Un article de Mathilde Pol-Loison et de Galliane Langsweirt.
Cet article figurait initialement dans notre édition imprimée d’automne 2024.
Depuis les massacres du 7 octobre 2023, l’Iran exprime une rhétorique certes anti-israélienne tout en restant modéré quant à son engagement dans l’escalade du conflit. Aujourd’hui, alors que le conflit s’exacerbe entre le Hezbollah et l’Etat Israélien, l’Iran fait toujours profil bas.
Cette rhétorique modérée pose question sur le statut protecteur de Téhéran. En effet, l’Iran est le parrain idéologique, fournisseur en armes et banquier du Hezbollah, mais aussi le cœur battant permettant à ‘l’axe de résistance’ de vivre. Celui-ci compte parmi ses rangs, les Houtis du Yémen, le Hamas palestinien jusqu’aux milices chiites d’Irak, et même le régime syrien.
L’Iran est également l’ennemi d’Israël depuis la révolution islamique de 1979 et prône la « destruction » de l’Etat Hébreu, qualifié de « régime sioniste criminel et terroriste ».
Au lendemain d’un accident d’hélicoptère, la nouvelle politique d’ouverture vers l’Occident ?
Le 19 mai 2024, Ebrahim Raïssi, président de l’Iran, meurt dans un accident d’hélicoptère. Son remplaçant au poste, Massoud Pezechkian, tient, dès son investiture, une posture modérée au sujet de la guerre éclatante qui se poursuit, à ce moment, depuis 7 mois.
À cette période, la guerre ne touche encore qu’Israël et le Hamas. Mais est-ce là la véritable source de la modération iranienne ? Ou bien origine-t-elle d’une idée tout à fait différente; celle d’apaiser ses relations avec les pays de l’Occident en évitant au maximum de prendre part au conflit ? La question est ici tout à fait stratégique.
La ligne exposée lors de son investiture est toujours celle que le président tient aujourd’hui, notamment à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York du 22 au 27 septembre. Lors de cet événement, il a affirmé soutenir l’encouragement franco-américain d’un cessez-le-feu au Liban et a déclaré son opposition à une guerre régionale. Le président a également déploré les morts causés par les attaques israéliennes et a condamné les « crimes contre l’humanité et la barbarie désespérée », qui, selon lui, « ne pourront rester sans réponse ». Enfin, le président a fait appel à la communauté internationale afin d’éviter que le Liban ne devienne « un autre Gaza » dans lequel, depuis le début du conflit, plus de 41 000 personnes ont trouvé la mort.
À noter tout de même que le président n’a pas beaucoup de pouvoir : c’est le guide suprême, Ali Khamenei, qui détermine la stratégie iranienne. Dans ce cas-ci, les dires semblent conjugués. En effet, Ali Khamenei paraît lui aussi soucieux d’éviter une guerre destructrice qui impliquerait directement l’Iran.
L’attaque du 1er octobre sur Israël: venger les pertes iraniennes sans entrer totalement dans la guerre ?
Ce mardi 1er octobre 2024, avec le lancement d’environ 180 missiles vers Israël, l’Iran a mis à exécution ses menaces proférées il y a quelques mois.
Un risque astronomique pris, il semblerait, non pas pour soutenir directement le Hezbollah, mais par vengeance. Tel Aviv semble en effet avoir voulu venger les six morts que l’attentat orchestré par Israël avait causé le matin même au cœur de la capitale.
Une deuxième raison probable expliquant cette attaque, est la tentative d’arrêter l’Etat hébreu dans son avancée régionale à la suite de la déclaration de Benyamin Netanyahou le lundi 30 septembre: «Il n’y a aucun endroit au Moyen-Orient qu’Israël ne puisse [pas] atteindre».
Interrogé par l’AFP, Ali Vaez, analyste au think tank Crisis Group, estime que toute escalade iranienne pourrait « garantir une victoire stratégique » au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. En effet, ayant déjà aidé Israël face à l’Iran, il serait difficile aux États-Unis de rester davantage à l’écart si une guerre ouverte venait à exploser. Soutenu par l’administration américaine, Israël aurait d’autant plus de chance de gagner. C’est donc un piège que le Premier Ministre Israëlien tend à l’Iran comme aux États-Unis.
Enfin, l’Iran, depuis quelques années déjà, met en action un plan pour obtenir l’arme nucléaire, projet compromis s’il décide d’agir militairement dans l’escalade de la guerre contre Israël.
En effet, la volonté iranienne de posséder l’arme atomique déplaît aux pays Occidentaux qui l’accusent déjà de son soutien militaire à la Russie contre l’Ukraine. En outre, une guerre ouverte sur la péninsule arabique aurait des conséquences non négligeables sur les sociétés occidentales. En effet, une telle guerre augmenterait significativement le prix du pétrole et pourrait pousser les Occidentaux à chercher leur énergie ailleurs.
Une image à préserver
En tant que chef des diverses milices régionales, l’Iran se doit d’agir comme père des opérations menées par celles-ci tout en les protégeant. Cependant, le pays n’a pas été capable de protéger le Hezbollah contre les explosions — attribuées à Israël — de bipeurs au Liban les 17 et 18 septembre. Shahin Modarres, spécialiste de l’Iran à l’International Team for the Study of Security Verona, perçoit son incapacité à anticiper l’attaque comme “une faillite majeure des services de sécurité iraniens” qui détériore son image de protecteur.
Une autre image est aussi à tenir: celle d’un pays allié des Occidentaux. Le projet iranien d’obtenir l’arme nucléaire est de plus en plus compromis, notamment depuis que Trump à gelé sa réalisation. Pour Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et chercheur sur le monde arabe, l’Iran tient fondamentalement à se montrer à la fois comme un pouvoir régional clé « noci[f] ou contributi[f] » en fonction du déroulement des événements, tout en souhaitant aussi assurer sa capacité nucléaire le plus rapidement possible et redresser son économie.
Le conflit actuel au Moyen-Orient est un labyrinthe semé d’embûches pour l’Iran, dont la stratégie de modération est issue d’une simple priorité: renforcer son économie, et peser davantage dans la balance régionale grâce à l’arme nucléaire.
Mathilde Pol-Loison et Galliane Langsweirt.
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