Imane Khelif, boxeuse algérienne médaillée olympique, faisait, début novembre, la couverture de Vogue Arabia, après avoir déchaîné les passions dans de nombreux journaux à l’échelle internationale cet été. Si, en décrochant la tête du podium, la sportive s’est inscrite dans l’histoire, en tant que première femme à rapporter une médaille à son pays dans la discipline, c’est sur son genre que s’est attardé le monde, et plus particulièrement les « transvestigators ».
Mais alors : qu’est ce que la transvestigation ?
Dérivé des termes transgender et investigation, le néologisme transvestigation est une théorie du complot considérant que l’espace public est envahi par les personnes transgenres, et cherchant à démontrer la transidentité de nombreuses célébrités. Émergeant en 2013 et gagnant en visibilité avec leurs accusations à l’encontre de Michelle Obama, les transvestigateurs s’attaquent à une grande variété d’individus, principalement des célébrités.
Bien que certains hommes en fassent également les frais, les femmes sont très souvent sujettes à ces transvestigations, promouvant l’idée qu’elles ne réussiraient pas aussi bien si elles étaient réellement des femmes. Généralement conduites simplement sur la base de critères physiques et anatomiques, ces « enquêtes » revendiquent l’exclusion sociale des femmes transgenres au nom de la protection des « vraies » femmes (comprendre ici les femmes cisgenres).
Cette rhétorique essentialiste se fonde sur la croyance que les femmes trans seraient en réalité des hommes prétendant être des femmes afin de bénéficier d’un certain avantage. Le but des transvestigateurs est donc de discréditer les femmes qu’ils pensent être transgenre et qui ont du succès. Aussi appelée elite gender inversion theory, la transvestigation se propage sur les réseaux sociaux, ses partisans exposant leurs conclusions par le biais des sections commentaires, compilations Youtube, groupes Facebook et autres recoins d’Internet, afin de, supposément, dévoiler une “réelle” identité des personnalités admirées par le public. Ils l’expliquent eux même : « Afin d’atteindre les sommets d’Hollywood, de la Musique, du Sport, de la Politique ou des Affaires, il est IMPERATIF de « s’inverser » (changer de sexe). »
Imane Khelif et autres cas récents dans les sports olympiques
Y avait-il des personnes transgenres aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ? Non, et pourtant, c’est le sujet qui a fait la Une des journaux. Revenons quelque temps en arrière.
Imane Khelif dispute son premier combat en 2016, dans une compétition nationale de boxe. Après de multiples victoires à cette échelle, elle s’inscrit également dans l’histoire de la boxe avec sa médaille d’argent lors des Championnats du Monde de Boxe Féminine 2022 de la International Boxing Association (IBA), et sa première place aux Championnats Africain de Boxe Amateur 2022. En 2023, cependant, l’IBA lui refuse l’accès aux compétitions, au motif que ses résultats au gender verification test ne sont pas dans les normes. Le Comité International Olympique (CIO) a contesté cette décision, dénonçant une « campagne de désinformation et de diffamation menée par la Russie contre les Jeux olympiques et le CIO », et permettant ainsi à la sportive de participer aux Jeux de Paris 2024.
Si Imane Khelif a décroché la première place dans sa catégorie, c’est son combat lors des quarts de finale qui a fait polémique, son adversaire, l’italienne Angela Carini, ayant déclaré forfait après seulement 46 secondes. Bien que cette dernière n’ait pas remis en question l’identité de genre de Khelif, ses propos ont été exploités par des personnalités tels que Giorgia Meloni, J.K. Rowling ou Elon Musk. Ils l’accusent d’être biologiquement un homme, sous-entendant qu’une identité transgenre secrète est la seule raison pour laquelle elle aurait pu gagner aussi rapidement.
Ce ne fut cependant pas la seule sportive visée par ce genre d’accusations. La joueuse de rugby Ilona Mahrer, la nageuse Katie Ledecky, la boxeuse Lin Yu Ting, pour n’en citer que quelques-unes, ont également eu à se justifier sur leur apparence et leurs performances, toutes trois jugées trop peu féminines.
L’argument premier des transvestigateurs et autres personnalités ayant repris la polémique est que la présence d’athlètes transgenres serait une menace pour le sport féminin. Le Comité International Olympique n’autorisant pas les personnes transgenre à participer aux compétitions, il y a cependant bien d’autres combats féministes à mener dans le cadre olympique.
En effet, on peut notamment citer la presence d’un joueur de volleyball néerlandais aux Jeux de Paris 2024, malgré une condamnation pour viol sur mineure. Les femmes demeurent également significativement moins payées que les hommes dans le domaine sportif, et ce fut seulement en 2024 que les Jeux Olympiques ont atteint la parité des athlètes.
De plus, lorsque des athlètes masculins sont biologiquement favorisés, tels que Michael Phelps ayant une capacité pulmonaire deux fois supérieure à la moyenne, ils sont loués pour leurs performances. Cependant, lorsque des femmes ont des taux de testostérone plus élevés, on leur reproche bien souvent d’être favorisées. La transvestigation ne serait-elle alors qu’une expression des doubles standards dans le monde du sport ?
Un phénomène qui affecte bien d’autres sphères
Cette théorie du complot prolifère dans de nombreux domaines, n’importe qui pouvant en faire les frais. Harry Kane ? Il serait trans. Phoebe Waller-Bridge ? Inversée. The Rock ? Il aurait le crâne d’une femme. Les transvestigateurs n’ont besoin de rien de plus que des images montrant les « girly eyes » d’Henry Cavill ou encore la manière de marcher, jugée trop féminine, de Paul Mescal.
Certaines accusations se sont cependant propagées bien au-delà des groupes conspirationnistes, devenant de réels sujets au sein du débat public. De Lady Gaga à Brigitte Macron, nombreuses sont les controverses ayant agité la toile. Michelle Obama, l’une des toutes premières victimes de ce mouvement, en fit les frais après les propos devenus viraux de l’animatrice américaine Joan Rivers, accusant Barack Obama d’être homosexuel et sa femme transgenre. Gaga possèderait quant à elle des attributs masculins, tandis que la Première Dame française serait en réalité son propre frère, Jean-Michel, qui aurait pris cette identité après avoir changé de sexe.
Objectif féministe ou théorie purement discriminatoire ?
Si les transvestigateurs se placent en protecteurs des droits des femmes, arguant que les femmes trans ne devraient pas être considérées comme des femmes car elles ébranleraient le combat féministe, les transvestigations s’avèrent en réalité très nocives. En effet, elles mettent en avant l’idée qu’il y aurait un aspect intrinsèquement négatif dans le fait d’être transgenre, alimentant des discours haineux et déshumanisants sur les réseaux sociaux.
La transvestigation est ainsi vue comme un danger pour toutes les femmes, car visant à établir une définition rigide de ce qu’est être une femme, comme le rappelle Thomas Bach, président du CIO. Au nom des luttes feministes, la transvestigation place en réalité le corps des femmes sous une surveillance accrue, les forçant à se conformer à une vision de la femme « fragile et douce », comme le regrette Ilona Maher.
Le phénomène de transvestigation s’inscrit dans une plus vaste « trans panic », favorisée par la montée d’un discours anti-trans encouragé par de multiples partis d’extrême droite à travers le monde. Ainsi, nombreux sont les pays voyant la transphobie devenir un argument électoral ces dernières années, instrumentalisant le combat d’autres groupes marginalisés, comme ici avec le féminisme.
Cover credit: Vice
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