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Illustration: Des combattants brandissent les drapeaux de l’Irak et des groupes paramilitaires, notamment Kataib Hezbollah, pendant des funérailles des militants tués lors d’une frappe américaine dans le nord de l’Irak [AHMAD AL-RUBAYE/AFP via Getty Images]

Alors que Donald Trump a été réélu à la présidence des États-Unis, l’Iran craint un retour des pressions économiques sur le pays, comme ce fut le cas lors de son premier mandat. L’opposition risque de se renforcer en raison de la guerre à Gaza et au Liban, alors que l’Iran reste un allié de poids des groupes armés combattant Israël. Mais pourquoi l’Iran s’implique-t-il dans les conflits du Proche-Orient ? Nous allons tenter de le découvrir dans cette série de deux articles intitulée Comprendre l’Iran : les motivations de sa politique régionale.

Nous avions vu dans le premier article de cette série que l’une des raisons pour laquelle l’Iran s’oppose aux États-Unis et à l’Arabie saoudite, est le but de s’imposer sur la scène régionale et internationale. Dans ce second article, nous approfondirons les alliances conclues entre l’Iran et les groupes de « l’Axe de la Résistance », qui rassemble les alliés de la République islamique, fondée en 1979 en opposition à Israël. Cette alliance sert les intérêts du gouvernement d’un point de vue international, mais également national, alors que le pays fait face à des oppositions toujours virulentes.

L’Axe de la Résistance, pion de l’Iran ?

Si l’Iran et le Hezbollah libanais sont si soudés, cela découle directement du contexte de la formation de ce groupe. Fondé en 1982, le Hezbollah, signifiant « le parti de Dieu », était à l’origine un parti politique iranien dont le principal représentant devint Premier ministre en 1981. À ses débuts, ce parti défendait une lutte des classes d’inspiration marxiste, très présente dans le pays à l’époque. Cependant, comme son nom l’indique, il se caractérisait également par une forte proximité avec la religion : il était en effet le parti politique le plus proche de l’Ayatollah Khomeini.

Alors que l’instabilité politique fait rage après les élections de 1981, l’Ayatollah interdit la quasi-totalité des autres partis. L’année suivante, le Hezbollah libanais naît d’une initiative commune entre l’Iran et certains Libanais musulmans, cimentant ainsi leur forte collaboration. La création de ce parti radical et violent au Liban répond également à l’implication de l’Iran pour défendre le Liban face à Israël.

Comme nous l’avions vu dans le précédent article, la République islamique a souhaité, à ses débuts, répandre la révolution islamique dans la région, voire dans le monde. La fondation du Hezbollah au Liban marque ainsi la plus grande réussite du pays dans ce domaine. Face à Israël, le Hezbollah est le « canon » de l’Iran (selon l’expression du chercheur Bernard Hourcade), ce qui signifie que là où l’Iran se met en retrait, le Hezbollah s’implique militairement et défend en même temps les intérêts de l’Iran. Le pays a poursuivi cette pratique en soutenant financièrement de nombreux mouvements islamiques aux intérêts communs, tels que l’Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat et le Hamas.

Dans les années 1980, l’Iran s’est retrouvé affaibli à la suite de la guerre contre l’Irak et a alors renoncé à l’idée d’exporter la révolution islamique jusqu’alors poursuivi. À ce même moment, l’Iran s’est donc recentré sur le soutien au Hezbollah et aux mouvements radicaux palestiniens, syriens, irakiens, ainsi qu’aux Houthis yéménites. Ensemble, ces groupes forment ce qu’ils appellent eux-mêmes « l’Axe de la Résistance », expression introduite en 2002 en réaction à l’appellation « axe du mal » employé par le président américain G.W. Bush. Aussi connus comme des « proxy », ce terme désigne une entité agissant comme intermédiaire ou agent pour une autre : l’expression illustre bien la relation qu’entretient l’Iran avec ces groupes.

Ces derniers permettent à l’Iran de ne pas posséder de groupe terroriste iranien à proprement parler, bien que le pays leur apporte un soutien militaire, notamment via les Gardiens de la révolution, une organisation paramilitaire sous les ordres directs de l’Ayatollah. Ce système permet à l’Iran d’éviter  les conflits directs avec Israël et les États-Unis, tout en éloignant les affrontements de son territoire. Par ailleurs, c’est une manière pour l’Iran d’étendre son influence. D’une part, le pays dévoile son hard power puisqu’il continue de développer des armes et missiles de haute technologie, ainsi que son programme nucléaire. D’autre part, il renforce son soft power pour tenter de se positionner comme leader du monde musulman, chiite et sunnite. Enfin, en imposant peu de conditions au financement de ces groupes, l’Iran leur laisse une large autonomie, ce qui permet au pays de se dédouaner de la responsabilité de leurs actions, et ainsi d’éviter davantage de sanctions internationales.

Alors, la stratégie iranienne d’avoir fondé l’Axe de la Résistance semble, de prime abord, efficace, puisque les différents groupes agissent de façon significative sur les conflits régionaux, permettant à l’Iran de renforcer sa position dominante, sans pour autant en subir toutes les conséquences directes.

Reconquérir une société iranienne contestataire

Toutefois, les raisons de l’engagement iranien dans ces guerres et le financement de ces groupes ne sont pas étrangères à la situation intérieure du pays. Ce rôle de la société iranienne a été exploré par Marie Ladier-Fouladi dans son ouvrage Iran, un monde de paradoxe

D’après cette chercheuse, en 1979, la majorité de la société iranienne se battait pour la révolution sans nécessairement demander qu’elle soit islamique. Selon elle, les Iraniens étaient motivés par des aspirations politiques, telles que la fin de l’oppression et le début de la modernisation, davantage que par des considérations religieuses. Khomeini s’est imposé comme un leader crédible et a instrumentalisé la révolution pour qu’elle devienne islamique. Ainsi, la Constitution de 1979 donnait au clergé et à l’Ayatollah une place prépondérante puisque Khomeini a écarté les autres partis politiques pour imposer sa vision de la République islamique. Jouissant d’une grande légitimité, de nombreux Iraniens l’ont suivi sans être complètement au courant des implications de son projet sur le long terme, à savoir la dictature –ce dont ils tentaient justement de se défaire. La Constitution a été adoptée en décembre 1979 sans consultation ni prise en compte des partis politiques qui n’étaient pas liés directement au clergé chiite, ce qui illustre le virage autoritaire pris par Khomeini dès ses premiers pas au pouvoir. 

Aujourd’hui, la société iranienne manifeste une opposition claire et une volonté de réformes. Cette dynamique s’est déjà en partie concrétisée en 1997 avec l’élection du président Khatami, favorable à la modernité, puis en 1999 par les violentes manifestations étudiantes, dix ans après la mort de Khomeini. Les femmes, soutenues par une majorité d’Iraniens, rejettent la charia, malgré la forte répression de la police des mœurs créée en 2005. Cette même police est d’ailleurs responsable de la mort de Mahsa Amini en 2022 (étudiante tuée pour ne pas avoir porté le voile). Cette tragédie a déclenché une vague de manifestations sans précédent, causant la mort d’au moins cinq cents manifestants et l’arrestation de dizaines de milliers d’autres, par les Gardiens de la révolution.

Les Iraniens, cependant, n’ont pas cessé de protester. En témoigne la jeune femme qui, début novembre 2024, a marché en sous-vêtements devant l’université Azad de Téhéran pour dénoncer le port obligatoire du voile. Transférée de force dans un hôpital psychiatrique, elle est devenue un nouveau symbole de la lutte des femmes en Iran, montrant qu’en dépit de la répression, la société iranienne n’a pas été réduite au silence.

Quant aux actions militaires de l’Iran dans la région, elles sont également largement critiquées par la population. Beaucoup estiment que la pauvreté et la misère sont trop présentes dans le pays, et que les fonds envoyés aux groupes armés devraient être consacrés à la population. Cependant, le gouvernement dirigé par l’Ayatollah Ali Khamenei contrôle la presse et l’utilise pour tenter de mobiliser l’opinion publique contre Israël et en faveur de la Palestine, espérant ainsi légitimer les financements des groupes armés. En exploitant le conflit israélo-palestinien, le gouvernement tente de reconstruire un élan patriotique basé sur la haine commune envers Israël, afin d’unir le pays et de consolider son pouvoir, mais y peine dans une société tout aussi ébranlée que protestataire.

Découvrez le premier article de la série “Comprendre l’Iran”.

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Amélie Conty

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