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Arméniens entrant de force dans le Parlement pour protester contre la signature du cessez-le-feu, le 10 novembre, à Erevan. (PHOTO Vahram Baghdasaryan/Photolure via REUTERS)

Depuis le mois de septembre, la région montagneuse du Haut-Karabakh au Sud du Caucase est de nouveau le théâtre d’affrontements entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui se disputent son contrôle. L’énième cessez-le-feu signé le 9 novembre sous l’égide de la Russie semble maintenir le statu quo. Retour sur un conflit hérité de divisions historiques entre Arméniens et Azéris.

 

Un casus belli issu de la période Soviétique

Le Haut-Karabakh, territoire situé non loin de la frontière de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, a régulièrement fait l’objet de discordes. Historiquement peuplé essentiellement par des Arméniens chrétiens depuis le quatrième siècle, ces derniers ont souvent revendiqué leur droit à l’autodétermination, alors que l’Azerbaïdjan – à majorité chiite turcophone – exerce son contrôle sur la région depuis la Première Guerre mondiale.

Pour mieux cerner les catalyseurs de la confrontation entre ces deux pays, il est nécessaire de se replonger cent ans en arrière.

Peu après l’arrivée des Soviétiques dans le Caucase en 1920, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie sont regroupés avec la création de la Fédération transcaucasienne. Bien que cette fusion scelle le début d’une longue période de relative stabilité des relations entre communautés, l’ère Soviétique est paradoxalement le point de départ du conflit. Si la région se voit rapidement confier une certaine indépendance, les disputes politiques de l’époque au sein du Parti Communiste amènent les Soviétiques à rattacher à l’Azerbaïdjan le l’Oblast fraîchement autonome du Haut-Karabakh, malgré le fait que ce dernier soit majoritairement peuplé d’Arméniens. En divisant pour mieux régner, Moscou façonne la cause des futurs affrontements mais s’assure de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, déjà connu pour ses réserves conséquentes de pétrole.

Toutefois, la question du rattachement de la zone à l’Arménie ne se pose pas de manière importante jusqu’aux années 1980, où l’arrivée des réformes induites par la Perestroïka crée un climat propice aux revendications. Dans ce contexte, le Haut-Karabakh vote alors pour son incorporation à l’Arménie. D’un côté comme de l’autre, les tensions s’exacerbent, et l’on assiste peu à peu à une escalade de la violence. Les massacres et les initiatives de nettoyage ethnique se multiplient : l’année 1988 voit la mort d’au moins une trentaine de civils Arméniens – selon les sources officielles – au cours du pogrom de Soumgaït. Face à une telle flambée de la haine, Moscou décide l’envoi de forces sur place afin de rétablir l’ordre.

Cependant, c’est à partir de l’effondrement de l’union soviétique que les rapports de force entre les deux communautés atteignent leur paroxysme, et finissent par se transformer en conflit militaire. Le Haut-Karabakh, s’appuyant sur la volonté populaire, décide ainsi en 1991 de faire sécession en déclarant son indépendance. Bénéficiant du soutien de l’Arménie, il entre alors en guerre contre l’Azerbaïdjan. Les combats durent jusqu’en 1994, où la signature d’un simple cessez-le-feu gèle la situation pendant une vingtaine d’années mais ne permet pas d’instaurer la paix : en 2016, l’armée azerbaïdjanaise lance une nouvelle offensive, se soldant une fois de plus par un cessez-le-feu.

 

Reprise des hostilités et signature d’un cessez-le-feu loin de favoriser l’apaisement

À la paralysie des relations diplomatiques entre les belligérants, propice à une reprise des hostilités, s’ajoutent les difficultés économiques traversées par l’Azerbaïdjan (pays pétrolier qui voit ses revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures s’effondrer dans un contexte de baisse des prix du marché et de crise liée au Covid-19). Le gouvernement, jugé autoritaire et de plus en plus critiqué par la population, est tenté de jouer la carte du patriotisme afin de noyer le mécontentement général. Il s’agit aussi d’une manœuvre stratégique visant à la protection de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan proche de la ligne de cessez-le-feu, vital pour l’économie du pays ainsi que l’approvisionnement de la Turquie et de l’Europe.

C’est dans ces circonstances que de nouveaux affrontements ont repris le 27 septembre, conduisant chaque camp à décréter la loi martiale. Pendant plusieurs semaines, les bombes pleuvent sur le « jardin noir du Caucase » et chaque camp s’accuse mutuellement de saboter le processus de négociation.

Les trois premières tentatives de mise en place d’un cessez-le-feu échouent, quand bien même ceux-ci avaient une visée humanitaire. La quatrième tentative, initiée par la Russie, aboutit finalement à la signature d’un cessez-le-feu le 9 novembre. Dans la mesure où chacun garde les positions qu’il occupait lors de la signature, l’accord privilégie un statu quo largement favorable à l’Azerbaïdjan qui, jouissant d’une supériorité militaire importante, a pu gagner du terrain. Par ailleurs, 2000 soldats Russes sont déployés afin d’assurer la stabilité de la région, limitant davantage la marge de manœuvre des indépendantistes. L’arrêt des hostilités n’a d’ailleurs pas manqué de susciter les contestations en Arménie, où beaucoup dénoncent une trahison de la part du gouvernement.

 

Positionnement de la communauté internationale

L’obstacle majeur à l’établissement d’une situation de paix durable est le positionnement de la communauté internationale, qui n’incite pas chacune des communautés au compromis. L’indépendance du Haut-Karabakh – que les séparatistes appellent République d’Artsakh – n’est pas reconnue par l’ONU, dont les résolutions adoptées en 1993 précisent que l’Azerbaïdjan est en droit d’y exercer sa souveraineté. Cette situation traduit toute la complexité de la contradiction entre droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes, et principe d’intangibilité des frontières.

Des initiatives ont toutefois été prises afin de trouver une solution pacifique au conflit, à l’instar de la création par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) du Groupe de Minsk en 1992, co-présidé par les États-Unis, la France et la Russie. Malheureusement, cette tentative est restée sans succès.

Les négociations sont rendues d’autant plus difficiles par l’ingérence de certains États aux intérêts divergents. Si la Russie a une position relativement ambiguë du fait d’un traité d’alliance militaire avec l’Arménie, elle tente tout de même de jouer un rôle de médiation pour garantir la stabilité dans ses deux anciennes Républiques fédératives. À l’inverse, la Turquie a affiché dès la reprise des combats un soutien affirmé à l’Azerbaïdjan en lui apportant un appui militaire. Celle-ci a même envoyé des mercenaires syriens sur place, suscitant de vives critiques et inquiétudes de la part d’Emmanuel Macron et de son homologue russe Vladimir Poutine.

Israël, selon Human Rights Watch, fournit également de l’armement de pointe à l’Azerbaïdjan, entre autres des roquettes, drones, et sous-munitions dont l’utilisation est illégale au vu du droit international. L’Iran, quant à lui, est plus en retrait. Bien que majoritairement peuplé de musulmans chiites, le pays semble pencher légèrement du côté Arménien mais ne s’engage pas directement. Cet effacement s’explique d’une part par ses intérêts économiques et d’autre part par la peur d’une alliance entre peuples turcophones.

 

Bilan humain

Le bilan humain est dramatique et démesuré par rapport à la population du Haut-Karabakh qui s’élève à seulement quelque 150 000 habitants.

Depuis l’indépendance autoproclamée de la République d’Artsakh, le conflit avait déjà fait plus de 30 000 victimes. À compter de la reprise des affrontements, on estime le nombre total de morts au combat à près de 5 000. Alors que l’Arménie a annoncé avoir perdu plus de 2 300 militaires, l’Azerbaïdjan a refusé de communiquer l’étendue de ses pertes.

Viennent s’ajouter à ces chiffres les morts de civils, difficiles à quantifier. La CIA estime cependant que le nombre de réfugiés total engendré par la première guerre du Haut-Karabakh s’élève à environ un million. Peu après la signature du dernier cessez-le-feu, environ 100 000 Arméniens ont fui la République d’Artsakh pour l’Arménie.

En effet, dans une région où la plupart des États sont absents des grandes conventions sur le droit des conflits armés, les civils subissent les pires exactions.

En outre, la guerre est asymétrique et les moyens employés par l’Azerbaïdjan, plus grand pays du Caucase, sont hautement supérieurs à ceux du camp opposé. Drones, missiles, et roquettes déciment les populations.

 

Et maintenant ? 

Après des années d’immobilisme durant lesquelles les divisions historiques entre les belligérants se sont creusées, il est difficile d’entrevoir l’issue finale du conflit, d’autant que le cessez-le-feu du 9 novembre entérine la position de force acquise par l’Azerbaïdjan.

D’une part, les solutions proposées par les pays médiateurs ne font qu’amplifier le ressentiment de la communauté arménienne, le droit international ne reconnaissant pas la légitimité de leurs revendications.

D’autre part, la recherche de solutions pacifiques est sabotée par la Turquie qui souffle sur les braises, alors que les Arméniens attendent toujours la reconnaissance du génocide perpétré à leur égard en 1915.

Une chose est certaine : la situation gelée pendant des décennies le restera longtemps encore. Pour l’instant, l’heure est au retour des populations Azéries et à l’exode des Arméniens qui, soucieux de ne pas les laisser tomber aux mains de l’ennemi, préfèrent brûler leurs maisons.

 

Sources :

 

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Alexandre Raoux

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