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(c) Isaak POPKIN

 

Je ne saurais même pas dire combien de vidéos j’ai vues défiler
sur ma for you page cet après-midi, lorsque par le scroll frénétique,
je me suis laissée porter. Un florilège de mini-métrages et de
montagnes russes qui m’ont fait passer du rire au choc en moins
d’une minute. Les Spielberg de demain, a dit personne, sont sur
TikTok. Les décors se font de plus en plus recherchés, le montage de
plus en plus expert. On s’abreuve d’histoires de vie personnelles,
souvent risibles mais parfois tragiques, de témoignages
déconcertants, le tout en moins d’une minute.

Et je vois des inconnus se mettre à nu, s’ouvrir à coups de “put
à finger down” à des milliers d’autres qui, comme moi, parcourent
l’application affalés sur le canapé. Des inconnus nous livrent leur
travail, mais surtout leur personne et on s’en fait des opinions en
quelques secondes. La langue vite déliée, on distribue compliments
et critiques à la pelle. Un vrai échange humain quoi que l’on en dise.
Les pires traumatismes et les blagues les plus drôles nous sont
délivrés sans introduction, le partage est bref et total. Mais le
quotidien est trop rempli, la for you page trop appétissante; on passe
vite à autre chose. Des cris du coeur certes, mais des cris du coeur
express.

Ce mode de vie express, TikTok ne l’a pas inventé. Depuis
quelques années déjà, on attrape les moments entre deux battements
de cils. Poissons rouges du 21ème siècle oblige, notre attention est
limitée, on la distribue avec parcimonie. La course fait partie du
quotidien, par peur de s’ennuyer ou d’ennuyer. En vacances, l’eau de
mer ne nous berce plus, elle nous éclabousse quand on y s’y jette en
pataugeant pour immortaliser le moment partiellement vécu. On en
ressort vite, la photo terminée, parce qu’elle est quand même froide,
il ne faut pas abuser. Photos de vacances sur Instagram, déferlantes
de stories, de vraies machines à contenu, vite apprécié ,vite oublié.
En cours, les interventions se doivent d’être perçantes et pertinentes;
il faut dire que la culture de l’express exacerbe la compétition. On a
beau avoir des connaissances en la matière, il y aura toujours
quelqu’un qui y pensera plus vite. Chercher ses mots à la libanaise,
comme on le fait chez moi, la voix lente et chantante, ce n’est pas
viable. Il faut faire vite, et faire bien.

Le paradoxe de cette culture de l’express, c’est que cette vitesse
nous prend du temps. Les vidéos qui s’enchaînent dévorent les
heures et les lectures goulûment avalées laissent peu de place au
vide. On se rend compte que la nuit est tombée et que le plat de
raviolis en boîte réchauffé au micro-ondes a refroidi. Le rien est rare
et l’ennui est redouté. C’est antinomique, mais on ne sait plus
s’ennuyer. On pourrait critiquer notre manie pour l’action et le
partage systématisé, la taxer de malsaine à coups de carpe diem.
Cette absorption vorace de contenu est san fin, elle nous épuise.
Mais ce qu’elle a fait de nous, indéniablement, c’est une
génération performante, perfectionniste, des experts en tout et en
rien. Du lundi au mardi, Monsieur Tout le Monde peut devenir
réalisateur, musicien, ou les deux à la fois. Cet apprentissage
humain à la chaîne, a fait de nous une masse vibrante, téméraire et
opiniâtre qui se jette dans l’inconnu et s’y adapte. Un front d’experts
en eye-liner et en politique. Des activistes et des artistes. Des êtres
modulables, ouverts d’esprit. Une génération qui bourdonne, qui
échange et qui apprend, à la vitesse express.

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Emmanuelle Haddad

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