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Par Charles Ottavi

Après avoir fini de lire Le Mage du Kremlin, une histoire a immédiatement fait surface dans mon esprit. Nous sommes en 1936. Staline vient d’être réélu à la tête de l’Union Soviétique avec plus de 98% des voix. Grâce aux grandes purges, il a éliminé tout concurrent potentiel. Son emprise sur le plus grand État du monde est absolue. Il commence son discours, long comme à son habitude, sans emphase, sans aucune rhétorique, sans chaleur, sans âme. Staline parle d’une voix monotone et froide comme le ferait aujourd’hui la voix artificielle d’un ordinateur. Dans la salle, la foule de la nomenklatura soviétique lutte pour ne pas s’endormir, pour ne montrer aucun signe de mollesse et d’ennui. Lorsqu’il aura fini, ils se lèveront tous pour l’applaudir pendant d’interminables minutes jusqu’à ce qu’il décide d’y mettre un terme. Ils n’oseront s’asseoir de peur d’être torturés et envoyés au goulag le jour suivant. Ainsi est le pouvoir des dictateurs, ce pouvoir mécanique, voire inhumain. 

Tant pour sa qualité littéraire (le roman a remporté le Grand Prix de l’Académie Française et a raté de peu le Goncourt) et son analyse géopolitique que pour sa réflexion sur le pouvoir, ce livre mérite toute notre attention.

Ici, un ancien conseiller du Prince – Giuliano da Empoli, ancien conseiller politique du premier ministre Matteo Renzi – dresse le portrait de l’ancien conseiller du Tsar – ici Vladislav Sourkov, ancien conseiller politique de Vladimir Poutine renommé Vadim Baranov dans le livre – véritable Machiavel à la sauce russe.  

L’histoire débute au milieu des années 1990, dans une Russie en pleine ultra-libéralisation et sous le règne des oligarques. Le jeune Baranov, producteur de télé-réalité se retrouve au milieu des tractations sur le futur remplaçant de Boris Eltsine, pantin imbibé d’alcool, moqué des Occidentaux et zombifié par deux attaques cardiaques. Il devient alors le conseiller de choix d’un certain Vladimir Poutine, directeur du FSB, le service de renseignement, un nostalgique de la puissance soviétique, dénué de charisme et de peu d’ambition, excepté quand il s’agit de pouvoir. 

Car c’est ce qui fait ici la puissance et l’intérêt de ce récit, c’est cette profonde réflexion sur le pouvoir, mais pas le pouvoir comme les Occidentaux l’imaginent. C’est le Pouvoir avec un grand P, un P, au fond, comme Poutine. 

Il nous fallait un moyen pour savoir ce qui s’est passé dans le cerveau de Vladimir Poutine du 1er janvier 2000 au 24 février 2022. Giuliano da Empoli a trouvé le seul possible, celui de l’inventer. Le livre nous offre une vision russe sur les événements de ces vingt dernières années, de la guerre en Tchétchénie à l’invasion de la Crimée, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi. Le récit d’une guerre froide de l’ombre, qui n’a jamais véritablement cessé  dans le cerveau du Tsar. 

Une scène du livre résume parfaitement cette opposition entre une vision occidentale et slave du pouvoir politique ; c’est la rencontre entre Bill Clinton et Vladimir Poutine, au tout début de l’an 2000. Clinton, incarne ce pouvoir  érotique, charismatique, tel un Kennedy des temps modernes. C’est le pouvoir “chaud”. Poutine, petit homme froid, incarne cette force la plus brutale, la plus sauvage, la plus profonde et inhumaine. C’est le pouvoir “froid”, celui qu’ont eu avant lui Pierre le Grand, Ivan le Terrible et Staline. Tous ces dictateurs que la Russie redoute mais vénère, prouvant à Baranov que la Russie est tout sauf un pays comme les autres. 

Ce pouvoir que redoute et vénère à la fois une Russie toute entière. Une Russie que Vadim Baranov, ancien producteur d’émissions de télé-réalité, va mettre en scène et va mettre au pas. C’est un récit qui explore les coulisses de l’ascension et du système Poutinien,. Ce Tsar moderne entouré de conseillers à qui il ne fait pas confiance, si ce n’est à son labrador, parfois outil géopolitique lors de rencontres au sommet avec une chancelière allemande cynophobe. Le livre nous offre une vision russe sur les événements de ces 20 dernières années, guerre froide de l’ombre que le Tsar n’a jamais considérée comme finie. Mais également une profonde réflexion sur le pouvoir politique et les fondements d’un régime autoritaire, où la raison et la vérité ont été abolies au profit de la force et de la peur instituées par un seul homme. Le Tsar.

L’EXTRAIT : 

–  Tu sais quel est le problème, Vadia ?

– Bien sûr, je le sais, Boris, le problème c’est que Poutine est un espion. 

–  Non, écoute-moi, Vadia, ce n’est pas un espion. Ton chef travaillait pour le contre-espionnage. Ce n’est pas la même chose du tout ! Tu sais quelle est la différence ? Que les espions cherchent des informations exactes, c’est leur métier.  Le métier des gens du contre-espionnage en revanche est d’être paranoïaque. Voir des complots partout, des traîtres, les inventer quand on en a besoin : ils ont été formés comme ça, la paranoïa fait partie de leurs obligations personnelles. 

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