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1)        Comment j’ai sciemment rendu un livre en retard ou “quand l’obstination ne paye pas”

Car, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, mais une attente terrible du jugement et l’ardeur d’un feu qui dévorera les rebelles.

Hébreux 10 :26

Il y a environ trois semaines, j’ai enfin rendu un livre que j’avais emprunté, si mes souvenirs sont bons, à la mi-novembre (comptons donc un retard d’environ trois mois). Les 700 pages de Dette de David Graeber furent donc restituées par ma main penaude au guichet de la bibliothèque où, fort heureusement, je fus accueillie par un vacataire empathique (et non l’un des grands pontes de la formation à la citation académique) qui ne me fis pas de remarque. 

Revenons-en cependant au début de cette histoire. Si l’emprunt d’un ouvrage sur la dette est indéniablement une idée salutaire, croire que l’on peut le terminer dans les 15 jours impartis par le prêt témoigne d’un hubris certain. Je dépassais donc allègrement le délai de départ tout en avançant très peu, et décidais de rester dans l’illégalité jusqu’à ce que je vienne enfin à bout de ce grand livre rouge. 

Les incitations répétées de la bibliothèque sous forme de mails automatiques de rendre mon livre car son prêt touchait à sa fin me laissèrent initialement de marbre et étaient supprimées simultanément à leur réception. Things could have been solved the easy way : c’était sans compter la répression des plus infâmes dont je fus par la suite la victime.

En effet, passée la salve initiale de mails, la bibliothèque décida alors d’entamer une phase plus offensive de riposte face à mon ghosting. Les années d’expérience ont sans doute permis d’observer l’inefficacité absolue des mails sur les petits malins de mon espèce qui abusent des prêts. Pour mater ces rébellions  individuelles, la bibliothèque utilise des techniques sournoises de répression.

Rien n’avait  pu me préparer à ce qui m’arriva (si ce n’est le contenu des mails automatiques dont j’ai précédemment raconté le sort). Mon espace étudiant fut bloqué avec pour seul message de rendre mon livre car son prêt touchait à sa fin. Déjà qu’il m’était devenu impossible d’emprunter quoi que ce soit depuis plus de deux mois, je dus m’incliner face à cette ultime sanction. Je m’éloigne de Dette qui repose  maintenant dans le petit bac de livres à remettre en rayon avec des yeux embués : je ne l’avais même pas lu à moitié. Un air de défi dans le cœur, je me promets  de revenir le chercher un jour et d’enfin conclure cette lecture.

Ce que j’apprends par la suite finit d’achever mes rêves de retrouvailles avec Dette. J’étais en effet interdite de prêt pour une durée égale à la durée de mon retard, soit trois mois.

Je n’allais donc pas pouvoir revoir ce livre (à travers un circuit légal du moins) avant mon arrivée en master. Enfer et damnation. 

2)        De l’expiation à la réflexion.

Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s’étend à tous les hommes.

Romains 5 :18

Je suis maintenant privée de prêt et je purge ma peine, attendant calmement l’expiation totale de ma faute. Maigre consolation : j’ai encore accès aux ressources numériques. 

Très rapidement, cependant, comme chez ceux qui mènent une vie de menus larcins, la tentation de recommencer se représente bien vite : je veux réemprunter un livre voire même plusieurs…

Dans cette entreprise illégale, je suis  aidée par une E. , une amie (dont je tairais le nom pour des questions de confidentialité et que je remercie) qui me prête son compte, à condition de rendre mon livre à temps. 

Je pense cependant à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un entourage si prodigue : tout les encourage à se tourner vers le prêt informel, à plonger dans l’échange sous le manteau : il est une économie souterraine dont on ignore l’existence jusqu’à ce qu’on soit contraint d’emprunter ses voies sinueuses ; Sciences Po en est le complice.

3)        Sciences Po en faveur d’une justice punitive ?

La pénalité perpétuelle qui traverse tous les points, et contrôle tous les instants des institutions disciplinaires compare, différencie, hiérarchise, homogénéise, exclut. En un mot elle normalise.

Michel Foucault;Surveiller et Punir 

Justice punitive : attribution d’un blâme et dans la plupart des cas, d’une sanction punitive à des personnes qui ont violé une norme.

Si l’on s’en tient à cette définition, les sanctions pratiquées par la bibliothèque de Sciences Po tiennent sans le moindre doute de la justice punitive, la peine étant en tout point proportionnelle à la faute (et consistant à son équivalence négative) et le blâme pouvant s’apparenter à un blacklistage temporaire. Et moi qui pensais que mon école qui multiplie les accusations de wokisme et laxisme de tous bords serait pour une justice restaurative… 

J’ai donc eu de quoi être surprise, d’autant plus que sont rarement prononcées des peines aussi sévères dans les tribunaux. Par exemple, si nous prenons les réclusions criminelles dites à “perpétuité incompressible” − peine la plus lourde du code pénal qui se veut la plus proche d’une “perpétuité réelle” − seulement cinq ont été prononcées durant les 30 dernières années. Chiffre qui devrait hypothétiquement être amené à augmenter (quand on sait que la prépa concours à l’ENM de Sciences Po fournissait en 2021 près de la moitié des promotions de magistrats français) si les Sciences Pistes suivent les principes talioniques qui leur sont inculqués par leur environnement.

La bonne conduite comme la négociation ne fonctionnent pas dans le royaume des rayonnages. Ici, pas de remise possible : mon compte est bloqué, ma peine incompressible et immense, bien qu’elle ne se limite qu’aux murs de la bibliothèque (au passage sorte de panoptique construit autour de l’arbre central. Coïncidence ? Sans doute pas).

Je conclurai en réaffirmant les valeurs originelles de Sciences Po : “Le moins que l’on puisse attendre d’un homme cultivé, c’est qu’il connaisse son temps.”disait Emile Boutmy, l’un des fondateurs de notre institution. Puis-je seulement prétendre à cette exigence si je ne peux lire le dernier essai de Camille Froidevaux-Metterie entre deux chapitres d’ “Une histoire du conflit politique”? 

Alors Sciences Po, je vous en conjure, please unblock me et augmentez la durée des prêts de livres hors manuels et autres textbooks. Cette mesure pro-lecture vous sera rendue au centuple : c’est ça le vrai choc des savoirs.

 

 

 

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Sophie Riondet

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