Alors que sous l’effet du changement climatique, les feux de forêts se multiplient dans le monde, les autorités font trop souvent le choix de fermer les yeux sur un phénomène désastreux. Si les conséquences des incendies sont déjà tangibles, et alarmantes, l’immobilisme prolongé des gouvernements pourrait bien, à terme, compromettre le sort de l’humanité tout entière.
Sa phrase a marqué les esprits. Elle a été reprise, maintes et maintes fois et est reconnue comme une des premières prises de conscience à propos du réchauffement climatique et de ses conséquences. « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs » avait alors déclaré le président français, Jacques Chirac, lors du Sommet de la Terre tenu à Johannesburg en 2002. Force est de constater que l’exhortation du président français est plus que jamais d’actualité. Dix-sept ans après ce célèbre discours, deux constats sont en effet criants : d’un côté, notre maison brûle toujours, et de l’autre, nous regardons toujours ailleurs. Les feux de forêts qui ont récemment ravagé l’Amazonie ont permis une plus grande considération du problème ; mais prenons garde à ce que cet événement médiatique n’en soit pas, finalement, qu’un parmi tant d’autres. Car si la ferveur journalistique et l’engouement des réseaux sociaux peuvent rapidement s’éteindre, les flammes, au contraire, ne tarissent pas.
Les incendies en Amazonie ont particulièrement touché l’opinion publique du fait de la portée symbolique des événements. Il n’est pas anodin que l’on ait surnommé la région le « poumon de la planète » ; en elle-même, la plus grande forêt du monde est tout un symbole. Elle nous rapproche et nous unit dans la même cause. Malgré ce que Bolsonaro et ses disciples voudraient nous faire croire, l’Amazonie n’est ni l’apanage du Brésil, ni un bien exclusif. Traversant les frontières, apprivoisant d’oxygène le monde entier, l’Amazonie est internationale dans son essence, et transcende l’idée même de nation. Souhaitons que son symbole, au lieu de les éclipser, mette en lumière les autres phénomènes comparables.
Car les feux de forêts ne sont malheureusement pas un cas exclusif au continent sud-américain. Il suffit de porter notre regard à l’échelle internationale pour observer l’ampleur du drame écologique auquel nous assistons. L’Amazonie cache des réalités similaires, comparables tant dans leurs causes que dans leurs conséquences. Sans rien enlever aux louables intentions des lanceurs d’alertes ayant porté le cas amazonien jusqu’aux portes du débat public, il serait également – voir même davantage – pertinent d’élargir notre perspective aux autres cas d’incendies à travers le monde, qui, si peut-être moins symboliques, n’en sont pas moins terriblement importants. De la Sibérie au bassin du Congo, des terres du Canada jusqu’à l’archipel indonésien, les feux de forêts consument des territoires chaque jour plus grands. Le rythme effréné avec lequel ces incendies se chargent de calciner la surface de la planète est effroyable : chaque seconde, pas moins de 11 hectares de forêts partent en fumée, soit l’équivalent de plus de 15 terrains de football. Ces chiffres nous obligent à nous pencher sérieusement sur la question.
Sur la carte, créée à partir des données de la Nasa, nous pouvons voir les principaux foyers de départ de feu dans le monde au cours de ces dernières années. Si cette liste se veut loin d’être exhaustive, cinq régions ont particulièrement été en proie aux incendies: (1) Sibérie (2) Canada (3) Amazonie (4) Bassin du Congo (5) Indonésie.
Au-delà de la singularité de ces incendies, que ce soit dans leurs causes ou leur envergure, il est en revanche une variable constante, que l’on retrouve dans chaque cas : le manque évident de moyens déployés par les gouvernements. Une analyse de ces feux de forêts met rapidement en lumière cette affligeante régularité.
Quand les autorités regardent ailleurs
Dans certaines régions du monde, les feux de forêts sont un phénomène récurrent, voir habituel. La régularité et l’origine naturelle des incendies y font alors souvent naître un sentiment d’indifférence générale. Cependant, alors que la régularité de ces feux ne les rend pas moins inoffensifs, l’inaction des autorités les rend définitivement plus destructeurs.
La Sibérie (1) offre un triste exemple de cette réalité répandue. La région, l’une des plus froides du monde est, chaque année, en proie à d’immenses feux de forêts. Causés par des facteurs naturels, tels que des orages secs et des températures anormalement hautes, ces incendies sont aggravés par le réchauffement climatique, qui en déréglant chaque jour davantage ces mêmes facteurs naturels, participe à accentuer le phénomène. L’été 2019 a été marqué par des feux d’une ampleur considérable, une situation « sans précédent » selon l’organisation météorologique mondiale (O.M.M.), le service de surveillance météorologique et climatologique de l’ONU. Malgré les cris d’alertes des écologistes, les autorités russes n’ont, dans un premier temps, démontré aucune volonté d’action. Le gouverneur d’une région touchée par les flammes déclarait notamment en juillet dernier que les incendies, parce qu’ils étaient le fruit d’un phénomène naturel courant, ne justifiaient pas l’intervention de forces pour les éteindre. Il aura fallu une mobilisation soutenue des internautes, associée aux cris d’alertes des organisations environnementales, pour faire remuer les autorités russes. Sous la pression, Vladimir Poutine avait mobilisé l’armée afin de lutter contre les flammes. Une décision « assez tardive » qui ne changea pas « fondamentalement » la situation, selon un responsable de l’ONG Greenpeace, qui regrette que les autorités soient intervenues trop tard. L’inaction prolongée des autorités aura abandonné aux flammes plus de 3.3 millions d’hectares, soit une surface supérieure au territoire de la Belgique.
Quelques centaines de kilomètres à l’ouest, des feux de forêts historiques ravagent également le Canada (2), notamment la région de la Colombie-Britannique. Au cours des deux derniers étés, elle a vu partir en fumée près de 2.5 millions d’hectares de forêts, soit plus que dans tout le précédent quart de siècle. En cause le plus souvent: des orages à l’origine de foyers d’incendie se propageant ensuite aux forêts des alentours. Si la violence rarissime des derniers feux a poussé les autorités locales à investir davantage dans la lutte contre les incendies, beaucoup déplorent l’insuffisance des moyens mis en œuvre. Dénonçant les investissements timides des autorités, le président du Conseil des pratiques forestières de Colombie-Britannique, Kevin Kriese, déclarait « qu’il est clair qu’on n’en fait pas encore assez ». Une exhortation de plus à considérer le problème des feux de forêts à sa juste valeur.
Si les gouvernements se voient contraints de déployer des moyens pour éteindre des incendies d’origine naturelle, il est fréquent qu’ils soient eux-mêmes responsables de ces incendies. En soutenant les industries à l’origine des feux, et en faisant peu cas d’endiguer la conquête des flammes qui s’en suit, les autorités se transforment en véritables pyromanes, consumant ainsi leur propre territoire.
Quand les autorités brûlent leur propre maison
Reprenons l’exemple amazonien (3). Loin d’être naturels, les feux de forêts sont la conséquence d’une activité humaine intense – et intensifiée depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Le président brésilien, en donnant carte blanche à l’industrie agroalimentaire de poursuivre sa percée dans le cœur de l’Amazonie, a ouvert la voie aux pratiques les plus destructrices. En cause notamment, la pratique de la culture sur brûlis, qui consiste à incendier volontairement des parcelles de forêts afin de défricher la zone et permettre l’exploitation agricole des sols. Les feux ainsi créés, dont l’extinction volontaire relève quasiment de l’impossible, se propagent alors aux territoires alentours, ravageant les forêts et toute la faune et la flore s’y trouvant.
La pratique du brûlis est répandue à l’échelle planétaire, et se retrouve notamment sur le continent africain, qui concentre les plus grands feux de forêts. (4) D’après les données de la Nasa, les incendies en Afrique subsaharienne représentent en effet 70% de la superficie de forêt brûlée dans le monde. Dans le bassin du Congo, deuxième surface forestière du globe, la pratique de la culture sur brûlis est couramment utilisée par les agriculteurs locaux afin de défricher les terres. Les autorités, à la lumière des gains économiques, et ne souhaitant pas s’attaquer à une pratique ancestrale, sont le plus souvent réticentes à s’y opposer, acceptant ce désastre environnemental dans un silence complet.
Dans ce tableau inquiétant, l’Asie n’est pas sans reste. La folie pyromane touche notamment l’Indonésie (5) et consume jour après jour son immense capital environnemental. Transformé en un brasier géant, le plus grand archipel du monde voit sa faune et sa flore réduites à néant par l’industrie de l’huile de palme. Sous son impulsion, les feux des terres destinées à la culture de cette huile à bas-coût se sont multipliés ces dernières années, menaçant à la fois l’existence de populations locales et contribuant à l’extinction d’espèces animales protégées. Dans un billet publié dans le Guardian, l’universitaire et journaliste George Monbiot sonnait l’alarme d’une situation qu’il considérait être « le plus grand désastre écologique du XXIème siècle ».
Ces feux de forêts sont à bien des égards alarmants. En plus de représenter une menace majeure pour les populations locales, la biodiversité et les espèces animales protégées, les incendies, en émettant de larges quantités de dioxyde de carbone, participent activement au réchauffement de la planète. Selon une note de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), les feux de forêts seraient responsables de 25% à 30% des émissions totales de gaz à effet de serre ; en notant que l’Afrique subsaharienne représente un tiers de ce pourcentage, devançant l’Amazonie. Le problème est que ces phénomènes s’auto-alimentent dans une boucle de rétroaction positive : les feux de forêts accentuent le réchauffement climatique qui à son tour favorise le départ des incendies. Les conséquences dramatiques de l’inaction des gouvernements n’iront donc chaque jour qu’en progressant.
Les solutions pour enrayer cette inquiétante évolution ne sont ni nombreuses ni compliquées. Il conviendrait en premier lieu de purement et simplement stopper la déforestation, le moteur de tout cet engrenage dévastateur. Ensuite, comme l’ONG Greenpeace le préconise depuis des années, il s’agit de « réhumidifier, restaurer et régénérer » les zones critiques affectées par les flammes.
Les autorités et décideurs publics sont donc au premier rang de cette action, mais l’élan de changement doit cependant mobiliser l’engagement commun de toute la société. Les exemples des incendies en Sibérie et en Amazonie ont démontré que la responsabilité des gouvernements n’échappe plus à la vindicte de l’opinion publique – c’est effectivement bel et bien sous la pression des réseaux sociaux et de la société civile que Poutine et Bolsonaro furent contraints d’agir contre les flammes. Lorsque l’immobilisme des personnes aux pouvoirs condamne la planète, l’engouement populaire apparaît alors à même de renverser la tendance.
L’épisode des incendies en Amazonie a ouvert une discussion importante au sujet des feux de forêts, une discussion dont l’intensité risque peu de faiblir. Les effets du changement climatique, en créant des conditions favorisant les départs de feux, ne vont en effet rendre les cas d’incendies que plus fréquents et plus impressionnants encore. Il sera alors possible d’observer si les gouvernements sont à la hauteur de l’urgence écologique qui se déroule sous nos yeux.
Pour aller plus loin:
–https://www.planetoscope.com/forets/903-hectares-de-terres-detruits-dans-le-monde-par-des-incendies.html
–https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1125661/feux-foret-manque-investissement-nettoyage-prevention
–https://www.consoglobe.com/indonesie-orangs-outans-cg
–https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Amazonie-Bolsonaro-seul-contre-tous-2019-08-24-1201042839
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