By Liséane Sabiani
Il était une fois un art féerique. Par son biais, les échanges s’emplissent de douceur et le langage se meut en une caresse qui chatouille le fond des cœurs.
Il était une fois une pratique qui transforme les relations humaines en histoire idyllique. Un monde peuplé de créatures heureuses jusqu’à la fin des temps.
Il était une fois une formule magique qu’on appelle compliment.
Les contes qui endorment les enfants nous mèneraient à considérer ces lignes comme des faits avérés, le format de l’article nous oblige cependant à repenser le sujet dans une perspective scientifique. Par conséquent, c’est en nous détachant du caractère enchanteur du compliment que nous nous apprêtons à l’étudier comme une discipline véritable.
Certes, le compliment ravit en toutes circonstances. Cependant, son efficacité dépend de la manière dont il est formulé, et cette dernière évolue grandement suivant l’époque, la culture, ou encore le milieu social où l’individu prononce sa louange…
Définir pour reconnaître
Tout d’abord, il convient de déterminer le sens même de la notion de compliment.
On pourrait reprendre la théorisation qu’en fait la linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni dans son article La description des échanges en analyse conversationnelle : l’exemple du compliment :
1- “Toute assertion évaluative positive
2- portant sur une qualité ou une propriété de l’allocutaire A (un compliment, c’est une louange adressée à la personne « concernée »)
3- ou bien encore, sur une qualité ou propriété d’une personne plus ou moins étroitement liée à A (…)”
Sous cet angle, le compliment peut prendre des formes variées à condition qu’elles reflètent l’expression concrète de l’admiration d’un individu envers un autre. Toutefois, il est intéressant de remarquer que cette définition diffère de façon plus ou moins importante selon les traditions présentes au sein de l’espace géographique observé. En effet, l’absence de vocabulaire spécifique pour qualifier le compliment en Tunisie est un exemple éloquent des divergences régionales. Selon l’analyse que produit Saloua Zamouria dans Comparaison du fonctionnement du compliment en français et en arabe tunisien, “ce qui est catégorisé comme compliment en français, ne constitue en définitive pour les Tunisiens, qu’une louange adressée à l’allocutaire, exprimée par les verbes madaha ou chakara”. Cette notion fait donc partie d’une catégorie bien particulière exprimée par Jef Verschueren : les “forgotten routines”, c’est-à-dire un “ensemble de routines conversationnelles non lexicalisées”. À travers cette expression, le linguiste met en avant l’idée selon laquelle l’omission sémantique qui peut exister au sein de certaines civilisations concernant ses pratiques n’illustre pas nécessairement leur volonté de les passer sous silence, mais plutôt leur intérêt à ne pas les enfermer dans un concept. Ainsi, le compliment ne semble pouvoir s’incarner dans une représentation plus concrète qu’une liste non exhaustive de situations, dépendant grandement du cadre dans lequel on en fait l’étude.
Humaniser ses interactions par l’admiration
Pourtant, quel que soit le terme qui le caractérise, il va sans dire que le compliment fait du bien. De fait, la représentation méliorative qu’il constitue de son sujet permet à ce dernier de produire une évaluation positive de lui-même. L’expérimentation que Shay Glover réalise à Chicago au sein de son école illustre cette idée.
Après avoir demandé à certains professeurs ainsi que plusieurs de ses camarades la permission de les photographier, l’élève de 18 ans affirme : “Je prends des photos des choses que je trouve jolies.” À la suite de cette déclaration, elle capture l’image de ses modèles. Les résultats, qui se déclinent sous deux catégories distinctes, s’avèrent particulièrement concluants : une partie de la population rit ou sourit, tandis que l’autre a le regard fuyant ou se couvre le visage. Dans tous les cas, le compliment a un effet important vis-à-vis de celui qui le reçoit. À travers une stratégie qui utilise la surprise et la spontanéité, la jeune fille démontre donc le lien étroit qu’il existe entre la pudeur des individus et leur propension à accepter l’admiration d’autrui.
Un concept caméléon
De plus, le compliment peut également varier dans la façon dont il est formulé. Dans son ouvrage La conversation familière, Véronique Traverso expose les configurations multiples qu’il peut embrasser :
– Compliment focalisé sur l’interlocuteur (par exemple : “Tu es ravissante dans ce tailleur bleu”)
– Compliment focalisé sur le lien entre l’interlocuteur et un autre objet/ individu (par exemple :“Ce tailleur bleu te va à ravir”)
– Compliment focalisé sur un objet possédé ou un individu en lien avec l’interlocuteur (par exemple : “Tu as un ravissant tailleur bleu”)
– Compliment focalisé sur les goûts de son auteur (par exemple : “j’aime bien ton tailleur bleu”).
Malgré leur caractère minime, ces distinctions sont d’une importance incontestable. C’est effectivement à travers elles que l’individu qui complimente pourra choisir le style avec lequel il exprime son admiration au complimenté. Cette décision est influencée par de nombreux facteurs, tels que la timidité de chacun des interlocuteurs, leur estime de soi, mais également les normes avec lesquelles ils ont été éduqués, le lieu et les autres acteurs présents…
Quoi qu’il en soit, il est indéniable que la portée des compliments fluctue suivant leur nature. Ceux-ci peuvent premièrement être énoncés de manière explicite. Ronald Boyle explique que cela se produit lorsqu’“ils sont reconnus comme des compliments en dehors du contexte, étant réalisés par un petit ensemble de formules conventionnelles”. Très directe, cette forme a pour avantage de ne pas laisser place au doute, marquant ainsi l’individu complimenté de manière durable.
En effet, dans la mesure où elle peut s’appliquer à tout moment, la louange, si elle est communiquée sincèrement, paraît mettre en lumière une vérité générale relative à l’un de ses traits (physique ou moral). Au contraire, les compliments implicites requièrent généralement de plus de subtilité. Ils sont ceux, selon Boyle, “dans [lesquels] le jugement de valeur est présupposé et/ou impliqué par les maximes gricéennes”.
On pourrait en donner un exemple à travers la phrase suivante : “J’espère pouvoir un jour cuisiner comme toi” (sous entendu : l’interlocuteur est doué des talents culinaires). Cependant, Carmen Maíz-Arévalo démontre, dans son article “Was that a compliment?” Implicit compliments in English and Spanish que, parce qu’il est parfois obscur, le compliment implicite fait fréquemment débat. Pour le comprendre, imaginons une situation à plusieurs issues :
Cas initial : Une adolescente admirative des stars de la pop musique américaine s’adresse à son amie en lui disant qu’elle s’est maquillée à leur image.
Première issue probable : L’amie en question apprécie le compliment de l’adolescente (elle aussi admire ces stars et aimerait leur ressembler).
Deuxième issue probable : L’amie en question perçoit le compliment de l’adolescente comme une critique (malgré son admiration pour les stars, elle considère que vouloir leur ressembler s’apparente à quelque chose d’inapproprié).
Troisième issue probable : L’amie en question apprécie le compliment de l’adolescente (elle n’aime pas ces stars mais connaît l’admiration de son amie à leur égard)
Quatrième issue probable : L’amie en question perçoit le compliment de l’adolescente comme une critique (elle n’admire par ces stars, et considère la volonté de leur ressembler comme quelque chose de honteux).
Cette grande diversité de conséquences envisageables illustre à quel point il est intéressant d’analyser les résultats du compliment, tant dans le contexte d’études sociologiques que psychologiques des individus.
De ce fait, madaha, compliment, комплимент, halago ou encore kompliment, congratulation, 褒め言葉, complimento et bien d’autres encore, ont toujours su s’affirmer tels des instruments favorables à la construction de relations humaines bienveillantes.
C’est ce qu’André Maurois veut dire quand il affirme que “tout compliment est une caresse.” Alors, manifestons notre admiration sous la forme qui nous convient le mieux, tant qu’elle est authentique : si elle ne s’avère pas digne d’un conte de fée, elle le sera peut-être d’un sourire.
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