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L’enfant longtemps se brisa les poignets

Sur des tournures de phrases alambiquées

Sur des virgules tordues, des pleins et des déliés

Agonisant sur sa fragile feuille de papier.

 

L’enfant longtemps confondit les lettres entre elles

Au risque de les froisser et de leur briser les ailes

Il n’avait que faire des rivalités entre consonnes et voyelles ;

Quand il copiait des lignes, il rêvait de jouer à la marelle.

L’enfant longtemps brisa sa nuque et sa mine de crayon

Pour des voyages interminables dans des pays arides

Où les langues sont toutes mortes et pleines de rides

Où les gens silencieux résonnent des chansons

Cachées dans leurs ventres creux, enfouies si profond,

Tues pour faire triompher la poussière des leçons.

 

L’enfant longtemps connut les frissons de la craie

Sur le tableau de la maîtresse dont il connaissait

Mieux le dos que le visage, mieux les lunettes que la peau

Et qui pouvait décider de son sort pour un oui ou pour un mot.

 

L’enfant longtemps oublia de vivre

Occupé par toutes celles des livres

Ces vies misérables, rocambolesques ou romantiques

Qui lui donnaient l’impression d’être tout sauf fantastique.

Lui qui avait autant d’années de vie que de dents tombées

Se brûlait la rétine chaque jour, chaque nuit

A décortiquer des pages humides, oubliées et jaunies

Dans le noir de sa chambre flottait un parfum d’interdit

Alors dans un frisson des lanternes s’allumèrent

Et des milliers de portes tout à coup apparurent

 

L’enfant longtemps caressa les poignées

Fit sauter les verrous et hésita à entrer

Mais l’infini des possibilités le retenait ;

A l’idée de faire le mauvais choix et de le regretter

Il préférait ne pas en faire du tout et se délecter

Des portes ouvertes des labyrinthes des rues pavées

Des couloirs des dédales des impasses des champs de blé

Il prendrait n’importe quel chemin, n’importe quel sentier

Tant pis pour les égratignures, les contresens et les routes barrées

Il acceptait les déviations, les contretemps et les dangers

Tant que c’était pour son jardin, son immense potager

Qu’il semait de graines années après années, émerveillé

Par ce qui poussait, grandissait, qu’il faudrait cultiver

Il passait des heures en compagnie des arrosoirs

A s’abreuver de contes, de légendes et d’histoires

Elles étaient sombres, sensibles, toutes roses ou toutes noires

Sordides, torrides, mystérieuses ou bizarres

Sous son grand chapeau de paille l’enfant accueillait le soleil

Il voulait apprendre, apprendre encore, à en oublier le sommeil.

L’enfant longtemps parcourut des lignes des yeux

Il ne se laissait jamais des livres jaunes ou vieux

Puis vint le temps de la parole après celui des mots

Il sentait en lui un certain regard, un certain beau,

Une pupille dilatée prête à accueillir la lumière

Toute celle que pourrait lui déverser l’univers.

Alors un jour il troqua le livre contre le stylo

Après la craie des tableaux, les autres et leurs mots,

Il avait son encore, son port, son bateau

Pour voguer au fil des eaux et de ses maux.

Alors l’enfant pour toujours se cassa les poignets

Sur des vers mal en point, des strophes atrophiées,

En témoigne la crise de foie de la corbeille à papier

Gavée de feuillets noircis, froissés ou déchirés.

L’enfant pour toujours aima l’harmonie

De l’âme et du papier, de la main et de la vie ;

En l’honneur du miracle sans cesse répété

Des lettres alignées aux étoiles éloignées

Il donna un nom au généreux génie

Qui nourrit le cœur des hommes depuis des décennies

J’ai nommé notre fée bienfaitrice poésie.

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Julie Palomino-Guilbert

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