Disclaimer : J’ai écrit cet article comme une autobiographie par les livres. Je l’ai conçu comme très personnel, mais destiné à tous ceux et toutes celles qui auraient vécu la même histoire… ou voudraient trouver des cadeaux de Noël pour leurs petits-cousins de quatre à dix-huit ans ! Bonne lecture 🙂
J’ai eu le privilège immense, je m’en rends compte aujourd’hui, de naître dans une famille de lecteurs ; et qui plus est, de lecteurs au fort caractère. Aucun repas collectif n’échappant aux histoires-de-l’enfance-de-Camille, j’entends encore régulièrement le récit de comment, à l’âge de quatre ans, j’ai fait un véritable scandale parce que mon père s’était endormi en me faisant la lecture.
C’est justement à l’âge de quatre ans que j’ai commencé à apprendre à lire. J’étais alors scolarisée dans une école Montessori, dont la pédagogie originale laissait énormément de liberté aux élèves ; liberté que j’utilisais essentiellement pour passer mes journées à jouer avec une ferme miniature. Probablement exaspérées par mon absence d’ambition intellectuelle, les maîtresses de primaire ont donc décidé, contre mon gré, de m’apprendre à lire. Cela eut le triple effet de me détourner de la ferme, de me faire tomber amoureuse de la lecture et, au-delà de m’inciter à lire des histoires, de me donner aussi envie d’en écrire.
Aux alentours de mes six ans, et au milieu des bandes dessinées et des albums Star Wars de mon père, j’ai découvert la série La Cabane Magique de Mary Pope Osborne. En plus de cinquante tomes, elle y décrit les aventures de Tom et Léa, neuf et sept ans, qui parcourent l’espace et le temps de la Préhistoire jusqu’à l’élection de Lincoln. La Cabane magique m’a initiée à la légende du roi Arthur et a été à l’origine de mes premiers coups de cœur. Après avoir lu le tome 20 qui parlait de William Shakespeare, je me suis prise de passion pour lui. J’avais six ans, et je connaissais par coeur l’histoire de William Shakespeare, dessinais William Shakespeare – avec un manque de talent suffisamment impressionnant pour être noté – et citais William Shakespeare – sans en avoir jamais lu une seule ligne, cela va de soi.
Puis, à huit ans, après avoir harcelé sans succès mes parents pendant des mois pour me laisser voir les films tirés de Harry Potter de J.K. Rowling, j’ai finalement eu le droit d’en ouvrir les livres. C’était un soir d’Halloween. Le lendemain matin, j’ai couru réveiller mon père pour lui parler, avec un enthousiasme débordant, des chapitres que j’avais lu la veille, en en citant le moindre élément avec des yeux émerveillés. Le Noël suivant a été magique : ma chambre s’est transformée en un véritable Poudlard entre peluche de chouette, balais en plastique et robe de sorcier – qui me sert toujours de robe de chambre aujourd’hui. Au fil des années, ma passion s’est étoffée : j’ai eu la chance d’assister à une exposition, de lire le huitième tome le jour de sa sortie en Australie, et de redécouvrir la saga en anglais.
Au long de ces années, j’ai écrit, aussi. Aux petites nouvelles de mes six ans, s’est substitué mon premier roman achevé à l’âge de huit ans, un plagiat complet de Harry Potter avec héroïne féminine – je l’avais appelé Eyt – et après rectification des détails que je n’aimais pas. Inspirée par mes découvertes et de mes voyages, des mythes gréco-romains au Seigneur des Anneaux, j’ai ensuite écrit beaucoup d’heroic fantasy ou de fantastique. À l’âge de dix ans ensuite, j’ai découvert le théâtre, entraînée par mon père qui chaque soir me lisait du Molière, du Giraudoux ou du Rostand.
Mais la véritable révolution s’est produite en 2012. J’avais alors douze ans et ma professeur de français avait organisé un tournoi de lecture tout au long de l’année – que j’ai gagné en lisant l’intégralité des livres proposés, et en ruinant mes parents au passage. Et puis j’ai entendu parler, en lisant le périodique le Journal de Mickey, d’un Grand Prix des Lecteurs. Seize adolescents seraient sélectionnés pour lire un ensemble de neuf livres en trois mois et désigner un gagnant, tandis que leurs critiques paraîtraient dans le Journal. Tentée comme je l’avais rarement été par un projet, j’ai postulé en envoyant une critique du Roi Arthur de Michael Morpurgo, un de mes romans préférés à l’époque. Choisie pour intégrer ce jury, j’ai découvert avec stupéfaction qu’on nous invitait à Paris pour rencontrer des auteurs, et qu’on nous offrait même des livres !
Ce Grand Prix a changé ma vie. J’y ai fait la connaissance d’un vieil ami, Guillaume Benech, aujourd’hui auteur publié, avec lequel j’ai créé un magazine culturel et qui m’a sensibilisée à l’idée qu’un adolescent pouvait aussi s’engager pour ses passions. J’ai aussi vu ma vision de la lecture changer du tout au tout : en rencontrant des auteurs, en réunissant au sein de la critique mes passions pour la lecture et pour l’écriture, je pouvais enfin en devenir une actrice.
Les années qui ont suivi, j’ai commencé à tenir un journal de mes lectures. Dans un Livre à Idées, j’écrivais une critique de chacun des 180 voire 200 livres que je lisais en une année. J’ai également commencé à fréquenter des salons et à entretenir une correspondance avec des auteurs, comme l’époustouflante Amélie Nothomb, ou dans un registre plus jeunesse, l’adorable Christophe Mauri. En 2015, j’ai créé mon propre prix littéraire avec des amis, le Prix du Livre sans Frontière, en partenariat avec la chaîne de librairies Decitre. Cette même année, j’ai découvert l’existence, sur YouTube, de chaînes parlant exclusivement de littérature. J’ai alors ouvert ma chaîne BookTube, et intégré cette communauté foisonnante. Pendant un an, j’ai tiré mes idées de lecture de BookTube, rencontré des amis, participé à des projets, adopté le jargon, établi des partenariats avec des maisons d’édition et interviewé des auteurs – de Sorj Chalandon à Béatrice Bottet en passant par Laurent Gaudé.
En parallèle, je m’ouvrais au monde littéraire de mes parents ; ma mère m’a fait découvrir l’auteure anglaise Jane Austen – je suis heureuse de dire aujourd’hui que ma première source de conflit avec mes parents concerne notre préférence pour Orgueil et préjugés ou Emma – et mon père m’a apporté un jour une pile des quinze livres qui avaient changé sa vie. Parmi eux, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, qu’il m’avait lu quand j’avais dix ans, est devenu mon livre préféré. Parmi eux, aussi, Daddy et Jaraï de Loup Durand, deux romans trop méconnus mais époustouflants qui, dans un fond de Seconde guerre mondiale et de Cambodge sous les khmers rouges, évoquent un formidable réseau de solidarité. Cette idée a considérablement inspiré mon père, puis moi à travers lui, comme si j’avais eu pour mission de faire de cette fiction une réalité. En 2016, j’ai donc envoyé un véritable plaidoyer à l’auteure Amélie Nothomb, une personnalité hors du commun, en lui demandant de tout faire pour republier Daddy. Ce fut fait, aux Editions France Loisirs, la même année.
Mais c’est aussi en 2016 que tout ceci s’est brisé. Je sortais de mois de convalescence suite à un pied cassé et une énorme entorse et je n’avais jamais autant lu. Et puis je suis entrée en Première scientifique ; le travail scolaire s’est substitué aux heures de lecture. Comme j’avais cessé de lire, j’ai aussi cessé d’écrire, en tournant la page d’un roman achevé, puis recommencé par trois fois, et pour lequel une maison d’édition s’était déclarée intéressée avant que tout s’arrête, par manque de temps. C’en est devenu un cercle vicieux : moins je lisais, moins je lisais ; car quand on n’a pas le temps, on cherche tant à trouver le livre parfait pour rentabiliser chaque seconde qu’on finit par ne plus rien lire du tout pour ne pas être déçue.
Je ne lis plus qu’en vacances, désormais, et toujours les mêmes ouvrages qui sont comme des vieux amis que je redécouvre en sachant que je serai à nouveau emportée. À ma demi-heure d’écriture quotidienne s’est substituée une demi-heure de sport ; les tests de personnalité me traitent d’extravertie alors que voilà deux ans, je pouvais encore lire mille pages en un week-end, sans voir personne et pour réussir un challenge. Je n’écris plus que des discours, des extraits de romans que je ne poursuis jamais, des articles parfois. Tant la lecture que l’écriture sont devenus comme cet ex ou cette ex qu’on regrette d’avoir quitté en sachant que c’est notre faute, sans regretter le chemin parcouru depuis mais qu’on aime encore.
Alors si vous êtes arrivé jusqu’ici, lisez et ne faites pas la même erreur. Ne faites pas comme moi qui ai cherché le temps : prenez-le. Qui plus est, selon une étude canadienne, lire six minutes par jour réduit le stress de 60%, et Montesquieu, au-delà d’être cité à chaque cours de droit constitutionnel, disait aussi, “Une heure de lecture est le souverain remède contre les dégoûts de la vie”.
Je n’aurais jamais dû arrêter de lire.
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