par Johan Marchand
Le 30 janvier marquera l’issue d’une expérience démocratique nouvelle en France basée sur le principe du parrainage citoyen dans la course à l’Élysée. La Primaire Populaire désignera le nom qui représentera son programme d’union des gauches.
Beaucoup d’informations circulent sur ce projet, les visions s’affrontent sur son déroulé, ses organisateurs ou encore sur l’idée en elle-même. L’intention reste louable et ses responsables ne méritent sans doute pas toute la haine qui leur est envoyée quotidiennement. On ne peut nier que la Primaire Populaire représente un incubateur démocratique notamment par son test d’un mode de scrutin original et qui convient parfaitement à son objectif de conciliation cherchant à révéler une figure consensuelle. Il est également intéressant d’avoir formulé les propositions du programme commun en se basant sur des documents émis par la société civile ces dernières années et qui ne semblent pas avoir trouvé de réponses, comme le rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat, le collectif Plus Jamais Ça ! ou encore Le Vrai Débat, plateforme d’échange des gilets jaunes mise en place après réalisation de la caducité du Grand Débat.
Toutefois, outre toutes considérations idéologiques sur ses candidats et son motif, en faisant abstraction des orientations prises ces derniers jours par les organisateurs et certaines malhonnêtetés dont ils ont fait part, la Primaire Populaire souffre de plusieurs problèmes fondamentaux dans sa cohérence vis-à-vis de l’objectif qu’elle souhaite atteindre, et sa capacité à le faire.
L’union ne fait pas la force
Il est surprenant de la part d’un organisme qui cherche à mettre en place le scrutin au jugement majoritaire de faire abstraction du phénomène majeur que cherche à éviter ce mode de scrutin, à savoir l’indépendance aux alternatives non-pertinentes (big up aux PolGov qui nous lisent). Depuis des années la gauche souffre d’un mal précis : ne votant plus systématiquement pour le même parti, les électeurs apprécient plusieurs candidats mais se retrouvent dans l’obligation de voter pour un seul, pénalisant les autres de facto. Dans le pire des cas, cela empêche l’intégralité du panel de candidats appréciés d’être élu, voire même d’accéder au second tour. Ainsi la défaite de Lionel Jospin en 2002 est régulièrement mise sur le dos de la division et du nombre de candidatures de gauche à l’époque. Le jugement majoritaire empêche cela, d’où l’intelligence de l’employer pour une primaire, supposée trouver une figure à laquelle la quasi-intégralité des votants pourra s’attacher. Cependant la notion de “quasi” est primordiale. La Primaire Populaire se base sur un principe simple axé sur les sondages : Mélenchon 10.5% ; Jadot 5.5% ; Hidalgo 3% ; Taubira 3% donc logiquement tout ce beau monde réunit fera 22%, de quoi dépasser Le Pen et atteindre le second tour. Or, même dans le cas hypothétique et de moins en moins observé où ces sondages seraient justes, les études en science électorale prouvent que les reports de voix ne fonctionnent généralement pas par addition arithmétique pure. Rien ne garantit que ce résultat soit conservé selon la figure qui émergera à l’issue du processus.
Par ailleurs, le report de voix entre électeurs rattachés à chaque candidat est inégalement garanti. D’après un sondage réalisé par Ipsos et le Cevipof, les électeurs de Mélenchon voteraient Jadot ou Hidalgo en second choix tandis que les électeurs de Jadot et d’Hidalgo préfèrent Macron à Mélenchon. Cela pose la question de l’attrait pour la modération sous couvert de compromis malgré deux facteurs : premièrement le candidat Insoumis reste en tête de ses concurrents de gauche dans tous les sondages ce qui l’empêche de concevoir une relégation en second rôle, couplée à une sous-estimation systématique de ses scores électoraux depuis 10 ans ; deuxièmement et de manière plus importante au niveau démocratique, cela signifie que les mêmes bords et franges de la population se retrouvent systématiquement à devoir faire des concessions et se retirer au profit de figures plus modérées qui, elles, n’ont pas à changer quoi que ce soit car savent que les plus radicaux voteront pour eux quoi qu’il arrive, par défaut, bien que plus nombreux.
Cela pointe du doigt le dernier problème de fond de la question de l’union : les organisateurs de la Primaire Populaire partent du principe que l’union politique permet de gagner. Du fait d’un report de voix inégal et incertain cela n’est donc pas garanti, mais c’est également historiquement faux. En 1988, Mitterrand arrive en tête du premier tour avec presque 15 points de pourcentage de plus que Chirac, et ce malgré cinq autres candidatures à gauche. Du point de vue idéaliste, chercher l’alliance à tout prix fait abstraction du politique et des idéologies qui sont supposées être l’âme de la gauche, mais de manière plus importante, rien ne prouve que la gauche remporte le second tour si elle parvient à s’y hisser. Et ce quel que soit le duel. Le réservoir de voix à gauche est épuisé, les reports de voix ne peuvent pas fonctionner d’une façon qui permettrait d’obtenir plus de 50% en dernière instance.
Trouver des réserves de voix
Ainsi la Primaire Populaire cherche, des mots de ses représentants, à “forcer l’union pour forcer la démocratie”. Mais elle omet les traditionnels oubliés de la République. Une entreprise plus démocratique ne serait-elle pas d’aller chercher les électeurs abstentionnistes ? Et leur demander quel candidat ils souhaiteraient élire ? Si l’offre politique actuelle ne convainc pas par désabusement ou désintérêt, il serait plus bénéfique électoralement et démocratiquement d’aller écouter et mobiliser ceux qui ont la possibilité de faire changer les choses, plutôt que de se cloîtrer dans la mise en commun d’un nombre limité de voix. En somme, élargir le gâteau de la gauche plutôt qu’essayer de répartir les parts différemment. Cette technique a été celle employée par les franges plus radicales du parti démocrate aux États-Unis avec des résultats prometteurs. Or les électeurs qui s’apprêtent à voter lors de la Primaire Populaire sont déjà politisés et mobilisés, ils seraient allés voter avec ou sans candidat commun car c’est dans leur essence (voter la mort dans l’âme, certes, mais s’ils sont de gauche, ils ont l’habitude).
Par ailleurs, le principe d’une primaire en lui-même tend à diviser les candidats plus qu’à les rassembler et donc à monter les électeurs globalement les uns contre les autres sans pouvoir garantir une réconciliation par la suite. Dans ce cas-ci, la primaire joue également contre le principe d’incarnation d’un programme, au moment où les candidats-partis fonctionnent le mieux. Elle souffre des mêmes effets pervers que les élections classiques : limitation des candidatures qui finalement favorise des figures médiatiques déjà célèbres (5 candidats sur 7), mais aussi un avantage pour ceux disposant de plus de fonds pour faire campagne. La Primaire Populaire cherche surtout à réunir des électeurs qui ne peuvent pas être réunis depuis bientôt 10 ans, avec la fracture du PS opérée sous le quinquennat Hollande et le sentiment de trahison qui s’en est suivi. Ainsi s’affrontent deux émanations du gouvernement ayant mené à telle scission (Hidalgo représentant la continuité du PS, Taubira étant une ancienne membre de l’exécutif qui a provoqué la scission en question), et Mélenchon, l’un des chefs de file de l’opposition qui s’y est dressée à l’époque.
Et cela est en partie lié à des motivations programmatiques. Exceptée l’idée d’une
Convention citoyenne pour le renouveau démocratique qui reste vague, la Primaire Populaire ne donne pas les clés à ses candidats pour changer durablement le modèle d’élections en France, celui-là même qui défavorise structurellement la gauche et pour lequel le jugement majoritaire se justifie. Si quelques candidats évoquent des modifications constitutionnelles ou une VIe République, tout cela reste incertain et ne garantit pas que la situation de division de la gauche perdure à cause de la modélisation des institutions. Il est hypocrite de demander l’union sans essayer de changer le système qui mène nécessairement à la désunion. Toute mesure qui n’empêche pas la réitération du problème n’est pas une solution, nous rappelle Engels.
Contradiction des légitimités
Les commentateurs se sont suffisamment attardés sur le profil des organisateurs de la Primaire Populaire en cherchant à leur retirer toute légitimité d’organisation d’une telle expérience. Effectivement l’opacité des dons couplée au manque de transparence sur l’origine et la quantité de dons suffisamment élevés pour financer une équipe de 18 personnes n’aident pas. Laissons de côté ces considérations cultivant un penchant pour la mauvaise foi, pour se questionner sur la légitimité du processus en lui-même et la façon dont il est vécu par les candidats. Effectivement la plupart ont déjà trouvé leur légitimité d’une source externe : Jadot par une primaire interne même si très fracturée, Mélenchon par des parrainages même si proches de la tendance plébiscitaire, Hidalgo par la primaire et la confiance d’un appareil de parti même si au bord du délitement… Taubira reste la seule à chercher un processus de légitimation objectif, et la Primaire Populaire apparaît comme l’outil parfait pour cela, ce qui est source de nombreuses méfiances quant à un redouté dévoiement du scrutin qui serait simplement une validation pour elle. Bien sûr cela s’applique uniquement si elle s’avère réellement être la favorite de la primaire, ce qui demeure probable au vu de l’engouement médiatique et de la sociologie de son électorat qui semble similaire à celui de la primaire, mais sans plus de moyen d’en être sûr. Beaucoup d’incertitudes donc, mais c’est comme cela que fonctionne le doute, la simple possibilité peut suffire à décrédibiliser le mouvement en provoquant des méfiances.
Nous pouvons aussi nous questionner sur la légitimité des actions prévues durant la campagne, car les militants de la Primaire Populaire cherchent à user des mêmes leviers que ceux habituellement dénoncés par la gauche (même si régulièrement pratiqués en sous-main, ne nous leurrons pas). Ainsi l’objectif serait d’empêcher les partis qui refusent le résultat de la primaire d’obtenir des parrainages et crédits bancaires pour se financer. Quelle légitimité démocratique existe-t-il à empêcher des gens qui ne sont pas les ennemis de la démocratie à se présenter ? D’autant que ce levier d’action est le seul proposé par l’organisme de la Primaire, qui ne garantit aucun apport matériel sur la suite : une certaine publicité mais pas de fonds de campagne. On peut d’ailleurs penser que l’engagement des militants variera selon la figure émergente, puisque que par biais psychologique, moins une personne est convaincue, moins elle est convaincante.
Enfin la question de la légitimité du programme perdure. S’il est issu des demandes de la société civile à travers des réclamations menées ces 3 dernières années, il sera néanmoins porté par le candidat qui remportera la Primaire et donc par son parti. Malgré la tentative de s’en détacher, les partis demeurent primordiaux durant les campagnes, pourtant ils n’ont pas participé à cette tentative de programme commun qui n’est qu’issu de “conversations approfondies” avec eux. L’idée en vaut la peine, mais si le programme est central à l’union, le temps passé dessus par les organisateurs de la Primaire en devient ridicule : au maximum 16h réparties sur un mois d’après leur site. Il est certes innovant mais la plupart du temps non chiffré, sans mention du degré de réalisme de chaque parti, sans explication précise des moyens d’y parvenir ou des priorités. Or les méthodes peuvent créer plus de divergences que les objectifs. Et que faire en cas de non-respect du programme ? Jusqu’à quel point accepte-t-on que certaines choses ne soient pas faisables en comparaison à d’autres ? N’y a-t-il pas une possibilité de doubles standards dans la façon dont le candidat sera jugé a posteriori sur son bilan en lien avec ce programme ?
De toutes évidences la gauche ne semble pas parée pour affronter les élections présidentielles de 2022 et ce à aucun échelon, elle ne semble pas non plus en capacité de se relever pour les législatives. Même dans le cas d’une candidature commune pour l’Élysée, rien ne permet de garantir que l’union issue de la Primaire Populaire perdurerait après coup pour conquérir l’Assemblée nationale. Or la Primaire Populaire semble souffrir d’un mal commun à tous les candidats à une quelconque élection : ils n’envisagent pas la défaite et se coincent dans une vision extrêmement rectiligne des événements sans penser aux conséquences les plus évidentes.
Ainsi la question de l’union dans la défaite demeure plus impactante et potentiellement plus importante que celle de la victoire par l’union. La gauche ne peut pas gagner. Vaut-il mieux qu’elle soit unie ou désunie ? Une défaite dans l’union n’aurait-elle pas plus d’impacts négatifs à long terme qu’une somme de défaites individuelles ? Elle empêcherait les acteurs de chercher à retenter une telle expérience dans un contexte où cela se justifierait réellement, en créant une expérience traumatisante pour les partis. Surtout elle serait un coup d’une violence extrême à la présence de la gauche dans le débat public qui serait plus que jamais décrédibilisée.
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