Le 2 Octobre, Jamal Khashoggi se rend au consulat de son pays, le sanctuaire censé protéger ses droits et intérêts à l’étranger. Le journaliste, opposant résolu de la monarchie Saoudienne, pénètre dans le bâtiment à treize heures. Il n’en ressortira pas. La disparition de M. Khashoggi n’est que l’énième controverse impliquant l’Arabie Saoudite, un pays qui, malgré ses violations flagrantes et répétées des droit de l’homme, continue de bénéficier du soutien presque inconditionnel de ces alliés occidentaux.
L’ascension au pouvoir de Mohammed Ben Salmane, qui exerce de facto l’autorité au sein du royaume wahhabite, avait, en 2016, suscité beaucoup d’espoir chez les réformistes. Ils espéraient que le pays allait enfin s’engager vers la modernisation de ses institutions ainsi que vers une réforme profonde de l’économie, jugée trop dépendante vis-à-vis des exportations pétrolières.
Et en effet, Ben Salmane semblait s’inscrire dans cette lignée. Dans les mois suivant son ascension, il enchaîne une vaste “opération séduction’’ à l’égard de ses alliés occidentaux, se rendant notamment en visite à la Maison Blanche et dans la Silicon Valley, où il rencontre Mark Zuckerberg et expose sa vision d’une Arabie Saoudite ouverte vers l’avenir et la réforme, vendant un bastion de stabilité et de modération dans une région marquée par l’instabilité et l’extrémisme. Ce vent de changement était symbolisé par le droit de conduire accordé aux femmes le 24 juin dernier. Mais cette avancée, qui peut paraître dérisoire en France, où les femmes ont ce droit depuis 1898, n’est qu’un arbre parmis la forêt d’injustice et d’absolutisme qu’est toujours le pouvoir Saoudien.
Les Saoudiennes restent, à bien des égards, des citoyennes de seconde classe. Elle nécessitent toujours un “tuteur’’ pour pouvoir voyager ou travailler. De manière générale, la répression du régime absolutiste touche toute la société, où les opposants sont sévèrement punis, et les arrestations arbitraires sont légion. C’était d’ailleurs aussi à cause de ce “climat de peur et d’intimidation” que Jamal Khashoggi avait quitté le pays, espérant échapper à sa censure étouffante.
La monarchie ne respecte pas plus les droits humains au-delà de ses frontières. Au Yémen, la coalition qu’elle dirige est impliquée dans celle que de nombreux commentateurs appellent “la pire crise humanitaire du monde”. Un rapport accablant des Nations Unies a en outre accusé les forces de la coalition d’avoir visé des civils lors de bombardements, comme le 8 août dernier, dans un raid qui a tué plus de 40 enfants dans la province de Saada.
Il semble invraisemblable que les gouvernements occidentaux ne remettent pas en cause leur liens avec la monarchie Saoudienne. Malheureusement, d’importants intérêts économiques et stratégiques se cachent derrière leurs alliances problématiques avec Riyad.
Économiquement, l’Arabie Saoudite reste le premier producteur de pétrole au monde, et, comme l’affirme le directeur d’Al Arabiya, média proche du régime, des sanctions contre le royaume suite à l’affaire Khashoggi mèneraient inévitablement à des hausses de prix, ce qui aurait un effet “catastrophique pour l’économie mondiale”.
Stratégiquement, la monarchie Saoudienne reste un partenaire incontournable pour les occidentaux, notamment ceux engagés dans la lutte contre Daesh, et surtout pour les État-Unis, qui voient en eux un contrepoids efficace pour contrer l’influence iranienne dans la région.
Il y beaucoup à perdre en s’opposant à Ben Salmane, et le Canada en a fait les frais il y a quelques mois après avoir critiqué l’arrestation d’opposants. Riyad avait alors immédiatement expulsé l’ambassadeur Canadien et gelé toute transaction commerciale entre les deux pays.
Il est donc difficile pour les pays occidentaux de désavouer l’Arabie Saoudite, même s’il était avéré que la monarchie a bien été impliquée dans la disparition du journaliste. Toutefois, continuer ainsi est en contradiction directe avec les valeurs soit-disant défendues par des pays tels que la France, qui, en étant un des principaux exportateurs d’armes vers le royaume, soutient donc indirectement sa politique illibérale et réactionnaire.
En outre, il serait hypocrite de critiquer les atteintes aux droits de l’homme perpétrés par des pays tels que la Chine et l’Iran tout en fermant les yeux devant les agissements de Riyad. Les réactions occidentales suite aux développements de l’affaire Khashoggi montreront plus clairement comment cette relation problématique évoluera à l’avenir, et si des dirigeants comme Donald Trump, Président des États-Unis, sont prêts à prendre des décisions drastiques contre un régime qui abuse encore et toujours des droits les plus fondamentaux.
Cela semble malheureusement bien peu probable, lorsque l’on sait que ce dernier a réaffirmé il y a quelques jours l’importance des contrats d’armement saoudiens pour l’économie américaine.
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