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Ece Eroglu, Opinion.

Le MUBI Fest est un festival de cinéma annuel organisé par MUBI, plateforme de diffusion globale, qui a lieu dans plusieurs pays autour du monde avec une sélection de films triés sur le volet. La première édition de ces festivals globaux s’est tenue à la Cineteca Nacional de Chile en novembre 2023. Englobant une sélection de courts et de longs métrages, ainsi que des discussions et des venues musicales, le MUBI Fest à Santiago était un succès considérable, ouvrant la voie à d’autres éditions locales. Pour l’édition 2024, 9 localisations avaient été confirmées à travers le monde, en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Europe, parmi lesquelles figurait Istanbul.

En tant que cinéphile stambouliote, j’étais immensément heureuse à l’idée qu’un événement cinématographique d’envergure mondiale se tiendrait dans ma ville natale. Toutefois, j’ai vite appris que l’étape du festival étant censée se dérouler à Istanbul avait été annulée, à la suite d’une dispute avec les autorités locales. Cette dispute s’agissait d’un désaccord par rapport à la projection du film Queer, réalisé par Luca Guadagnino, cinéaste réputé dont l’oeuvre en question avait été sélectionnée comme le film d’ouverture pour le festival. Par conséquent, à quelques heures du début du MUBI Fest Istanbul 2024, la préfecture de Kadıköy à Istanbul a interdit la projection de ce film spécifique, sous prétexte de sécurité, “en raison d’un contenu provocateur qui pourrait être néfaste pour la paix collective”. Cette décision a enragé MUBI, qui a réagi en annulant l’entièreté du  MUBI Fest Istanbul 2024. En effet, ils ont interprété l’annulation de cette interdiction comme une violation à la liberté artistique, opposant  les principes fondamentaux des festivals de cinéma. 

Compte-tenu de la longueur des préparations et des efforts mis dans d’importantes campagnes publicitaires, ainsi que la rapidité à laquelle les billets ont été vendus, cette annulation m’a profondément déçue, voire choquée. Même si je comprends tout à fait l’argument de MUBI à propos de la diversité artistique et culturelle, je ne m’attendais pas à une annulation complète comme réponse. 

Plus généralement, les réactions des cinéphiles stambouliotes révèlent une division claire sur la décision de MUBI : certains y voient un acte nécessaire face à des pressions politiques, tandis que d’autres la perçoivent comme étant une dangereuse soumission à la censure. Depuis lors, je me suis interrogée sur les justifications possibles de la censure : peut-elle, dans certains contextes, être considérée comme un mal nécessaire ? Bien que convaincue qu’elle reste un frein majeur à la créativité artistique, cette réflexion m’amène à explorer des pistes. Par exemple, comment trouver un équilibre entre liberté artistique et sensibilités sociopolitiques souvent exacerbées ? Ou encore, peut-on envisager de modérer certains contenus dans des limites raisonnables, ou cela doit-il être exclu en toute circonstance ?

Censure à travers l’histoire du cinéma

Au cours de l’Histoire, de nombreux films ont été soumis à des interdictions, en raison de normes sociales, politiques et religieuses. On pourrait prendre pour exemple le film Le Cuirassé Potemkine qui a été banni dans de nombreux pays européens dû à son caractère politique, faisant l’éloge de la révolution bolchevique. Ce chef d’œuvre de Sergueï Eisenstein était un précurseur, pour le cinéma, de propagande moderne. Bien que la censure mondiale du film ait commencé à perdre de sa rigueur dans les trente années suivant sa sortie, la version intégrale est restée soumise à la censure jusqu’à la fin des années 1980. Au-delà des censures politiques, des films jugés pervers et qui ont tendance à créer des mondes d’horreur ont été interdits pour un objectif présumé d’ordre sociétal. Parmi les figures de proue de ce genre, on peut retrouver La Monstrueuse Parade de Tod Browning, où ce dernier met en scène des individus dont l’apparence physique inhabituelle était souvent perçue comme dérangeante par une grande partie du public. Cette représentation lui a valu des accusations de réduire ces personnes à des objets de moquerie, ce qui a contribué à renforcer les stéréotypes de l’époque. Pour Browning, ce film a également marqué la fin de sa carrière, aucun studio de production n’étant prêt à collaborer avec lui par la suite. 

Quant aux sujets tabous relatés sur l’écran, on peut nommer L’Empire des sens de Nagisa Ōshima, qui était sans précédent dans le cinéma érotique, voire pornogrophique. Avec des scènes audacieuses qui repoussent les limites du visuel, Ōshima nous pousse à nous interroger sur ce qui est éthiquement montrable à l’écran. La tension obscène qui persiste tout au long du film révèle une obsession sexuelle graphique et sensationnelle, qui a profondément perturbé le public dès sa sortie. Ayant fait scandale, le film a été censuré pendant plus de 20 ans dans son pays d’origine, le Japon. La version intégrale du film est de nos jours disponible.

Perspectives sur la censure et l’avenir du cinéma

Les normes politiques, sociales et culturelles peuvent évoluer avec le temps, mais il est certain qu’il existera toujours certains sujets sur lesquels les populations seront davantage sensibles. En fin de compte, la censure dans le cinéma reflète les tensions sociales et culturelles de chaque époque, dépassant la simple interdiction, afin d’être conforme aux valeurs dominantes de la société. Si des mesures de régulation sont mises en place, elles devraient découler d’une réflexion profonde. Le cinéma doit préserver sa liberté artistique, un espace essentiel pour l’innovation cinématographique. Limiter cette liberté reflète et renforce des entraves sociales déjà existantes. 

Aujourd’hui, échapper à la censure n’est plus un défi insurmontable grâce à l’abondance des plateformes numériques, qui offrent de nombreuses voies de diffusion alternatives. Cela démontre notamment que la censure imposée par certains États, bien qu’encore présente, n’est pas une fatalité. Au contraire, l’expression cinématographique, d’une manière ou d’une autre, peut continuer à prospérer en s’adaptant aux nouvelles opportunités offertes par le numérique.

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