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Quelque part, dans une réalité alternative, le Rassemblement National (RN) a obtenu une majorité absolue à l’Assemblée nationale et a pu créer son propre gouvernement. Les conséquences sur le budget du pays, les politiques migratoires ou encore les prestations sociales sont une chose, mais qu’en serait-il de la culture ? Quel serait l’impact d’un agenda du RN pour notre cinéma français et nos intermittents du spectacle ? 

Plongeons dans l’univers de la politique-fiction, une fiction qui pourrait –l’avenir nous le dira– devenir réelle. 

La privatisation de l’audiovisuel 

En juin 2024 sur BFMTV, Sébastien Chenu, député RN de la 19e circonscription du Nord, affirmait que “la privatisation du service public de l’audiovisuel, c’est 3 milliards d’euros”. Visiblement, un gouvernement du RN, c’est probablement la fin, ou du moins le déclin partiel, de notre audiovisuel public. Adieu France 2, France Inter, France Info et bonjour le pouvoir hégémonique de Vincent Bolloré sur les médias. Et pour cause, nos services publics de l’audiovisuel ne sont, en effet, pas des amis du RN. Par exemple, le député de l’Oise Philippe Ballard parlait de “dérives wokistes du service public” et se disait choqué de “la promotion, à une heure de grande écoute, des drag queens”, en abordant l’émission Drag Race. A contrario, le RN semble préférer les lignes éditoriales de chaînes comme C8 et CNews, qui laissent une place plus importante aux discours du parti. Ces chaînes appartiennent au milliardaire Vincent Bolloré, plutôt incohérent pour un parti “proche du peuple”. En effet, le RN ne semble jamais dénoncer les pratiques ultra-capitalistes de V. Bolloré, malgré les positions populistes du parti. 

Mais concrètement, que signifierait une privatisation de l’audiovisuel public ?

Nos services publics servent à financer le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui, lui, finance toutes sortes de productions, de films, et qui participe grandement à la vie du cinéma français, une des industries les plus productives au monde. Alors, le RN souhaiterait, officiellement par soucis budgétaires, transformer ces services publics en services privés en les vendant à l’entreprise qui offre le meilleur prix. Les conséquences de cette privatisation seraient nombreuses. La première, et la plus évidente, serait le manque de liberté artistique sur les services concernés. En effet, une entreprise privée tenant les rênes d’une chaîne rime avec besoin de profits et intérêts privés. De ce fait, il est possible que certaines productions ne soient plus financées, par peur d’un manque de rentabilité. Les plus touchés par cette privatisation seraient donc les petits auteurs et réalisateurs qui, sans financements des services publics, auraient du mal à créer. Une partie essentielle du cinéma français risquerait ainsi de disparaître en même temps que l’audiovisuel public.  Et ceci, alors que ce sont en partie ces financements qui font rayonner le cinéma français dans le monde. C’est pourquoi l’on dit que les services publics entretiennent cette “exception culturelle française”.

Si le RN se séparait des services publics, cela serait donc possiblement pour des raisons budgétaires, mais pas uniquement. Privatiser l’audiovisuel et le mettre dans les mains de géants comme Vincent Bolloré, c’est aussi accepter le risque que certains films ne soient plus financés pour des raisons idéologiques. 

Justement, l’impact de Vincent Bolloré sur Canal + a été tel, que les valeurs et les lignes éditoriales de la chaîne ont été grandement modifiées, laissant de plus en plus d’espace à une idéologie d’extrême droite. Par exemple, en 2022, l’émission Touche Pas à mon Poste de la chaîne C8 (appartenant à Canal +) a consacré 53% de son temps d’antenne politique à l’extrême droite. De plus, l’une des chaînes appartenant à Canal +, Planète +, a annoncé qu’une adaptation documentaire du livre d’Eric Zemmour Le Suicide Français, était en développement. Cet ouvrage soutient certains aspects de l’idéologie d’extrême droite comme la minimisation du rôle du régime de Vichy pendant la Seconde Guerre Mondiale ou encore des critiques de l’immigration et du féminisme. Canal +, qui finance plus de 500 films par an dans le cadre de son accord avec le cinéma français, est ainsi le principal financeur de cette industrie. Laisser encore plus de pouvoir au groupe Bolloré, en privatisant les services publics, laisserait planer la crainte de la disparition de films à caractère politique ne s’alignant pas avec les intérêts des services privés. 

Imaginons à présent qu’un gouvernement RN, si cela venait à se produire, ne privatise pas l’audiovisuel ; le problème resterait entier. En effet, depuis que le président Emmanuel Macron a supprimé la redevance télévisuelle, impôt payé par les citoyens pour financer le service public, le budget de ces services est fixé par l’Etat. Avec un gouvernement RN, il serait possible d’imaginer une réduction drastique de ce budget, ce qui mènerait à d’importantes conséquences sur le nombre de productions financées.

L’existence même d’une politique culturelle RN ?

Dans le programme du RN, la culture est la grande absente. Une seule phrase vient aborder le sujet, et elle concerne le patrimoine. En effet, l’attachement du RN au passé de la civilisation française n’est plus à prouver. Marine Le Pen affirmait même que le patrimoine est une “expression, parfaite, de la civilisation française”. Ainsi, le RN souhaite concentrer les budgets culturels sur un patrimoine bâti et “naturel”, vu comme un outil de “redressement moral” du pays. Sur ce sujet, les propositions se concentrent sur une refonte de la fiscalité favorisant les détenteurs de châteaux et bastides, ainsi que l’expérimentation d’un Service National Volontaire du Patrimoine à destination des jeunes. Pour ce faire, le parti ne propose pas d’augmenter le budget de la culture, mais de répartir le même budget différemment. Ainsi, un gouvernement RN risquerait de réduire considérablement le budget alloué à la création artistique et audiovisuelle, alors même que le patrimoine représente seulement 18% des métiers du domaine culturel. Allouer une part importante du budget culturel au patrimoine risquerait donc de placer les intermittents du spectacle, et autres artistes, dans une situation encore plus précaire.

Préférence culturelle ?

Le concept favori des partis d’extrême droite, la “préférence nationale” a été sobrement rebaptisée “préférence culturelle. En effet, favoriser les créations en accord avec les “valeurs françaises” portées par le RN, est un pilier de leur politique culturelle. Même si le RN n’a pas pu accéder au contrôle de la culture à l’échelle nationale, les conséquences de leurs idées sont déjà visibles à l’échelle locale.  Un rejet des sujets postcolonialistes, du genre, de la sexualité et de l’immigration, peut être observé, fruit de la “préférence culturelle”. Par exemple, la députée RN du Pas-de-Calais, Caroline Parmentier, a accusé le “caractère pédopornographique” des oeuvres de l’artiste Miriam Cahn, qui cherchent à rendre visible le viol comme une arme de guerre.  De son côté, Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, dénonçait certains aspects du Pass Culture, comme l’accès aux mangas “japonais”, et a même proposé de réserver le Pass “aux places de spectacle, aux musées non nationaux et aux achats dans les librairies indépendantes”. Certains financements pourraient même être supprimés si la production culturelle n’entre pas dans les lignes du RN. La Région Sud, sous pression des membres RN du conseil régional, a notamment décidé de supprimer les financements d’œuvres anti-israéliennes, comme Vacances en Palestine de Maxime Lindon. 

“On n’a jamais essayé”. Nous non, mais d’autres si

Le RN, vecteur de changement, proche du peuple, défendant les intérêts des citoyens abandonnés par la politique ? C’est le portrait idyllique de ces nouveaux électeurs prônant le “on n’a jamais essayé”.  Cependant, si nous nous penchons sur des pays où l’extrême droite a été élue, nous nous apercevons très vite que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs –bien au contraire.

À titre d’exemple, en Italie, Giorgia Meloni a remplacé la direction du Centre Expérimental de Cinématographie de Rome par des personnalités issues de sa pensée politique. Elle illustre l’objectif de favoriser une création artistique d’extrême droite. 

De l’autre côté du globe, l’Argentine de Javier Milei a supprimé des fonds destinés à l’Institut National du Cinéma et des Arts Audiovisuels, et supprime également des emplois, des événements, et l’accès à certains contenus audiovisuels. La censure bat son plein. 

En Hongrie, Viktor Orbán est passé à l’étape supérieure, en allouant un budget exceptionnel à la culture, mais une culture autorisée par l’Etat et servant un récit nationaliste

Ces exemples, entre autres, démontrent les dérives autoritaires auxquelles peuvent mener des gouvernements d’extrême droite via la culture. Même si cette dernière n’est pas la préoccupation principale des citoyens, elle reste un levier crucial pour le pouvoir, qui peut l’utiliser pour manipuler la population. 

Le cinéma français, le plus puissant d’Europe par son nombre de salles, de films et d’entrées, ainsi que l’entièreté de la scène culturelle française, pourrait ainsi être mis en péril par le Rassemblement National. L’extrême droite se manifeste en 3 risques majeurs pour la culture : le risque d’assèchement des budgets culturels, le risque de fermeture de lieux et enfin, et surtout, le risque de censure et d’autocensure.

Sources

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    Louise Mortier

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