En moins de 8 mois, elle est passée d’une artiste encore discrète, performant dans les plus petites salles de Paris, à l’une des étoiles montantes de la pop. Reprise par Sabrina Carpenter, en tournée avec Olivia Rodrigo et louée par Ariana Grande et Lady Gaga, elle fut pendant longtemps méconnue en France. Mais alors, qui est Chappell Roan ?
Avec un premier album sorti en septembre dernier, c’est son single Good Luck, Babe!, paru en avril, qui a charmé les fans. Evoquant l’hétéronormativité des relations amoureuses à travers une performance vocale percutante, la chanson est d’abord devenue célèbre sur Tiktok, avant de se faire une place dans le Billboard Hot 100 aux côtés d’autres titres comme Pink Pony Club, HOT TO GO!, Red Wine Supernova et Casual.
Aujourd’hui considérée comme une concurrente de taille au prix de Best New Artist des Grammys Awards se tenant en février, Chappell Roan n’a pas toujours été sous le feu des projecteurs.
De son vrai nom Kayleigh Rose Amstutz, Roan est née le 19 février 1998 à Willard, dans le Missouri, aux Etats-Unis. Dès ses 10 ans, elle commence le piano, et se produit pour la première fois sur scène à l’âge de treize ans. Au fil des années, elle met en ligne sur YouTube des reprises et chansons originales, qui finissent par attirer l’œil du label de musique Atlantic Records. En 2017, c’est à leurs côtés qu’elle sort son premier single, Good Hurt, puis son EP School Nights, avant de partir en tournée avec Vance Joy sur le Lay It On Me Tour.
Roan se lance par la suite dans la réalisation de son prochain single Pink Pony Club, guidée par le producteur et auteur-compositeur Dan Nigro, notable collaborateur sur les albums Sour et Guts d’Olivia Rodrigo. Bien que Pink Pony Club fut classé comme l’une des 10 meilleures chansons de 2020 par USA Today, ce titre dance-pop ne fut pas assez rentable pour Atlantic Records, qui décide de se séparer de Chappell Roan en 2020.
En mars 2022, après deux ans à travailler sur sa musique de manière indépendante, elle obtient un contrat avec Sony et est sélectionnée afin de réaliser la première partie des tournées d’Olivia Rodrigo et Fletcher. Après la sortie des singles Naked in Manhattan, Femininomenon et Casual, bien accueillis par la critique, elle lance sa propre tournée, le Naked in North America Tour. Dan Nigro lui propose finalement un contrat avec son tout nouveau label Amusement Records, sous la filiale Universal Music. Le 22 septembre 2023, Roan sort son premier album The Rise and Fall of a Midwest Princess, et commence sa tournée Midwest Princess Tour, qui a pris fin au printemps dernier.
Début 2024, l’artiste multiplie les performances pour fidéliser son public, que ce soit par son apparition au Tiny Desk de la National Public Radio, ou encore par son show sur l’emblématique scène du Coachella Festival en avril. Souvent comparée à celles de Madonna ou Lady Gaga, la direction artistique de Chappell Roan l’aide à la rendre virale, et son nombre d’écoutes mensuelles passe d’un million à 45 millions en l’espace de quelques mois.
Ce qui frappe chez Chappell Roan, c’est son style. Touchant à de nombreuses tendances musicales, de la pop électronique aux ballades plus douces, elle entend incarner sincérité et vivacité. S’inspirant d’artistes tels que Stevie Nicks, Lorde ou Lana del Rey, la pop-star embrasse sa féminité et retrace, à travers ses paroles, son parcours en tant que femme queer dans le Midwest. Sa musique est fortement influencée par ses expériences dans l’iconique quartier queer de West Hollywood, jouant sur l’exageration et le grotesque. S’inscrivant dans l’esthétique “camp” des années 1960, Chappell Roan s’épanouit dans la culture drag, se produisant elle-même dans des looks burlesques et extravagants. Un jour elle incarne la statue de la liberté au Governors Ball de New York, le lendemain elle est Jeanne d’Arc dans un décor de flammes aux MTV Video Music Awards. La scène devient alors un échappatoire face à un Midwest qui peut être considéré, pour de nombreuses personnes, conservateur, pour une jeune Chappell qui se sentait incomprise dès son plus jeune âge, aux prises avec sa sexualité et avec un trouble bipolaire jusqu’alors non diagnostiqué. Ainsi, elle affirme “Drag is like a spa for my soul”.
Suivant régulièrement une thérapie, Chappell Roan place une chose au dessus du reste : sa santé mentale. La star s’inscrit donc à contre-courant d’une grande partie des attentes médiatiques vis-à-vis des célébrités, refusant leur surveillance constante et établissant une réelle barrière entre carrière et vie privée. Une vidéo devenue virale montre l’artiste sur un tapis rouge, rétorquant à un photographe “You shut the fuck up”, après que celui-ci lui ait ordonné de se taire. Revenant sur l’incident, elle a par la suite expliqué qu’elle ne se laisserait pas marcher dessus par les journalistes qui sont violents avec elle. Elle s’est également exprimée à de nombreuses reprises sur la relation qu’elle entretient avec ses fans. Pour elle, une fois le concert terminé, elle a achevé sa journée de travail. Elle entend donc préserver hors de la scène une vie relativement banale, expliquant qu’elle ne souhaite pas se faire interpeller dans la rue par des fans. Bien qu’elle soit consciente que les comportements irrationnels de certains fans et la pression des médias soient des dimensions indissociables de son choix de carrière, elle souligne que cela ne rend pas ces actions normales. Elle s’applique donc à fixer des limites à ne pas franchir pour se préserver des dérives de la célébrité.
Malgré tout, Roan exprime son plaisir d’être une artiste : “I get to feel the energy of other people, it’s so cool to have shows so packed and have so much joy in the room”. Elle utilise ainsi sa nouvelle influence pour soutenir ses valeurs en invitant notamment régulièrement des artistes drag à faire la première partie de ses concerts ou à performer avec elle. En parallèle, l’artiste s’engage également financièrement pour les causes qui lui sont chères. Une portion des fonds récoltés par la vente des billets de ses tournées a été reversée à l’association For the Gworls, aidant les personnes noires transgenres, ou encore à The Human Rights Campaign, défendant les droits LGBTQ+. Plus récemment, elle a mis en place un système de friendship bracelets, offerts par les fans et par la suite revendus par Chappell Roan pour soutenir l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Ses prises de positions politiques ont néanmoins fait parler les médias américains il y a quelques semaines. Bien que Kamala Harris se soit approprié son titre Femininomenon pour sa campagne électorale, tournant en dérision le candidat Républicain Donald Trump dans une séquence publiée sur les réseaux sociaux de la candidate, Chappell Roan a exprimé un certain retrait par rapport aux élections. Dans une vidéo vue plus de 14 millions de fois sur Tiktok, l’artiste explique qu’elle refuse d’“endorse” (soutenir publiquement) Kamala Harris, bien qu’elle affiche son intention de voter Démocrate. Elle dit regretter notamment l’inaction du gouvernement quant à la situation en Palestine, et se dit aussi regretter un manque de soutien au peuple de Gaza. Elle milite également pour une plus grande visibilité des personnes transgenres et une meilleure représentation de leurs droits.
Celle qui a été élevée dans la foi chrétienne a donc créé ses propres codes, défendant une société plus inclusive et une industrie musicale libérée de tout conformisme. À force d’authenticité et de persévérance, elle apparaît aujourd’hui comme l’une des artistes les plus prometteuses de la pop-culture.
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