement, au mariage précoce ou encore aux violences domestiques… La façon d’aborder ces sujets sensibles a été préparée avec soin puisqu’ils peuvent concerner les enfants : certains ont déjà arrêté l’école pour travailler et le mariage des mineurs reste fréquent parmi la population syrienne.
Enroulée dans du papier toilette en guise de robe de mariée et fleurs en plastique sur la tête, Rim jette par terre son alliance de fortune en papier crépon : ses parents veulent la marier à un très vieil homme à en juger par le masque de Yoda qu’il porte. Elle s’enfuit avec son frère plutôt que d’accepter. Aucune fillette ne s’est laissée marier dans les pièces de théâtre écrites et jouées par les enfants. Ils n’ont cependant pas pu se retenir de danser et re yuyuyu lorsque les apprentis comédiens célèbrent la scène de mariage rythmée par la derbake.
“Si j’étais elle, je jetterais le bébé par la fenêtre” chuchote Jenea à sa voisine en commentant un dessin animé de l’Unicef. Elle ne parle pas d’un poupon mais bien du nouveau-né que tient la fillette. Pas un bavardage lorsque le thème du mariage précoce est abordé, les enfants écoutent attentivement. Les réactions sont diverses : “Ma cousine a été mariée à 12 ans, aujourd’hui elle en a 15, est enceinte et son mari la frappe. Ma mère nous a réinscrits à l’école pour nous éviter le même destin” commence Sidra. “Beaucoup de familles sont contre mais parfois elles n’ont pas les moyens de s’occuper des enfants alors ils marient les filles”continue sa voisine. “Pourquoi est-ce que l’on parle seulement des droits des filles ? Les garçons aussi se marient jeunes” s’interroge Obeyda un brin énervé. “Une fois, j’ai demandé à mon voisin qui jouait dehors ce qu’était le mariage. Il m’a d’abord répondu qu’il ne savait pas. Le mariage c’est pour avoir des services gratuitement a-t-il finalement répondu”. Mohamed lui se réjouit seulement à l’idée de devenir oncle ; sa soeur de 16 ans est enceinte. Aucun enfant ne supportait le mariage des mineurs. “Entre 23 et 26 ans est un bon âge pour les filles une fois les études terminées, après elles deviennent “Arus” (“vieille fille” ndlr)” décrètent-ils d’un commun accord.
L’atelier théâtre mené le premier soir sur le travail des enfants et la violence domestique avait été moins sérieusement réussi. La consigne était d’imaginer et jouer la suite d’une vidéo montrant un enfant travaillant comme mécanicien à qui on brûlait ses cahiers d’écolier. Cependant, les scénettes ont vite tourné au vaudeville et le public riait aux éclats devant les fausses claques des comédiens. Sensibilisation partiellement réussie donc.
“Les femmes peuvent-elles conduire un camion ?”. Faisons appel au vote du public. “Non, commence une petite maigrelette, parce qu’elle n’a pas de force et ne sait pas comment gérer les accidents”. Son voisin reste perplexe : “Mais… ce n’est pas une question de force , mais plutôt une question de technique non ?”.
Le débat sur l’égalité des genres sait captiver l’attention du jeune public. A l’aide d’un manuel publié par l’association ABAAD, les animateurs encouragent à la réflexion sur des idées préconçues. Question suivante : “Les hommes peuvent-ils aider aux tâches ménagères ?”. Oui commence une fille, l’homme dit toujours qu’il est 10 fois plus fort, alors il doit travailler 10 fois plus”. Elle rit. Touché. Un autre enchaîne aussitôt : “Non, parce que quand il rentre le soir, le père est fatigué, aussi il faut le laisser tranquille”. – Ta mère ne travaille pas ? – Si.” Coulé. Puis vient la question qui divise l’assemblée selon les sexes : “Filles et garçons doivent-ils recevoir le même argent de poche ?”. “Non répond d’emblée Asma. La fille doit recevoir plus ! Elle doit recevoir plus car elle a plus de besoins : la nourriture, le maquillage, les bijoux, les vêtements…”. Obeda n’est pas de cet avis ; on lui a dit qu’il est écrit dans le Coran que l’homme recevra deux fois plus mais il n’est pas allé vérifier. Qu’importe les avis divergents, les enfants s’écoutent avec respect.
Enfin, puisqu’il y a vacances dans camp de vacances, accrobranche, visite de Saida, veillées et olympiades étaient au programme. La Syrie et le Liban ne participaient peut être pas à la coupe du monde cette année, mais ils étaient bien représentés lors de ces minis olympiades. L’équipe des pink panthers affronte les Malik dont le logo est un yin et yang bleu coiffé d’une couronne. Celui-ci flotte sur les drapeaux déchirés en taie d’oreiller brandis fièrement au bout d’un manche à balai. La parade bat son plein lorsque les hymnes nationaux retentissent.
مــوطــنــي مــوطــنــ
الجـلال والجـمال والســناء
والبهاء
Asma se met à pleurer à côté de moi mais ne s’arrête pas pour autant de chanter, très digne. Puis c’est l’effet domino, l’une après l’autre, les filles sont en pleurs. Je ne comprends ni les paroles, ni la situation. Mais comprendre les premières m’aurait permis de comprendre la seconde :
“My homeland, My homeland, greatness and beauty, kindness and goodness, in your lands”
Mawtini, soit “My Homeland”, touche tous ceux qui ont perdu le leur. Ecrit par le poète palestinien Ibrahim Touqan et composé par Mohamed Fleyfel, ce poème parle à l’origine de la résistance palestinienne face au mandat britannique. Hymne national de l’Irak depuis 2004, il est également devenu symbole de l’unité Arabe et on ne peut l’écouter dans les camps syriens sans que tout le monde se mette à pleurer me confie un animateur venant d’Homs. Nos athlètes avaient peut être choisi ce chant comme hymne des pink panthers, mais aujourd’hui, c’est bien à la Syrie, leur mawtin, qu’ils pensaient tous en le chantant.
“Are you happy ?” me demande Majd. Nous sommes le jour de l’excursion à Saida. Au programme, visite du palais Debbané, du musée du Savon et du Khan el Franj. La fierté éprouvée à la découverte de leur patrimoine est grande. Sana s’est mis un point d’honneur à m’enseigner en arabe tout ce qui pouvait se trouver dans les souks, des brosses à dent aux cages à oiseau.
“Euh, ben oui, et toi ?
“C’est le paradis” a été la réponse de Majd, 12 ans, réfugié syrien, qui aime le basket mais pas les carottes.
Les noms et prénoms des personnes citées ont été modifiés afin de préserver l’anonymat.
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