Par Emma Reillon
En tentant de trouver un ton pour écrire cet article, je me suis retrouvée face à une impasse. L’opinion autour du mouvement des Gilets jaunes est polarisée de façon très politisée. Il éveille en général le mépris chez les classes les plus aisées et on pourrait dire une passion, une fièvre enthousiaste, la satisfaction d’être finalement entendu chez les classes populaires. Certes, il y a une part de caricature dans mes mots, mais peut-être est-il le reflet du manque d’objectivité général qui entoure ce sujet, tant celui-ci touche à nos “je sais pas”. Cela fait qu’il est difficile de rester de marbre face à la dégradation de l’Arc de Triomphe de la même façon qu’il est difficile d’avoir un avis objectif sur les revendications des manifestants concernant les pensions de retraites, la demande de rétablissement de l’ISF, tant elles sont empreintes d’émotion.
Lorsque Édouard Philippe déclare engager un moratoire sur les taxes de carburant entraînant encore plus de colère de la part des manifestants, il paraît évident que ce mouvement de protestations s’est transformé et qu’il est devenu l’expression générale d’une fatigue, le reflet des difficultés que rencontrent des millions de français. Comment peut-on simplement voir ce mouvement comme n’étant que violence envers les institutions, envers les services publics, et mépriser ceux que l’on appelle vulgairement “beaufs” lorsqu’ils affirment ne plus avoir l’intention de passer Noël en famille pour continuer le blocage, continuer la lutte ? Le ton est populaire, il est direct – peut-être méprisable et incohérent – mais il n’en est pas moins réel, pas moins représentatif de ce qu c’est d’être français et surtout pas moins légitime.
Voir se lever des milliers de français contre leur gouvernement sans initiative syndicaliste au préalable, sans l’intervention de parti politique mais sous le seul consensus du ras-le-bol se doit d’être noté. Dire que ces hommes et ces femmes ne sont que des prolétaires qui n’ont rien compris est peut-être correct lorsqu’il s’agit de parler de leurs actions dans les rues de Paris ; mais encore une fois, lorsqu’on s’intéresse de plus près aux revendications de ces manifestants, il semblerait au contraire qu’ils soient en train de revendiquer des injustices concrètes. Le fait qu’ils choisissent de continuer leur acte de mobilisation, que la colère se répande jusque dans les lycées désormas, ne peut se résumer à “une révolte populiste déraisonnée”. Certains diront France à deux vitesses, d’autres que l’oppression capitaliste a cette fois été trop loin : peu importe la placement sur l’échiquier politique, la conclusion semble la même : une partie de la population en a marre et on dirait bien qu’elle n’a pas décidé de se taire de si tôt.
Oui, on pourrait dire que ces lycéens n’attendaient qu’une occasion pour louper les cours, qu’ils ne sont qu’une bande de petits cons sans aucune vision concrète de la société dans laquelle ils vivent. Certains s’opposeront à leur mobilisation en rappelant qu’ils vivent dans une société basée sur le modèle d’un état providentiel qui permet l’éducation publique, l’accès au soin, la sécurité sociale, l’aide au logement et que chacun doit veiller à en être le premier défenseur. Là n’est pas la question. Là n’est plus la question. Aujourd’hui, je me demande et me questionne sur des jeunes prêts à prendre des flashballs en plein visage. Je ne crois pas qu’on puisse en venir à la violence quand la violence n’est pas venue dans un premier temps à nous. Aussi je me questionne sur des CRS qui mettent à genoux des lycéens face au mur, et je remets ces actes en parallèle avec la société dans laquelle nous sommes censés vivre. Est-ce bien la mission des forces de l’ordre que d’agir de la sorte?
Je n’ai pas en tête les chiffres d’échec scolaires de la Seine-Saint-Denis et je les citerais plus tard ; là le flow de l’écriture me traverse alors je le laisse parler. Je n’ai pas non plus en tête le taux de criminalité juvénile des zones périphériques à Paris mais il semblerait qu’il témoigne d’un État qui a failli, failli ses citoyens. La qualité d’enseignement que reçoivent les jeunes de banlieue n’est aujourd’hui pas celle que reçoivent les jeunes d’Henri IV. La sacro-sainte égalité devant les droits n’est présente que sur le contrat et c’est d’ailleurs probablement la revendication majeure que portent les gilets jaunes aujourd’hui. Oui, l’État français est un rêve sur le papier, il fait frétiller n’importe quel étudiant en droit constitutionnel tant il se veut providentiel dans moulte domaines. Pensons ici à la présence de la protection de l’environnement dans le préambule de notre Constitution. Sur le papier, cela donne les larmes aux yeux tant notre Constitution reflète une prise en compte des besoins économiques et sociaux d’une société.
Pourtant aujourd’hui, c’est un hôpital de région qui ferme ; des gares qui sont supprimées ; des kilomètres à parcourir pour trouver un praticien dans certaines zones rurales. La liste est longue, dramatique et je pourrais lui donner un côté plus pathétique s’il le fallait mais là n’est pas le but de mon article. Non, mon objectif ici est davantage d’essayer de donner sens à ce mouvement qui semble grossir et se renforcer, sans le regarder avec mépris et sans m’en servir pour dénigrer la politique de Macron. De mon côté, je regrette plutôt la violence, celle des casseurs, de certain manifestants, des CRS, et des propos en général parce qu’il desservent à mon avis une colère légitime. Oui, les casseurs sont des bêtes animales qui se contrefichent du bien public, mais les manifestants ne partagent normalement pas cet état d’esprit. Comme on l’a déjà dit, il n’est plus question d’une simple taxe sur le carburant, il s’agit d’un malaise général. Un ISF supprimé, un kérosène non taxé, alors que les salaires n’augmentent pas au rythme de l’inflation et que la taxe sur le carburant augmente. La transition écologique est une évidence mais elle ne peut être le fardeau de la classe moyenne seule.
Je ne rentrerai pas dans la dichotomie qui oppose pauvres et riches. Je n’ai pas de convictions politiques assez sérieuses et engagées ; ma compréhension de la situation ne reste que trop générale pour pouvoir affirmer que le gouvernement méprise ses citoyens les plus pauvres. Néanmoins, il ne faut pas avoir fait de thèse sociologique sur la politique en France pour comprendre que si rien n’est fait, la colère ne peut que se renforcer, et légitimer les forces politiques aux extrêmes. D’autant plus que ces dernières semaines, la désinformation autour des manifestations est toujours plus forte, envahit les réseaux sociaux et offre le champ libre aux forces de droite comme de gauche pour y aller de leur récupération politique.
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