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Illustration by Séverine Peyron.

Au début du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, il y a ce dessin d’un serpent en pleine digestion, avec dans son ventre, un éléphant. Le dessinateur, enfant, le montre fièrement à de grandes personnes, mais tout ce qu’elles voient, c’est un chapeau. Frustré, l’enfant rétorque: “Les grands personnes ne comprennent rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants,  de toujours et toujours leur donner des explications…”  

Moi, ce dessin, il me revient à l’esprit quand je rencontre une personne qui me fait rêver, qui me donne envie d’aimer. J’ai une envie subite d’être ce serpent, et que cette personne aimée soit l’éléphant. Ou peut-être même l’inverse. Je me dis qu’après tout, Le Petit Prince est un livre sur la beauté de la naïveté et de l’innocence, alors vraiment, le serpent ne mange pas l’éléphant, il l’embrasse. Il l’aime tellement qu’il a besoin de le manger.

Au-dessus de mon bureau, dans ma chambre, j’ai écrit sur un post-it: “Je suis victime du cannibalisme sentimental”.Cannibalisme sentimental. Je souris quand je prononce ces mots. Cannibalisme, soit la pratique de consommer un individu de sa propre espèce. Sentimental, qui a trait aux sentiments, en particulier à l’amour. Ainsi, le cannibale sentimental ingurgite des individus de sa propre espèce en accordant beaucoup d’importance à l’affection. 

Le serpent et l’éléphant sont de deux espèces différentes, on ne pourrait pas parler de cannibalisme en soi , mais sentimental, peut-être. Et donc je pense à ce sentiment invisible qui existe entre deux êtres humains – donc de la même espèce – qui se désirent, cette envie d’être le serpent ou l’éléphant de l’un et de l’autre. L’oxymore, peut-être trop prétentieux, cannibalisme sentimental, m’est venue à l’esprit.  

Dans notre société aujourd’hui, le cannibalisme est une horreur, un acte écoeurant, une infamie, un crime, une chose inexplicable, étrangère. Pourtant, dans la religion catholique, on retrouve l’invitation du Christ: “Prenez, mangez, ceci est mon corps. Prenez, buvez, ceci est mon sang”. Sans faire ici l’apologie du cannibalisme ou encore encourager la lecture littérale de textes religieux, je ne cherche qu’à évoquer le fait que le cannibalisme prend bien des formes – l’eucharistie est une forme de cannibalisme sentimental après tout, on mange symboliquement le corps du Christ pour mieux le célébrer.  

Alors si on peut célébrer l’autre en consommant son corps, nous sommes peut-être tous un peu des cannibales sentimentaux quand nous aimons. Cette sensation d’émerveillement face à l’autre, que l’on subit, à laquelle on s’oublie, qui nous donne l’envie de la peau et de la chair. Peut-être n’est ce pas pour le manger précisément, ou pour que l’autre vous mange, mais pour qu’il vous porte comme un vêtement. Cette envie brûlante d’être l’autre, si bien que cela en devient physique. 

On ne se déclare pas cannibale sentimental. Montrer notre appétit pour l’autre est une confession, et il ne s’agirait pas de se montrer vulnérable oh non!. C’est d’ailleurs tout à fait paradoxal, que nous, cannibales donc prédateurs, grands chasseurs, ayons peur de montrer que nous avons si faim de l’autre, d’elle, de lui, de toi.

Le cannibalisme sentimental, dont on ne parle finalement pas si souvent, se retrouve donc au fond d’une cave – on pense à lui et il le sent- mais il n’est jamais vraiment compris. Un peu comme ce dessin de notre bel Antoine. Mais, quand vous parlez de ce désir,  ne laissez pas les grandes personnes vous dire qu’il s’agit d’un chapeau. Si elles disent ne pas comprendre, c’est qu’elles mentent…

Illustration by Séverine Peyron.

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Elisa Vovos

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