Censure, arrestations, emprisonnements, assassinats… ces formes d’intimidations sont-elles en passe de se banaliser ? Est-ce dorénavant le prix à payer pour pouvoir fournir une information libre et exacte ?
Nous sommes en 2020. En quelques années, les journalistes ont connu une atteinte à leurs libertés sans précédent, et ce notamment dans les zones géographiques les plus épargnées jusqu’alors. L’Occident, entre autres, frappé de plein fouet par la montée des populismes et la défiance à l’égard des journalistes, est sur la pente douce.
Octobre 2017, Malte : la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia est assassinée suite à ses révélations concernant la corruption des autorités.
Juin 2018, États-Unis : cinq journalistes du Capital Gazette sont tués lors d’une fusillade, par un homme furieux d’avoir été ciblé par un article.
Novembre 2018, toujours aux États-Unis : Jim Acosta, reporter pour CNN, se fait retirer son accréditation, sur ordre de Donald Trump.
Novembre 2019, France : plusieurs journalistes de la chaîne BFM TV sont insultés par des manifestants du mouvement des Gilets Jaunes, et contraints à exercer leur métier accompagnés de gardes du corps.
2019, Italie : le ministre de l’Intérieur et chef du parti de la Ligue, Matteo Salvini, suggère le retrait de la protection policière du journaliste Roberto Saviano, célèbre pour ses révélations sur la mafia italienne), suite à ses critiques à l’encontre de Salvini.
Le nombre de pays considérés sûrs pour les journalistes ne cesse de décliner, pour atteindre seulement 8% en 2019, selon Reporters Sans Frontières.
Pour la première fois de leur histoire, les États-Unis sont désormais considérés comme étant témoin d’un climat médiatique “problématique”, tandis que l’Europe enregistre un recul de plus de quatre points en matière de “liberté de la presse” entre 2013 et 2019.
S’il est indéniable que la situation en Amérique du Nord et en Europe se détériore, l’emprise grandissante des régimes autoritaires sud-américains, asiatiques, africains, ou moyen-orientaux n’en est pas moins inquiétante.
De toutes les régions du monde, c’est l’Amérique du Sud, qui a encaissé la baisse la plus considérable du niveau de liberté de la presse et de sécurité des journalistes au cours de la dernière décennie.
Le Mexique, notamment, est aujourd’hui le second pays le plus meurtrier à l’égard des journalistes, devancé par la Syrie et suivi de près par l’Afghanistan.
Au Venezuela, la situation n’est guère plus satisfaisante : six journalistes américains ont été délibérément déportés en 2019 sur ordre du président Nicolas Maduro, tandis que la censure d’internet et des réseaux sociaux est quasi-permanente.
Quant au Brésil, l’élection du populiste Jair Bolsonaro s’est accompagnée d’une hausse des intimidations verbales et physiques à l’égard des journalistes susceptibles de compromettre le pouvoir en place.
Le Nicaragua, enfin, traite à l’identique les journalistes couvrant les manifestations et les manifestants eux-mêmes. Le pays a dégringolé de vingt-quatre places en l’espace d’un an pour atteindre la 114ème place dans le classement de RSF sur la liberté de la presse en 2019.
Outre l’Amérique latine, la situation en Asie n’est pas non plus à envier.
Ce continent fait particulièrement face à une forte censure, orchestrée par des États tels que la Chine, où désinformation et propagande se conjuguent pour réduire à néant toute forme de dénonciation envers le régime autoritaire de Xi Jinping. La situation critique des journalistes en Chine n’est pas nouvelle : elle est depuis longtemps classée 177ème sur 180 par RSF. En revanche, l’influence croissante exercée par la Chine dans divers pays asiatiques, elle, est inédite.
En Birmanie par exemple, les manœuvres visant à manipuler l’information partagée sur les réseaux sociaux en faveur de messages de haine à l’encontre des Rohingyas se font de plus en plus courantes. Deux journalistes de Reuters se sont même vus infliger sept ans de prison pour avoir investigué sur le génocide des Rohingyas.
Au Cambodge et à Singapour, la censure des autorités publiques se répand également.
En Afghanistan et au Pakistan, le nombre de journalistes assassinés chaque année ne décline pas. L’Autorité pakistanaise de régulation de l’audiovisuel a même implémenté, fin 2019, une nouvelle directive visant à bannir le journalisme d’opinion des plateaux télévisés, prétextant que “le rôle des présentateurs est d’animer en bannissant toute opinion personnelle, tout parti pris ou tout jugement de valeur”.
L’Inde, enfin, se révèle être de plus en plus répressive à l’égard des voix discordantes. Les journalistes soutenant les opposants du BJP, parti de Narendra Modi, se sont pour beaucoup vus harcelés sur les réseaux sociaux. Six d’entre eux ont même été assassinés l’an passé pour avoir osé critiquer le nationalisme hindou. Pour assurer sa réélection, le parti de Modi a désormais trouvé sa méthode : contraindre les journalistes couvrant les activités du parti à respecter des directives très strictes élaborées par les autorités…
Par ailleurs, bien que la détérioration de son climat médiatique ait été moindre en 2019 comparée à l’Europe par exemple, le Moyen-Orient demeure indéniablement la région où exercer le métier de journaliste s’avère le plus dangereux.
Un exemple est particulièrement marquant : l’assassinat du chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, dont on sait à présent qu’il a été perpétré sur ordre du prince d’Arabie Saoudite. Mohammed Ben Salmane ne tolère, en effet, aucune critique quant à sa manière autoritaire de maintenir le pouvoir dans son royaume.
Les guerres dans la région ont également une influence néfaste sur la sécurité des journalistes. C’est le cas notamment en Syrie, au Yémen ou en Libye. L’Iran, le Bahreïn, l’Égypte comptent parmi les plus importants geôliers au monde. C’est toutefois la Turquie qui bat les records d’incarcération, détenant près de 70% des journalistes emprisonnés à l’échelle mondiale. La cause ? Les journalistes critiques à l’égard du parti d’Erdogan sont souvent condamnés à tort pour des motifs bien plus graves aux yeux de la loi, tels que “l’appartenance à une organisation terroriste”. La prison colossale de Silivri, au sud-ouest du pays, est notamment connue pour les violations des droits de l’Homme qui y sont perpétrées.
Enfin, quelques exceptions confirment la règle. Certains pays se distinguent en effet de la tendance générale par une nette amélioration du climat médiatique et de la sécurité des journalistes sur leur sol.
C’est surtout le cas de l’Éthiopie, qui a connu un bond de quarante places en 2019 d’après le classement de liberté de la presse de RSF. Celui-ci est en partie dû à l’arrivée d’un nouveau Premier Ministre, Abiy Ahmed, qui s’est accompagnée d’une baisse conséquente du nombre de journalistes emprisonnés. L’Arménie, également, dans le contexte de la “révolution de velours” qui secoue le pays, est parvenue à desserrer l’emprise du gouvernement sur les médias. La Gambie, en outre, remonte considérablement dans le classement de RSF depuis la chute en 2017 de son dictateur Yahya Jammeh. Remplacé par un président plus libéral à l’égard des journalistes, qui, en majorité exilés, ont pu rentrer au pays, le monopole de l’État sur les chaînes de télévision a pris fin. En Afrique du Nord enfin, la Tunisie se distingue de ses voisins par un environnement plus favorable à la presse ces dernières années, conséquence d’un printemps arabe relativement réussi.
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