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Après une relation marquée par des débuts difficiles, le président français a entamé une vaste politique de rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine. Ce virage diplomatique n’est cependant pas sans rencontrer de résistances. C’est le point de vue de Damien Jahan, rédacteur de la section International.

Le président français Emmanuel Macron et son homologue russe, Vladimir Poutine, le 24 mai à Saint-Pétersbourg.

Le monde entier a le regard tourné vers l’est. Vers la Chine, en particulier, mais pas uniquement. Si la fulgurante ascension chinoise, décrite par Titouan Le Bouard dans un précédent article, est devenue l’une des priorités diplomatiques de l’Union Européenne, la Russie suscite elle aussi une attention particulière. L’enjeu diplomatique russe est capital, et chacun optera pour sa stratégie de dialogue idéale. Macron a choisi la sienne, celle du rapprochement.

Depuis maintenant quelques mois, Emmanuel Macron entreprend de renouer les liens diplomatiques entre la France et la Russie. Il faut le noter, ceux-ci n’ont pas été démarré sous les meilleures auspices lors de l’arrivée au pouvoir du dirigeant français. L’ingérence russe lors de l’élection présidentielle de 2017 est un fait établi et il est certain que Vladimir Poutine aurait préféré voir François Fillon ou Marine le Pen s’assoir à la table des négociations. Aussitôt président, le jeune Emmanuel Macron n’avait pas manqué de dénoncer les manœuvres manipulatoires de certains médias russes pendant la campagne. Lors d’un Congrès à Versailles en mai 2017, auquel il avait convié le dirigeant russe, le président français déclarait ainsi : « Quand des organes de presse répandent des contre-vérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence pendant cette campagne qui ont, à plusieurs reprises, produit des contre-vérités sur ma personne et ma campagne. » Il établit ainsi un premier rapport de force et affiche sa détermination face à un homologue russe habitué aux confrontations musclées. Un moyen de rappeler au dirigeant russe que le président français entend bien ne pas se laisser manipuler par le tentaculaire réseau d’espionnage russe. En somme, son message trahissait une position éminemment défensive.

Cette position reflète le positionnement historique de l’Union Européenne et de son allié américain, ou tout du moins le reflétait avant la sympathie évidente de Trump pour le régime russe. Après l’occupation militaire de la Crimée en 2014, les relations avec l’Occident se sont fortement durcies. Exclue du G8, la Russie dut également subir des sanctions économiques qui ralentirent considérablement son économie. Cette tension se retrouve également dans l’inquiétude grandissante des pays du Nord de l’Europe qui s’estiment en première ligne des potentielles attaques russes, en raison de leur proximité géographique. En contraste frappant avec cette attitude partagée de méfiance vis-à-vis de la Russie, Emmanuel Macron promeut la réconciliation et l’entente cordiale, affirmant qu’il est temps de « repenser notre lien avec la Russie. »

Ce « changement total de stratégie », comme le décrit le Journal du Dimanche, commença dès le mois de mai dernier, lorsqu’Emmanuel Macron se disait favorable au retour de la Russie au sein du Conseil de l’Europe chose faite depuis le mois de juin. Cette question avait alors profondément divisé les experts et la société civile opposés à cette idée. Peu après, lors du G7 tenu en juillet à Biarritz, Macron déclarait supporter l’idée de voir la Russie réintégrer l’organisation dans un futur plus ou moins proche. Ce rapprochement se poursuivit lors de la visite très médiatisée de Vladimir Poutine à la résidence d’été présidentielle de Brégançon. Les deux hommes y échangèrent compliments et gestes amicaux dans une mise en scène quasi-théâtralisée.

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron au fort de Brégançon, en août dernier. Devant des dizaines de journalistes, Poutine félicite le couple présidentiel pour leur bronzage: « Vous avez un teint parfait. »  Il les remercie également pour l’avoir invité dans un « endroit magnifique ». Des paroles finement interprétées par les deux hommes.

Peu après cette visite inédite du dirigeant russe, le président français présenta sa vision de la diplomatie française aux ambassadeurs réunis pour l’occasion. Son discours représentait sûrement l’affirmation la plus directe et assumée de son virage pro-russe. Il plaida pour une normalisation des relations avec la Russie, déclarant notamment que « pousser la Russie loin de l’Europe est une profonde erreur ». Il dénonça également, dans une formule vivement commentée, la résistance opposée à ce mouvement de réconciliation par « l’Etat profond » des deux pays, coupable selon lui de bloquer volontairement le processus de rapprochement.

Face aux réticences affichées d’un groupe influent de diplomates français, Emmanuel Macron fait le pari de rapprocher la France, et a fortiori l’Union Européenne, du pays de Vladimir Poutine. Autrement appelés « la secte » du Quai d’Orsay, ces diplomates souhaitent maintenir une fermeté maximale envers la Russie.. Dès lors, comment expliquer le tournant diplomatique du président, à la lumière d’une forte opposition à son projet? Trois principales raisons motivant ce virage pro russe se dégagent/dessinent :  la première liée au conflit ukrainien, la seconde répondant à la montée en puissance de la Chine, et la troisième concernant la convoitise du leadership européen en termes de politique étrangère par le président français.

Une solution d’apaisement dans le contexte du conflit ukrainien

La première explication est conjoncturelle et concerne les bénéfices d’une relation renforcée avec la Russie dans un contexte d’escalade de tensions avec l’Ukraine, notamment en Crimée. Depuis son invasion militaire et annexion en 2014 par la Russie, cette zone semble avoir concentré les conflits de la région. Dans la zone géographique du Donbass, à l’est de l’Ukraine, la guerre contre les séparatistes pro-russes continue de faire rage. Avec un bilan humain s’élevant à plus de 13 000 morts, cette « guerre oubliée » est l’un des conflits les plus importants de ce vingt-et-unième siècle.

Pourtant, les deux pays tireraient des bénéfices certains à mettre un terme à ce coûteux conflit. Le monde entier a également intérêt à trouver une solution assurant paix et stabilité au Donbass. Emmanuel Macron fait le pari qu’un rapprochement avec la Russie permettrait d’entrevoir l’espoir d’un rétablissement de la paix dans la région, grâce à des négociations plus poussées entre les différentes parties impliquées. La récente tenue d’un sommet réunissant l’Ukraine et la Russie semble attester de l’efficacité de cette stratégie. Le 9 décembre dernier, pour la première fois depuis 2016, un sommet sur le conflit en Ukraine s’est tenu à l’Elysée. Sous l’égide d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel faisant office de médiateurs, les dirigeants russe et ukrainien ont discuté d’un processus de paix. Ils ont cependant rappelé leurs conditions et réserves à un terrain d’entente. Si ce sommet historique n’a pas permis d’obtenir un accord, les deux dirigeants ayant fermement campé sur leurs positions, le simple fait qu’une rencontre ait eu lieu témoigne déjà une avancée remarquable. Cette éclaircie dans le conflit est-ukrainien  motivera sûrement la poursuite du rapprochement avec la Russie entamée par le président français.

L’ombre menaçante du géant chinois

La seconde explication de ce virage pro russe provient du risque de voir la Russie tomber aux mains d’une Chine qui projette d’étendre son influence sur le reste du monde de manière soutenue. C’est un scénario que l’Union Européenne souhaite éviter, car elle en résulterait définitivement affaiblie.

Depuis 2014, la Russie de Vladimir Poutine ne cesse de s’éloigner de l’Europe et de l’Ouest pour se rapprocher de l’Orient et de la Chine. Le rapprochement russo-chinois semble remettre en cause de l’ordre mondial établi, et mettre en garde les Etats-Unis et l’Otan, incluant la France comme un des acteurs principaux. La fréquence des visites d’État des deux dirigeants illustre ce rapprochement. En six ans, Vladimir Poutine et Xi Jinping se sont en effet rencontrés à vingt-neuf reprises. Les deux pays ont ainsi pu renforcer leur partenariat économique et signer des dizaines d’accords de coopération.

Si l’Union Européenne n’entreprend pas de se rapprocher de la Russie à son tour, il est probable que cette dernière concentrera ses efforts sur la construction d’une alliance orientale avec la Chine et que l’Union y soit perdante. Quoiqu’il en soit,  le président estime en effet que « pousser la Russie loin de l’Europe », et donc dans les bras de la Chine, serait une grave erreur stratégique. La Russie a toujours été un pont entre l’Europe et l’Asie. Il serait dommageable de voir la partie occidentale de ce pont s’écrouler.

Le pari opportuniste d’un président ambitieux

La dernière explication est liée aux intérêts de l’Union Européenne et au rôle que le président français projette d’endosser dans le projet européen. L’ouverture diplomatique vers la Russie représente pour Emmanuel Macron une opportunité formidable d’affirmer son statut de leader de l’Union, en véritable chef de file de la politique étrangère européenne. L’objectif à long terme est bel et bien de promouvoir l’autonomie stratégique de l’Union Européenne, et de redonner à l’alliance une certaine prestance internationale. C’est dans cette optique qu’il faut également considérer sa récente déclaration sur l’état de OTAN, en « mort cérébrale » selon lui. Cette déclaration peu anodine reflète la stratégie que le dirigeant français envisage pour l’Europe. Cette stratégie, n’en déplaise aux américains et à l’aile conservatrice du Quai d’Orsay, passe par la préservation des intérêts européens avec la Russie. Comme l’analyse Jean-Christophe Gallien, politologue et enseignant à l’université de Paris Sorbonne, il s’agit d’une « réelle opportunité pour la France, avec Emmanuel Macron en ‘Captain Europa’ diplomate, de démontrer son leadership européen et la légitimité de sa vision diplomatique ».

Le président français saura-t-il mener à bien son ambition diplomatique ? Nombreux peinent à y croire. La liste des obstacles à surmonter avant de « normaliser » les relations avec la Russie reste encore bien trop importante. De la question épineuse des droits de l’homme, aux bombardements aveugles en Syrie, en passant par l’annexion de la Crimée, les réserves exprimées paraissent légitimes. Cependant, il semble que ces oppositions ne peuvent résister à l’urgence de rétablir la paix au Donbass. S’il ne faut montrer ni complaisance envers la Russie, ni naïveté envers la stratégie du dirigeant français, on ne peut reprocher à ce dernier de vouloir mettre fin à un conflit que l’Europe a trop souvent négligé.

Pour aller plus loin :

https://www.institutmontaigne.org/blog/china-trends-3-politique-etrangere-ce-que-la-russie-apporte-la-chine

https://www.euractiv.fr/section/elections/news/comment-la-france-a-contre-lingerence-russe-dans-la-campagne-presidentielle/

https://www.lejdd.fr/International/emmanuel-macron-continue-son-virage-pro-russe-3930100

https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/monde/comment-emmanuel-macron-manoeuvre-pour-rapprocher-la-russie-et-leurope-113896

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/20/a-bregancon-emmanuel-macron-tend-la-main-a-la-russie-profondement-europeenne_5500861_3210.html

https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-28-aout-2019

https://www.euractiv.fr/section/politique/news/donbass-la-guerre-oubliee-en-europe/

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/10/conflit-russo-ukrainien-le-sommet-de-paris-renoue-le-dialogue-sans-permettre-d-avancees-politiques_6022277_3210.html

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Damien Jahan

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