Le hasard avait voulu qu’elle s’appelle Gabrielle, un prénom courant au masculin, un peu moins avec deux “l”. Une sorte d’ange au féminin. Depuis toujours, les gens tiquaient en apprenant son nom ; la plupart pensaient que ça faisait “trop garçon”.
L’histoire de Gabrielle avait donc commencé par une belle ironie, comme si on avait voulu lui donner un avant-goût de ce que serait sa vie : un immense paradoxe, des joies et des peines en pagaille, des blessures et quelques bosses, un grand foutoir de rires et de larmes.
Côté cœur, elle possédait un organe capricieux : cœur d’artichaut, cœur de pierre, cœur joie ou cœur sur la main, l’humeur de ce petit être variait tous les matins.
Depuis toute petite, on lui avait attribué le cœur-indécis, une pathologie qui la faisait hésiter pendant des heures entre un pain au chocolat et un croissant au beurre, le côté gauche et le côté droit, la piscine et le cinéma. Elle aimait bien marcher sur les mains et manger le sucré avant le salé. Gabrielle n’y pouvait rien, elle vivait en décalé.
Mais ce que les autres n’auraient pas pu savoir, c’est que ses plus grandes hésitations étaient intérieures : son cœur balançait entre deux identités, deux vérités, deux attirances, pourtant contraires, dont Gabrielle ne savait que faire.
Elle se sentait tiraillée par deux réalités : celle qui fleurissait entre ses jambes et celle qui bouillonnait dans son ventre. Celle qui avait les cheveux courts et celle qui se maquillait tous les jours.
Elle s’efforça, de mille manières, à choisir son camp, comme tous ceux autour d’elle l’avaient fait depuis longtemps. Les robes ou le vélo ? La mode ou les gros mots ?
Ces deux univers que tout semblait opposer, Gabrielle les portait en elle de façon indissociée. Pourquoi aimait-elle autant la force que la douceur, les torses que les rondeurs ? Qu’avait-elle fait pour ne pas savoir choisir entre le féminin et le masculin ?
Et d’abord, qu’est-ce qu’ils signifiaient, ces deux mots sibyllins ? Pouvait-on les définir ? Existaient-ils pour la détruire ?
Elle n’était pas de ceux qui se rangent dans des cases étroites comme la société. Elle était à tendance claustrophobe et détestait être enfermée. Elle avait besoin d’espace pour laisser ses pensées vagabonder, explorer de lointaines contrées, escalader les nuages, et cela même par temps d’orage.
Elle envoya, à tout hasard, quelques prières au ciel.
Mais le vent restait sourd à ses questions existentielles.
Et toujours, toujours, cette culpabilité tapie au creux de son estomac, masquant une vérité qu’elle ne s’avouait même pas.
Le cœur de Gabrielle était résolument violet : du rose et du bleu entremêlés, parce qu’elle aimait tout fusionner. Rappelons-le, c’était sa spécialité.
Gabrielle rêvait de pouvoir tout être, tout voir, tout vivre : le ciel et les oiseaux, le feu et l’eau, les arbres et la terre, l’infini de l’univers, l’étrange, le beau et l’étrangement beau. Elle voulait être un homme féminin et une femme masculine, mais avant tout, elle voulait être Gabrielle, humaine, mortelle et fière de l’être.
Alors Gabrielle inventa sa case : celle qui n’en cochait aucune.
Elle fut homme, elle fut femme, parfois aucun des deux.
Elle aima beaucoup, un peu de tout, surtout les yeux bleus.
Elle mena sa vie comme elle l’entendait, ne s’épila jamais, voyagea souvent et s’autorisa quelques détours, lorsque son cœur extravagant frémissait d’amour.
Ses plus belles destinations furent les corps et les cœurs.
Gabrielle préférait les humains et ça lui allait plutôt bien.
Other posts that may interest you:
Discover more from The Sundial Press
Subscribe to get the latest posts sent to your email.