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Illustration principale: Le président serbe Aleksandar Vucic et le président chinois Xi Jinping à Beijing pour l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver en 2022 (via CGTN)

1er novembre 2024: l’auvent de la gare de Novi Sad en Serbie s’écroule, causant 14 morts et 3 blessés. Rénovée en 2021, la gare fait partie de l’un des nombreux projets urbains ayant permis un rapprochement entre Pékin et Belgrade, avec une rénovation entreprise par les entreprises chinoises China Railway International et China Communications Construction Company (CCCC). Au cœur des campagnes d’influence dans les Balkans menées par la Chine, la Russie ou l’Union européenne, cet incident pourrait bien relancer la donne. La Serbie tout entière s’est levée le lendemain de l’événement, remettant en question la politique opportuniste du gouvernement vis-à-vis de ses partenaires chinois et favorisant un intérêt renouvelé de l’Union européenne (UE).  

Effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad, le 1er novembre 2024 (via AFP)

Les relations serbo-européennes sont historiquement, politiquement et géographiquement complexes. Dès l’an 306 et l’arrivée au pouvoir de l’empereur romain Constantin 1er, né à Nis dans l’actuelle Serbie, le pays s’inscrit dans l’histoire européenne. C’est cette proximité qui mènera aux premières discussions sur l’adhésion éventuelle de la Serbie à la communauté économique européenne alors que le pays faisait encore partie de la Yougoslavie. 

Les premiers pas d’une longue candidature d’adhésion serbe 

Dès les années 1980, l’Union européenne suggère l’éventualité d’intégrer la Yougoslavie aux Communautés européennes de l’époque. Une intégration yougoslave aurait permis d’assurer une continuité territoriale de Bruxelles jusqu’à Athènes. La Grèce vient en effet à peine de sortir de sept longues années de dictature des colonels en 1974. Cette proposition sera refusée par Tito, dirigeant du régime communiste yougoslave, au nom de la doctrine de non alignement poursuivie pendant la Guerre Froide. Cet épisode pose un premier jalon, certes infructueux mais tout de même central, à l’intégration européenne de la Serbie. 

De 1991 à 2001, les guerres de l’ex-Yougoslavie entraînent le démembrement de la fédération yougoslave. Les premières candidatures à l’UE de ces pays nouvellement indépendants se multiplient.  Après une première demande en 1996, la Slovénie rejoint l’Union en 2004. Un an auparavant, la Croatie, parrainée par l’Allemagne, a elle aussi déposé sa candidature, qui conduira finalement à son adhésion en 2014.

La communauté des états européens sera cependant moins encline à une intégration serbe en raison de son implication lors de la guerre de Yougoslavie. Cette réticence est également relayée par les opérations menées au Kosovo et par l’échec des responsables nationaux à arrêter Ratko Mladic, commandant serbe jugé responsable de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI). La Serbie manque ainsi une première vague importante d’intégration européenne. De plus, le statut d’État candidat lui sera refusé, suite au veto de l’Allemagne lors du sommet européen en décembre 2011, en raison de son implication au Kosovo et de son maigre rôle dans un processus de stabilisation régionale.

Malgré tout, des négociations menées en parallèle conduisent à la mise en place de plusieurs accords avec l’UE, notamment l’Accord de Stabilisation et d’Association (ASA), qui vise à faciliter l’accès des pays balkaniques à l’UE. Cet accord est à l’image de l’intégration européenne de la Serbie. Il fait l’objet de longues négociations, commencées dès 2005, prolongées par une opposition des Pays-Bas et de la Belgique qui demandaient une plus grande coopération de Belgrade lors du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Bien que difficile, l’entrée en vigueur de l’ASA marque un tournant positif dans les relations serbo-européennes. 

Le statut de candidat de la Serbie à l’UE est finalement approuvé en mars 2012, après la levée d’une opposition roumaine grâce à la signature d’accords qui reconnaissent les minorités de l’Est du pays. 

L’ex-président serbe Boris Tadic et le Portuguais José Manuel Durao Barroso, alors président de la Commission européenne, le 28 février 2012 à Bruxelles (via Reuters)

Une relance nuancée dans les années 2020

A partir de 2019, les candidatures Ouest-balkaniques (Serbie, Monténégro, Albanie, Macédoine et Bosnie-Herzégovine) sont relancées et propulsées à nouveau au centre des débats européens. Le changement significatif de la position française sur le sujet lui redonne une forte dimension politique loin du processus assez technocratique mené jusque-là par l’administration bruxelloise. En effet, la France jusque-là disait prioriser un renforcement interne de l’Union avant d’opérer de nouveaux élargissements. Sous couvert d’une conditionnalitée renforcée et d’une approche progressive, la France a cédé face à une pression des autres Etats-membres. 

En 2020, la pandémie de Covid-19 pousse la Commission européenne à accorder à la Serbie un montant supérieur à 70 millions d’euros comme soutien de préadhésion. Cette assistance s’ajoute à l’instrument de préadhésion déjà mis en place par l’UE, favorisant un alignement sur les normes européennes.

Le début de la guerre en Ukraine en 2022 et la menace d’une expansion russe dans la région ne font qu’ intensifier l’intérêt des Vingt-Sept pour l’intégration des pays des Balkans occidentaux, en particulier de la Serbie. 

Néanmoins, son attitude ambivalente face au conflit ne facilite pas les choses. Si le gouvernement condamne l’invasion russe, il ne prend cependant pas directement les mesures de sanctions poussées par l’UE, notamment en raison de sa dépendance énergétique à 89% au gaz russe. 

Vers une adhésion contestée ?

En 2024, Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, adopte officiellement un plan de croissance pour les Balkans qui favorise surtout la Serbie. La présidente s’était également “félicitée” en octobre 2023 des progrès dans la relation entre la Serbie et le Kosovo, à l’image de l’accord d’Ohrid qui vise à normaliser leurs relations diplomatiques.

Cette mesure et les propos de la présidente de la Commission sont cependant largement controversés. Sont notamment visés les demi-mesures de la Serbie sur l’Etat de droit, pourtant essentiel pour clore les chapitres des négociations de sa candidature à l’Union européenne. La liberté de la presse est l’un des principaux aspects concernés. En effet, l’opposition accuse les médias d’être contrôlés majoritairement par le pouvoir en place, et de ne renvoyer qu’une couverture positive, à 80%, de l’actuel président. 

Aleksandar Vucic, héritier du non alignement de Tito

Aujourd’hui, adhérer à l’UE nécessite d’adopter les 210 000 pages des 35 acquis communautaires européens, qui se sont enrichis depuis les premiers élargissements. Le corpus législatif a ainsi été multiplié par trois par rapport à ce qu’avaient eu à intégrer la Roumanie et la Bulgarie. Cet effort colossal nourrit cependant le développement d’une certaine désillusion et d’une “fatigue de l’Union européenne”. Ainsi, en 2022, un sondage mené par Ipsos montrait qu’en cas de référendum en Serbie, 44% des Serbes seraient opposés à une adhésion de leur pays à l’Union européenne (contre 35 % pour).

Cette situation pousse le Président serbe Vucic à favoriser une diplomatie transactionnelle vis-à-vis de son partenaire européen: des contreparties économiques ou politiques en échange de son engagement pro-européen. 

Pour souligner cette stratégie, Vucic renforce ses relations avec d’autres puissances, notamment la Russie ou la Chine, comme en témoigne son intégration au Belt and Road Initiative (les Nouvelles Routes de la Soie) dès 2019. Le pays entretient également des relations d’intérêt avec l’Arabie saoudite et la Turquie, centrées sur le financement de projets de développement.

Le président serbe Aleksandar Vucic et le président chinois Xi Jinping à Beijing pour l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver en 2022 (via CGTN) 

Les signes d’un regard davantage tourné vers l’Europe

Plusieurs signes récents montrent cependant une inflexion progressive vers l’Ouest. Avec la signature d’ un accord gazier avec l’Azerbaïdjan fin 2023, la Serbie a fait un pas vers une plus grande autonomie énergétique, une évolution saluée par la communauté occidentale. 

De même, en août dernier, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Belgrade dans le cadre d’une visite d’État. L’annonce de l’achat d’avions de chasse Rafale pour remplacer la flotte vieillissante de Mig soviétiques, marque également un tournant stratégique dans la politique de défense de la Serbie.

Plus récemment encore, l’invitation par Vladimir Poutine, en octobre 2024, du président serbe au sommet des BRICS en Russie révèle le souhait persistant de Moscou de garder la Serbie dans sa sphère d’influence. Mais le refus de Vucic, au prétexte de la première visite du Premier ministre polonais Donald Tusk (l’ex-président du Conseil européen) à Belgrade, peut s’interpréter positivement pour l’UE. 

Aujourd’hui, Vucic semble continuer à regarder davantage vers l’Ouest. Grand amateur de jeu d’échecs, il est probable qu’il veille à ne contrarier personne tout en conservant quelques pions pour maintenir des équilibres au milieu des grandes puissances.

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