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Crédits: Affiche du téléfilm Ena, l’école du pouvoir

La curiosité et une forme de proximité avec le sujet de la préparation aux concours de la fonction publique m’y poussant, j’ai été amenée très récemment à m’infiltrer aux oraux de l’INSP. Formulation racoleuse s’il en est puisque que tout majeur intéressé est en mesure de vivre cette expérience Ô combien réjouissante que je recommande vivement. 

J’arrive donc vers midi à Paris Gare de l’Est où je m’arrête prendre un matcha latte lait de coco au prix équivalent de deux repas au CROUS, comme pour me féliciter d’avoir eu une si bonne idée. En effet, quoi de plus intelligent que de prévoir une escapade d’un jour, quand je dois  accoucher de 15 à 20 pages pas trop médiocres pour le samedi en plus d’autres rendus sur lesquels j’avais pris mon retard habituel. Je prends par la suite le métro, réjouissement ultime des sens dont, pourtant parisienne, je m’étais déshabituée depuis ma dernière venue. Marchant ensuite en direction de l’avenue de l’observatoire où se tiennent  les oraux, je m’arrête  prendre un café rue Guynemer afin de ne pas être trop en avance et devoir, dans la salle d’attente, avoir à feindre  un air affairé et éclairé pendant trop longtemps. Longeant ensuite le jardin du Luxembourg et le Lycée Montaigne, plusieurs choses me viennent  à l’esprit. Tout d’abord qu’en termes de cadre, il vaut  mieux être sénateur que député, que ce jardin me rend terriblement nostalgique pour des raisons que j’ignore  et enfin, en passant devant les lycéens en pause, que je regrette l’époque où j’ignorais l’existence de la politique comparée. Je tourne à droite sur l’avenue de l’Observatoire que j’emprunte  pour la première fois, et qui, sous le soleil froid de Novembre, m’apparaît à la fois superbe et menaçante. Bref, jamais la politique et l’État ne me sont tant apparus aussi pleins de rebondissements et de joies potentielles, et cela sans compter les observations à venir.

Je me présente donc à l’entrée afin de pouvoir m’inscrire et suis accompagnée en salle d’attente. Dans mon déplacement, je remarque  la grandeur et beauté surprenantes des  locaux, ces derniers encadrant  plusieurs cours pavées de mosaïques, constat qui a pour effet de me rassurer : les futurs haut-fonctionnaires français n’auraient pas à être évalués dans des Algeco miteux. Les meilleurs connaîtront par la suite la joie de découvrir l’open space du Conseil d’État (peut être que des oraux en milieu plus austère eussent pu commencer à acclimater nos élites zélées aux rigoureuses conditions de travail du Palais royal).

 

Observations sociologiques : l’énarchie en marche

En salle d’attente je commence mon travail d’observation de haute voltige. Il m’apparaît que je suis  entourée d’individus qui peuvent (à la louche) être rangés dans trois catégories : les candidats, les préparationnaires et les agents administratifs. Force est de constater que les deux premières catégories sont, au premier abord, extrêmement similaires. Seule une tenue plus formelle et une attitude de nervosité évidente me permettent de distinguer le bon grain admissible de l’ivraie en plein fichage de finances publiques. 

Constat peu surprenant : les énarques et/ou futurs énarques se ressemblent. Si je ne parviens pas à trouver ce qui constitue l’essence même de ces mandarins de l’État français, le portrait robot de l’admissible est  à peu près le suivant : individu généralement myope, à peu près 25 ans, svelte, le pas décidé et léger (délesté de ses manuels de finances publiques et droit administratif), propre sur lui, possédant une mallette en cuir. Les énarques ont une tête d’énarque. C’est difficilement descriptible mais évident lorsque l’on y fait face. Ce n’est pas un critère de beauté ou de laideur comme ce pourrait être le cas d’autres écoles, les chartistes ayant par exemple comme caractéristique commune d’être assez vilains (j’espère à ce propos que ce texte ne tombera pas entre leur mains délicates d’archivistes paléographes plus habituées au contact de manuscrits anciens qu’au contact humain). L’ENA-compatibilité physique est un fait : either you have it or you don’t. Revenons-en à nos moutons car je suis  ra-vie : tous ceux dont j’assiste  aux oraux ressemblent  à ce à quoi je m’attendais. Je nage en plein cliché et me félicite d’avoir si bien employé les 40 euros dépensés pour revenir à Paris.

 

Les épreuves

Je commence à 14h15 par assister à la redoutée épreuve de l’entretien, 45 minutes coefficient 6 divisée en 3 temps : un exposé du parcours du candidat, deux mises en situation et des questions transversales. Le candidat est face à un jury composé de 5 membres, 10 personnes maximum à la droite de la salle peuvent assister aux oraux. L’exercice est impressionnant à la fois par sa durée, par sa symbolique et par la grandeur de la salle. Ceux (c’est-à-dire à peu près tout Sciencespiste français) ayant vu l’extrait d’ouverture du téléfilm « ENA, l’école du pouvoir » se font une idée très précise de l’exercice comme étant un mélange entre une reprise de concours d’éloquence et torture intellectuelle à base de questions sur l’étymologie du mot travail ou l’évolution du déficit. 

Je me comprends dans ce groupe et m’attends à assister avec délectation à la destruction de l’égo du candidat qui passe. Il n’en est rien (j’apprends  par la suite en lisant les rapports d’admission que le jury adopte  désormais une posture de bienveillance à l’égard  des candidats). Les premières minutes comportent un exposé appris par cœur de son parcours et de ce qui constitue  son attrait. Que dis-je, son incommensurable amour pour l’action publique. Le candidat a à peu près tout fait : assistant parlementaire, stagiaire en organisation internationale, stagiaire en conseil départemental, service civique, travail de recherche et engagement associatif de longue durée. S’il ne semble alors  pas possible de faire plus, il le fait quand même : il n’est pas Sciencespiste mais Normalien. S’ensuit un échange à propos de ce qui a été dit jusqu’à une question, posée d’ailleurs lors du second entretien auquel j’assiste, portant  sur les échecs ou déceptions associés au parcours du candidat. Amusée, je me plais à parier que le drame des 25 ans d’existence du jeune homme pourrait être  d’avoir eu PSL et pas Ulm. La réponse est cependant toute autre ; c’est la difficulté de trouver un poste de contractuel en ministère qui l’amène jusqu’ici. Le candidat souhaite en effet travailler dans un ministère social. 

S’ensuivent deux mises en situation, l’une portant sur la réalisation (ou non) d’un communiqué de presse préfectoral visant à témoigner d’un maintien de l’ordre dans les règles et la seconde d’une situation de management où un homme refuse  de partager son bureau avec une collègue féminine. Le candidat répond  très rapidement, bien qu’il se prenne à répéter quelques fois l’énoncé de différentes manières afin de gagner du temps, et que le jury doive  le pousser pour qu’il donne un avis. 

La dernière section de l’oral porte sur des sujets variés : CJR, modèle social Suédois. L’impression générale est  une forme d’ultra fluidité anonyme des réponses selon le modèle permanent du « en même temps », je ne saurais pas déduire grand-chose de la personnalité du candidat si ce n’est une forme de franchise réservée. 

Sonnerie du minuteur : fin. Tout était passé très vite, l’entretien ne traîne  pas en longueur. 

L’heure, donc, du second entretien, cette fois-ci une candidate. Si je croise quasi uniquement des candidats de sexe masculin au cours de l’après-midi, 42% des admissibles cette année sont des femmes. La jeune femme est stressée et, contrairement au candidat précédant, ne crée pas d’action écran en elle et le jury (dans ce cas, utiliser à son avantage le fait d’avoir de l’eau à disposition). Il faut aussi ajouter un  désavantage de l’ordre du mobilier utilisé, la table étant haute et le siège relativement bas : position assez inconfortable pour tout candidat mesurant moins d’1m70. 

Bis repetita : présentation apprise par cœur, myriade de stages. Le jury est particulièrement bienveillant dans cette première partie. Je remarque à ce propos une tendance à la bienveillance des jurés pour les candidats du sexe opposé. La candidate est elle aussi attirée par les ministères sociaux ainsi que par le domaine de la santé (j’apprends que c’est l’échec à l’oral du concours de directeur d’hôpital qui la pousse  vers l’INSP). Cet attrait (apparemment non-feint) partagé par les deux candidats en entretien me surprend  : était-il devenu de mauvais ton de rêver des grands corps ? 

Deux mises en situation s’ensuivent : sécurisation d’une manifestation non déclarée d’intermittents du spectacle dans un « très célère festival de théâtre annuel dans le Vaucluse » conjointement au déplacement du ministre de la culture. La périphrase fait  sourire dans la salle. Autre mise en situation : le candidat est un manager exclu d’une boucle de mail. La candidate patine un peu plus sur le troisième temps : les questions portent sur la défense française, le Conseil de sécurité de l’ONU et enfin sur les statuts de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie. Minuteur. C’est fini. 

Je recherche pendant la pause le jury : parmi celui-ci  un conseiller d’état, une inspectrice de l’administration, un ex-ambassadeur. Je me prends à penser que l’entretien n’est quand même pas si difficile à condition d’avoir quelques expériences professionnelles et associatives supplémentaires, et que je serais capable ce jour-même de livrer une performance médiocre mais honorable. Mon égo surdimensionné et mes certitudes de réussite seront très vite dégonflées par l’épreuve qui suit : questions UE. 

Trente minutes dont dix d’exposé préparé une heure à l’avance, face à un jury composé de deux membres. L’enfer. Je crois à ce propos que le candidat s’y attend : il porte, sans doute pour égayer sa journée, des chaussettes « funky et djeuns » à motif de planètes. Outre cette faute de goût surprenante, d’autant plus que le candidat semble être dans sa trentaine (n’oublions cependant pas une des caractéristiques de l’énarque : il fait plus âgé), l’entretien se déroule relativement sans heurts. Le candidat a cependant un tic obsédant : une déglutition des plus sonores à des intervalles de 45 secondes environ durant l’intégralité de l’entretien. Je me demande si cela peut être pénalisé (j’espère sincèrement pour lui que ce n’est pas le cas). Mécanismes d’ajustements carbone aux frontières, Commission européenne (écorchage au passage du nom de sa présidente), mix énergétique et politiques COVID : ping pong entre jury et candidat. Fin.

Entre-temps, une connaissance part passer son entretien : je lui souhaite bonne chance. J’espère que cette maigre transgression de principes superstitieux ne sera pas responsable de son second échec (j’appris plus tard qu’il fut admis. Ouf)… Il est temps pour moi de partir et, si je n’ai pu assister aux épreuves orales restantes (épreuve collective d’interaction,  question internationales et anglais ), je repars avec un idée un peu plus précise des attendus et beaucoup de désillusions (n’oubliant bien sûr pas  que mes sources principales étaient un téléfilm C+ de 2009 et des bribes de témoignages d’amis de mes parents). 

Sur le chemin du retour, je passe devant le Sénat, descends le boulevard Saint Germain, évite la rue de Varenne, longe Solférino, Quai d’Orsay, Palais Bourbon…Un pèlerinage étatique se présente à moi et je ne peux m’empêcher de me dire que ces lieux accueilleront très probablement certains de ceux que j’ai vus aujourd’hui. Je prends la décision de ne pas trop me moquer d’eux dans mon article ; après tout, j’ai bon espoir d’être un jour à leur place. 

 

 

 

 

 

 

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Sophie Riondet

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