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Alors que près de la moitié de l’humanité était, jusqu’à peu, encore confinée pour limiter la propagation du coronavirus, les restrictions de mouvement exposent les migrants et réfugiés à une plus grande vulnérabilité, nombre d’entre eux étant confinés à travers le monde dans des conditions insalubres. Dans un repli nationaliste et xénophobe, de nombreux gouvernements ont manifesté un désintérêt le plus total pour les migrants et réfugiés fuyant les persécutions pour rejoindre leur pays. Si la situation est d’ores et déjà dramatique, elle pourrait s’aggraver sur le long-terme, certains gouvernements voyant dans la crise une opportunité d’étendre des mesures restrictives initialement présentées comme temporaires.

Un enfant devant une tente d’un camp de réfugiés de l’île grecque de Lesbos, le 11 mars 2020 (Elias Marcou, Reuters)

À l’heure actuelle, trois pays sur quatre ont imposé la fermeture partielle ou complète de leurs frontières. L’impact de ces mesures sur les migrants et réfugiés est bien visible et même alarmant. Elles ont contribué à aggraver la situation déjà précaire dans les nombreux camps et zones de transit, où migrants et réfugiés vivent dans des conditions d’exiguïté et d’insalubrité préoccupantes. Alors que la discussion publique insiste sur la crise sanitaire d’aujourd’hui et la crise économique de demain, peu d’attention a été portée à la crise migratoire qui sévit actuellement dans le monde, et dont les effets pourraient perdurer longtemps après le virus. 

Une crise migratoire planétaire

Les limitations de mouvements, justifiées par un enjeu de santé publique, compliquent cependant l’accès à la protection pour les personnes fuyant les guerres et la persécution. Si les fermetures de frontières réduisent les opportunités de migration, l’afflux de migrants et de réfugiés, lui, ne faiblit pas. En conséquence, ces derniers se retrouvent dans des situations urgentes, coincés dans des pays de transits dans des camps, ou refoulés dans leur pays d’origine, voir même simplement laissés pour compte en pleine mer lors de dangereuses traversées.

En Méditerranée, la situation humanitaire s’aggrave alors que des migrants continuent à tenter de traverser la mer sur des bateaux de fortune depuis la Libye, dans l’indifférence des autorités côtières. Justifiant leur décision par le risque posé par la pandémie COVID-19, des garde-côtes européens et libyens ont effectivement déclaré qu’ils ne poursuivront pas d’opérations de search-and-rescue (SAR), abandonnant de fait les migrants à leur sort, d’autant plus que les ONG ne sont pas autorisées à mener de telles opérations de sauvetage. Comme l’indique Alarmphone, l’organisme d’assistance téléphonique pour les personnes en situation de détresse en mer Méditerranée, la « non-assistance en Méditerranée est devenue la norme ». Engagé activement pour avertir les autorités côtières sur la situation des migrants en mer, Alarmphone dénonce le manque criant de coopération de la part des unités de sauvetage européennes. L’organisme reporte notamment l’inaction des « Centres de Coordination de Sauvetage » qui, de façon répétée, raccrochent au téléphone, refusent d’enregistrer les nouvelles informations communiquées par l’organisme, et sont parfois injoignables pendant des heures. Déplorant le « comportement irresponsable » des autorités européennes, Alarmphone a également pointé d’un doigt accusateur l’illégalité de la pratique du ‘refoulement.’ Renvoyer les réfugiés dans un pays où leur vie est menacée est interdit à la fois par la Convention de Genève, la Convention Européenne des droits de l’homme (1950), et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Un véritable bras de fer s’est alors engagé entre les ONGs et l’Union Européenne.

L’inaction des autorités européennes en méditerranée a déjà eu des conséquences dramatiques. Pendant la semaine du 9 au 16 avril, le gouvernement maltais a refusé d’apporter de l’aide à un navire en détresse d’une cinquantaine de migrants, provoquant la mort de 12 d’entre eux. Les survivants furent illégalement renvoyés en Libye. Le spectre de la crise migratoire des années 2010 refait ainsi dangereusement surface. Entre 2014 et 2017, 15 000 migrants avaient péri en mer lors de traversées mortelles sur des bateaux souvent bondés et en mauvais état. Sans une réaction rapide et proportionnée des autorités concernées, le désastre humanitaire risque de se répéter en Méditerranée.

Des migrants traversant la Méditerranée sur un bateau gonflable, en janvier 2016 (Callmonickm/Flickr)

En Asie, une situation similaire affecte les Rohingyas, minorité musulmane victime d’un nettoyage ethnique orchestré par le gouvernement birman. La semaine dernière, des garde-côtes du Bangladesh ont secouru un navire de réfugiés Rohingyas qui souhaitait rejoindre la Malaisie. Trente deux passagers auraient perdu la vie selon Amnesty International. Invoquant la fermeture des frontières liée au coronavirus, le gouvernement malais refuse de les laisser entrer sur le territoire. Bloqués dans des camps au Bangladesh, des douzaines de réfugiés Rohingyas meurent ainsi de faim dans l’indifférence générale.

L’urgence est également totale à la frontière vénézuélo-colombienne, où des centaines de migrants vénézuéliens ayant perdu leurs sources de revenus sont forcés de quitter la Colombie. Les transports publics colombiens étant à l’arrêt, nombreux font le trajet à pied. De retour au Venezuela, les migrants sont placés en quarantaine dans des camps aux conditions sanitaires déplorables. L’ONU, qui souligne que le coronavirus aggrave la situation déjà préoccupante des migrants vénézuéliens, a acheminé une première livraison d’aide humanitaire le 8 avril. Elle comprenait 90 tonnes d’équipements de protection, de lits d’hôpital et de respirateurs, destinés à soulager le système de santé vénézuélien, qui souffre énormément de la crise économique. Considérant le « risque élevé que le COVID-19 pose au Venezuela », l’organisme Human Rights Watch a par ailleurs appelé le gouvernement américain à accorder le statut de protection temporaire (TPS) aux plus de 108 000 demandeurs d’asile vénézuéliens qui se trouvent actuellement aux Etats-Unis, et qui risquent d’être renvoyés dans leur pays d’origine. La crise, qui fait intervenir des acteurs multiples, met plus que jamais en avant la nécessité d’une coopération interétatique.

Par ailleurs, de nombreuses associations ont averti de la situation inquiétante dans les camps où sont retenus les migrants et réfugiés. En cas de propagation du virus, ceux-ci ne disposent pas de moyens suffisants pour sécuriser l’environnement et soigner les personnes contaminées. En Grèce notamment, l’effectif des camps va bien au-delà des possibilités d’accueil recommandées. Au camp de Moria sur l’île de Lesbos, près de 26 000 migrants vivent dans une installation conçue pour seulement 2 800 personnes. A la surpopulation s’ajoute le manque d’eau potable et de savon, ce qui entrave la mise en place de mesures barrières. Les médecins sur place déclarent eux-mêmes qu’il serait impossible de contenir une épidémie dans de telles conditions.

Des enfants dans le plus grand camp d’Europe, à Moria, sur l’île grecque de Lesbos. La surpopulation est criante dans ce camp censé accueillir 2 800 personnes et qui en abrite actuellement près de 26 000 dans des conditions d’insalubrité (Romenzi/Unicef)

Sur un plan administratif, c’est tout le système des demandes d’asiles qui se trouve mis à l’arrêt dans de nombreux pays, y compris en France. Les guichets d’enregistrement et les tribunaux étant fermés dû aux mesures de confinement, les procédures de demandes d’asile sont suspendues. L’impossibilité de présenter une demande d’asile est problématique car la elle est souvent nécessaire à l’accès aux services de santé minimums du pays. Qui plus est, le confinement stoppe également tous les services secondaires liées à l’intégration des migrants, tels que les cours de langue, l’aide à l’emploi, ou les services associatifs. La situation déjà éprouvante de ces personnes est ainsi compliquée, ce qui risque de les marginaliser davantage au sein de la société.

Des risques de dérives autoritaires et xénophobes

Si les limitations de mouvements et les fermetures de frontières ont été justifiées par des enjeux de santé publique, certaines mesures ont en réalité peu de lien direct avec le coronavirus et illustrent la poursuite d’un agenda nationaliste et xénophobe. De nombreux gouvernements profitent en effet de la situation de crise pour mettre en place des politiques migratoires restrictives qui pourraient survivre à la pandémie.

En Europe, Viktor Orban mène la charge en présentant l’immigration illégale comme responsable de la crise. Déclarant en mars dernier que le pays menait « une guerre sur deux fronts, celui de la migration et celui du coronavirus », le président hongrois tente de justifier l’instauration de mesures autoritaires par la nécessité impérieuse d’endiguer le flot de migrants. Notons par ailleurs l’usage non innocent de la métaphore guerrière, connu en rhétorique pour galvaniser le soutien populaire au gouvernement et faciliter l’approbation de mesures fortes. Le 30 mars dernier, le parlement hongrois accorda ainsi à Orban les pleins pouvoirs dans le cadre d’un état d’urgence à durée indéterminée. La montée en puissance du président hongrois, qui considèrent les migrants comme des « envahisseurs musulmans », est de très mauvais augure pour la protection des droits des réfugiés. Ailleurs en Europe, certains partis d’extrême droite tentent également d’établir un lien entre l’immigration et la pandémie de COVID-19, voyant dans la crise une opportunité de défendre leurs arguments nationalistes de fermeture des frontières. En Allemagne, le groupe d’extrême-droite Mouvement Identitaire (Identitäre Bewegung) a attribué la responsabilité de l’épidémie aux politiques migratoires de « frontière ouverte ». En Italie, Matteo Salvini a reproché au gouvernement de ne pas défendre les frontières du pays. « Permettre aux migrants de débarquer d’Afrique, » déclarait-t-il lors d’une conférence de presse fin février, « où la présence du virus a été confirmée, est irresponsable ». À cette période, l’Afrique ne comptait pourtant qu’un seul cas de COVID-19, en Egypte. Ces paroles sont le signe d’une volonté de politisation de l’épidémie plutôt qu’un réel souci de santé publique.

Le coronavirus, comme le montre cet article, donne ainsi à l’extrême droite européenne le prétexte parfait pour faire des réfugiés les bouc-émissaires de la société. L’association fallacieuse entre pandémie et migrations, si elle demeure relativement restreint, nourrit un cercle vicieux dangereux. La stigmatisation des migrants aggrave leur situation en les maintenant à l’écart de la société, ce qui suscite des discours xénophobes et entraîne une plus grande marginalisation.

La nécessité de réponses adaptées

Face à la multiplication des urgences sanitaires et au constat grandissant de la crise migratoire, l’Organisation des Nations Unies a insisté sur la nécessité d’une réponse immédiate des états et de la communauté internationale.

Comme le rappelle son Haut-Commissariat pour les Réfugiés (UNHCR), « il existe des moyens de gérer ces restrictions de manière à respecter les normes internationales. » Plusieurs solutions sont envisageables pour permettre d’assurer la protection des plus vulnérables, et avec eux, de la société tout entière. Premièrement, il s’agit de s’assurer que les migrants aient accès aux tests et aux traitements. Sur ce point, le cas du Portugal fait figure de modèle. Fin mars, les pouvoirs publics portugais annonçaient que tous les étrangers en cours de demandes d’immigration seraient traités comme des résidents afin de garantir leur accès aux services de santé nationaux, et ce au moins jusqu’au mois de juillet. Si l’option de régulariser temporairement les migrants n’a pour le moment pas été retenue par beaucoup de pays, certains groupes parlementaires, comme en France, ont appelé à sa mise en place le plus rapidement possible. Afin de permettre au migrants et réfugiés l’accès aux services de santé, une autre solution consisterait à transférer certaines procédures administratives sur des plateformes en lignes. Si l’enregistrement des demandes à distance permettrait de remédier à l’actuelle paralysie des préfectures et tribunaux, cette solution pose cependant d’évidents problèmes quant à l’accès des personnes au numérique. Face à la situation préoccupante des demandeurs d’asile, des associations tirent la sonnette d’alarme.

De façon générale, le moment que nous vivons, qui nourrit tant de discussions sur « l’après » coronavirus, doit servir à alerter sur le traitement et les conditions réservés aux étrangers. La surpopulation et l’insalubrité des centres de détention, en Grèce et ailleurs, ne sont que des symptômes révélateurs de l’état déplorable du système de réception de migrants. La crise du coronavirus, qui soulève des dysfonctionnements importants, devrait accélérer les débats sur l’accueil des étrangers.

Enfin, face aux tentations autoritaires, la vigilance citoyenne doit être de mise. Le risque de prolongement des mesures restrictives aux frontières est, en effet, bien réel. Comme l’indique l’historien Yuval Noah Harari, « les mesures temporaires ont la mauvaise habitude de survivre aux situations d’urgence ». Il prend l’exemple de son pays natal, Israël, qui n’a toujours pas abrogé l’état d’urgence déclaré en 1948. Considérant les effets de la crise du coronavirus sur le long-terme, l’invocation d’une nouvelle menace – économique, migratoire, ou autre – pourrait servir de justification au prolongement de politiques initialement présentées comme exceptionnelles. Certains gouvernements, comme en Hongrie, voient potentiellement dans cette crise une opportunité pour mettre en place un agenda plus vaste de politiques xénophobes et stigmatisantes.

Ce double enjeu d’assurer la protection des migrants et de contrôler l’action des gouvernements paraissent essentiels à la fois pour garantir que la réponse au coronavirus adresse les besoins des plus vulnérables et pour empêcher que cette période exceptionnelle n’ouvre la voie à des dérives autoritaires et extrémistes, fondant leur discours sur le rejet de l’autre. Comme le rappelle l’ONU, le virus « ne discrimine pas ». Nos réponses ne le devraient pas non plus.

 

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Damien Jahan

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