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Chaque année, de janvier à mars, c’est un festival de robes de soirée et costumes qui fait surface sur les tapis rouges les plus célèbres du monde. Oscars, Grammys, Golden Globes, César, les industries musicale et cinématographique mettent à l’honneur les artistes qu’elles jugent les plus méritants en leur remettant des trophées. Impossible de passer à côté de ces cérémonies ultra-médiatisées qui réservent chaque année leur lot de polémiques et moments forts, qui servent à leur succès aussi bien qu’à l’alimentation d’une décrédibilisation continue. 

Au fil des années, malgré leur symbolique forte et les films à succès qu’elles récompensent, les cérémonies de remises perdent la côte et connaissent des baisses d’audience historiques. Une des principales raisons de ce désintérêt est leur perte de légitimité. Mais pourquoi devons-nous arrêter d’aduler ces cérémonies ?  

 

A l’ère de l’ode à la diversité et de la mise en avant des minorités, les cérémonies de remise de prix paraissent arriérées, parfois même archaïques. 

 

Cas d’école : les Emmy Awards. Ces récompenses pour les meilleures séries télévisées de l’année sont marquées par cette uniformisation. À titre d’exemple, la série Succession a été nommée dans pas moins de 14 catégories en 2022. Ce chiffre impressionnant dérive l’attention d’autres œuvres toutes aussi méritantes mais moins populaires. 

 

Les récompenses restent d’autant plus souvent attribuées à des œuvres occidentales avec des castings manquant de diversité. Aux Oscars, sur 96 éditions, le prix du meilleur film n’a été remis que quatre fois à une oeuvre réalisée par une femme.

En cause ? Le système de vote des cérémonies. Une enquête du LA Times datée de 2021 a reproché le manque de diversité des votants des Golden Globes, qui entraînerait sans grand étonnement un manque de diversité dans la sélection et dans l’attribution des prix. 

 

En effet, aucune personne noire parmi les 87 votants de cette cérémonie, soulevant de nombreuses interrogations. Les votants ne semblent pas être de fidèles représentants du public, et ne sont pas nécessairement aptes à juger des œuvres portées par des artistes noirs pour refléter l’expérience de leur groupe.

 

Face aux critiques, les cérémonies tentent de réagir et d’innover. Les Oscars ont notamment mis en place l’initiative “Academy Aperture 2025” qui change les critères d’éligibilité de la catégorie de Meilleur Film pour établir certains quotas à respecter pour les prétendants à cette récompense. Des critères à la fois peu inclusifs à la vue de leur portée limitée (une seule catégorie visée) mais qui pourraient aussi nuire au travail du réalisateur, contraint de faire des choix de casting moins adaptés ou même incohérents.

 

Entre le statu quo et les tentatives d’améliorations maladroites, les cérémonies s’ancrent dans un élitisme aux airs conservateurs. Elles sont encore loin de refléter la diversité des œuvres et artistes dans le paysage artistique mondial.

 

Autre fléau des cérémonies de remises de prix : le snobisme. Généralement, les artistes et genres les plus populaires sont oubliés ou ignorés.

 

Le snobisme a lieu dans les cérémonies musicales à l’image des Grammy Awards, champions dans le domaine. Encore une fois, l’occidentalisation des cérémonies pousse à laisser de côté les artistes les plus populaires au monde. K-pop, Bad Bunny, Shakira, ces noms et genres pourtant bien connus, en vogue et ayant fait leurs preuves dans l’industrie musicale, mais demeurent exclus de cette cérémonie. 

 

Le snobisme va parfois à l’encontre de l’opinion publique, avec des artistes issus des réseaux sociaux délaissés comme Tate Mc Rae, connaissant pourtant des succès spectaculaires. Ces grands oubliés des Grammy Awards illustrent l’élitisme de l’académie, en décalage vis-à-vis du grand public. 

 

Parfois même, le snobisme va au-delà de l’opinion publique, délaissant des œuvres adulées par la critique comme le public. Cela a été le cas pour l’album “After Hours” de The Weeknd en 2020, succès commercial et critique ne recevant pourtant aucune nomination. L’artiste a dénoncé la corruption et le manque de transparence de la Recording Academy des Grammys sur Twitter. La conséquence : un désintérêt général grandissant au regard de ces cérémonies.

 

Cependant, la cause principale de ce désintérêt et du manque de légitimité de ces cérémonies réside dans les accusations de corruption.

 

Premier problème : le lobbying. Pour être nominés et récompensés durant ces prestigieuses cérémonies, les studios de cinéma sont prêts à tout, ayant en vue les potentiels de gains en légitimité et de gains de capitaux que des récompenses pourraient leur apporter. 

 

Ils ne lésinent ainsi sur rien, mettant en place des campagnes publicitaires démentielles financées à coups de centaines de millions de dollars. Les principaux instruments utilisés pour ces campagnes : mails, projection des films, soirées et cocktails pour les votants des cérémonies. Ces pratiques existent depuis les premières éditions des cérémonies et peuvent déjà être considérées comme une forme de corruption des votants. Pourtant, les studios tentent en permanence de se dépasser pour attirer les votants, en proposant des voyages tous frais payés pour les membres par exemple.

 

Il faut également relever l’entre-soi élitiste des votants. La sélection des jurys pour les cérémonies de remise de prix se fait dans la plus grande discrétion sans révéler l’identité de leurs membres, soit un manque de transparence qui accentue les soupçons de corruption et d’entre-soi. 

 

Cela a été le cas de Bénabar qui a critiqué le jury des Victoires de la Musique en caractérisant la cérémonie de “démocratie où il n’y aurait que les gens de gauche qui voteraient.” Cette remise des prix en particulier est décriée pour son palmarès prévisible basé sur les idées politiques d’un jury corrompu dont le vote est influencé. 

 

Une autre critique et source de désintérêt des cérémonies de remises de prix réside dans la sur-politisation des sélections et des événements eux-mêmes. Preuve à l’appui : le cas Anatomie d’une chute aux Oscars 2024. 

 

Le système de sélection des films dans la catégorie Meilleur film international des Oscars se base sur une liste de films composée d’une œuvre envoyée par chaque pays à l’académie votante. Cette année, malgré le succès critique et public du film Anatomie d’une Chute de Justine Triet et sa nomination dans 5 autres catégories, le long-métrage n’a pas été envoyé par la France pour la cérémonie. Le choix de la France a été interprété par la plupart des médias tels que Variety comme une sanction à l’encontre de la réalisatrice. 

 

En effet, lors de la remise de la Palme d’Or au festival de Cannes, elle avait émis des critiques envers le gouvernement, notamment contre ses politiques culturelles et la gestion des manifestations contre la réforme des retraites. Le choix s’est donc avéré politique plutôt qu’objectif au regard de la qualité et popularité du film. Cette pratique est dangereuse, puisqu’elle risque de mener à l’auto-censure des artistes, qui éviteront de dénoncer les agissements du gouvernement par peur de ne pas être mis en avant par certaines institutions. 

 

Coup final à la crédibilité des cérémonies de remises de prix : les polémiques. Les scandales les plus absurdes tels que la gifle surmédiatisée  de Will Smith à Chris Rock aux Oscars, qui a fait couler beaucoup d’encre, occultent les aspects artistiques de la cérémonie. 

 

D’autres incidents soulèvent, eux, de réels problèmes de société. L’ère #MeToo a eu un impact très important sur les cérémonies. Les nommés et récompensés mis à l’honneur peuvent maintenant engendrer un tollé médiatique lors des cérémonies. La remise du prix du meilleur réalisateur à Roman Polanski lors des Césars 2020 a entraîné une polémique nationale. En effet, lorsque l’annonce de la victoire de Polanski, fugitif suite à des accusations d’abus et viol sur mineur, a été prononcée, l’actrice Adèle Haenel a quitté la salle en criant “Bravo la pédophilie.” Un moment clé pour cette cérémonie qui, à la suite de cette polémique, considère toute personne ayant des démêlés avec la justice (dans des faits de violence) comme indésirable à la cérémonie, mais les empêche aussi de s’y faire représenter ou de faire l’objet d’un discours. 

 

Ces polémiques ouvrent la voie à des questionnements sur la légitimité des cérémonies et de leur remise de prix à certains artistes problématiques, ou encore tournent ces événements réputés prestigieux en ridicule. 

 

Alors quelles sont les conséquences de cette perte de légitimité? La baisse d’audience est la plus notable comme le démontre l’audience historiquement faible des Oscars 2021 et ses 10,4 millions de cinéphiles. Loin des 43,7 millions de 2014, les Oscars peinent à rester le rendez-vous incontournable de tous les amateurs de cinéma. Ces chutes d’audience sont également une conséquence des boycotts de certains artistes comme The Weeknd, qui a annoncé ne plus prendre part aux Grammy Awards à la suite de son tweet assassin contre la Recording Academy. 

 

Les retours désastreux et les polémiques qui se multiplient sur les réseaux sociaux après chaque cérémonie font aussi beaucoup de mal aux cérémonies. Des présentateurs aux blagues douteuses jusqu’aux avis négatifs sur la longueur et le rythme des cérémonies, les critiques ne manquent pas de pousser ces événements autrefois iconiques vers le désintérêt des spectateurs.

 

L’archaïsme des cérémonies est évident. Cependant, elles permettent de mettre en avant des films qualitatifs boudés par le grand public et entraînent une symbolique forte de part leur statut historiquement prestigieux. Elles incarnent des plateformes de protestation et de transmission de messages qui permettent de soulever des problématiques sociétales. 

 

Mais ces points positifs sont aujourd’hui sur le point d’être occultés par les problèmes structuraux des cérémonies qui en font des événements aux airs élitistes et conservateurs. La solution ? Difficile à établir. Une des plus évidentes à l’heure actuelle serait un boycott de ces cérémonies pour alarmer les académies et les pousser à se moderniser. Oeuvrer pour un renouvellement de ces institutions et des organisateurs de ces cérémonies, ainsi que des outils de contrôle sur les votants, serait également envisageable. 

 

Ces propositions pourraient permettre un travail sur leur transparence, afin d’éviter la corruption, de favoriser la diversité des artistes mis en avant et la légitimité des votants à les juger. 

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Louise Mortier

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