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Par Charles Ottavi 

La scène est tellement incroyable qu’elle ne peut avoir été inventée. Le 6 février 2010, le Paris Saint-Germain reçoit Lorient au Parc des Princes pour enregistrer sa quatrième défaite consécutive en L1. Dans la foule de supporters, certains crient à la démission de la direction du club, et d’autres tentent même d’envahir le terrain à la fin de la partie. Parmi les spectateurs, un homme incognito range calmement dans sa poche le ticket qu’il a acheté et quitte les lieux sitôt le match terminé. Il s’appelle Tamin ben Hamad Al Thani, il a 29 ans. Passionné de sport, il a participé adolescent à plusieurs tournois régionaux de tennis, est membre du Comité International Olympique depuis 2002 et a présidé le comité d’organisation des Jeux asiatiques en 2006. Mais si Tamim Al Thani mérite qu’on s’intéresse à lui, c’est qu’il est l’héritier au trône de l’émirat du Qatar (il en est l’émir depuis 2013), soit le premier exportateur de gaz naturel liquéfié, mais aussi premier émetteur mondial de CO2 par habitant. 

Ce n’est donc pas par hasard qu’il est venu ici en repérage pour racheter un club, jadis à la dérive mais aujourd’hui métamorphosé à coups de gazodollars en l’un des mieux dotés d’Europe. Et ce n’est pas simplement à cause de sa passion adolescente pour le football qu’il s’est offert le Paris Saint-Germain, son club de cœur. Depuis une vingtaine d’années, son pays entreprend une véritable diplomatie du sport, vu à la fois comme un investissement lucratif et comme un véritable outil de soft-power. Une politique qui trouve son apogée cette année avec l’organisation de la 22ème édition de la Coupe du Monde de football.  

C’est à partir de 1995, date du coup d’état du cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani contre son père, que cette fameuse “diplomatie du sport” devient véritablement un pivot du développement extérieur du Qatar, poursuivant de multiples objectifs. Elle s’inscrit dans une vision globale qui est d’assurer des revenus alternatifs à l’extraction gazière afin d’être prêt économiquement le jour où les réserves de gaz du pays commenceront à être à sec. C’est dans cette optique qu’est créé en 2005 le fonds souverain d’investissement Qatar Investment Authority (QIA). Ce fonds est chargé de réinvestir et contrebalancer la part des revenus liés aux industries extractives dans des secteurs lucratifs comme l’immobilier, la finance et le sport avec sa filiale Qatar Sports Investment (QSI). Cette filiale, aujourd’hui dirigée par Nasser Al-Khelaifi le président du PSG, est connue pour ses investissements directs dans des clubs de haut-niveau comme ce fut le cas, à part pour le club parisien, de Malaga en 2010 et du SC Braga en 2022. 

Si cette politique a pour but de diminuer sa dépendance au gaz et au pétrole, le Qatar compte bien profiter pour en faire un outil d’influence auprès des pays occidentaux et arabophones, afin de se faire une place dans cette région du Moyen-Orient connue pour être particulièrement tendue. Une région où le “football est la deuxième religion” comme le souligne Nabil Ennasri, directeur de l’Observatoire du Qatar, et dont l’état princier est devenu le minaret, via la construction d’un véritable empire médiatique. Notamment, grâce au lancement d’Al-Jazeera Sport, chaîne connue aujourd’hui sous le nom plus universel de Bein Media Group, qui a décidé de s’emparer des droits de diffusion, véritable feuilleton médiatico-financier, des grands championnats et compétitions européens. En effet, en acquérant les droits de diffusion tantôt de la Ligue des Champions sur la période 2012 – 2015, de la ligue 1 entre 2018 et 2020 mais également de l’Euro 2021 et des Coupes du monde 2018 et 2022, le Qatar a accru sa propre notoriété et étendu sa zone d’influence en Occident. 

Néanmoins, l’empire a ses failles. L’image positive qu’il essaie de véhiculer grâce aux valeurs sportives relève plus d’un château de cartes qui a commencé à s’effondrer à la première bourrasque, lorsque la réalité sociale qatarie est apparue au grand jour.

Elle devait en être la grande consécration, elle en sera probablement l’un des plus grands fiascos de l’histoire du football. Dans quelques semaines, le Qatar accueillera “sa” Coupe du monde de football, du 20 novembre au 18 décembre 2022. Une Coupe de Monde qui fût obtenue dans des conditions plus qu’obscures, avec des soupçons de corruption. Une Coupe du Monde rendue possible grâce au “travail”, considéré par de nombreuses associations comme de l’esclavage moderne, de plus de 2 millions d’ouvriers étrangers dont plusieurs milliers sont morts depuis l’attribution en 2010. D’emblée, la compétition s’annonce être un désastre, à la fois en termes d’image pour les droits de l’Homme et pour l’environnement. Mais elle pourrait également l’être en termes de résultats sportifs, en cas de mauvaise performance de son équipe nationale, révélateur de l’une des plus grandes failles du projet sportif qatari. 

En effet, si le développement sportif avait pour but que le pays obtienne une place d’influence dans la nouvelle donne mondiale, il avait également pour objectif de mettre les qataris au sport afin de faire émerger et d’attirer les talents grâce à des investissements infrastructurels massifs. C’est notamment le cas avec la création en 2005 de l’Aspire Zone, un complexe sportif de luxe couvrant 250 hectares et comprenant l’Aspire Academy, ayant pour but de former la future élite du sport qatari. 17 ans plus tard, les résultats sont anecdotiques (le Qatar n’a jamais réussi à se qualifier pour aucune édition de la Coupe du monde… si ce n’est la sienne, pour laquelle elle est qualifiée d’office) et pourraient bien sonner l’heure des comptes, à mesure que l’ouverture de la Coupe du monde approche à grands pas. Le contraste aux yeux du monde entier s’avérerait alors désastreux pour le Qatar, qui a tenté de faire oublier son image de monarchie de poche. L’histoire au fond d’un micro-état qui rêvait, grâce au sport, d’incarner le paradis sur terre et qui n’est pas loin d’en devenir un enfer.

Pour en savoir plus : 

  • Les Années Folles, récit Explore L’Equipe
  • La diplomatie sportive, enjeu stratégique pour le Qatar, Hermès la revue, février 2018 (n°81) de Thierry Côme et Michel Raspaud
  • LES CAUSES DE LA MORT DE MILLIERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS DISSIMULÉES PAR LE QATAR, Amnesty International , 2021

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