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En Afrique de l’Ouest, un discours pro-BRICS émerge avec force, trouvant dans les réseaux sociaux un terrain fertile pour des slogans tels que « Nouvel ordre mondial » et « vive les BRICS. » Ce mouvement, soutenu par des groupes en ligne tels que « BRICS+Afrique pour un Monde multipolaire », célèbre le groupe des puissances émergentes comme une alternative à l’influence occidentale, exaltant particulièrement la Russie, et dans une moindre mesure la Chine, comme partenaires de l’émancipation africaine. Le sommet BRICS+ qui s’est ouvert le 22 octobre 2024 à Kazan, en Russie, marque un tournant historique dans l’histoire de l’organisation avec la possible intégration de l’Éthiopie, de l’Égypte, de l’Iran, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, une expansion perçue par beaucoup comme une chance de repositionnement stratégique pour les pays africains. Cette ferveur soulève une question centrale : l’adhésion aux BRICS constitue-t-elle une opportunité pour l’Afrique de renforcer sa souveraineté et de remodeler son rôle dans un ordre mondial multipolaire, ou risque-t-elle simplement de substituer une forme de dépendance à une autre, au profit des nouvelles puissances émergentes ?

Une coopération en plein essor

Depuis leur premier sommet en 2011, les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ont représenté 45 % de la population mondiale et un quart de la richesse globale, jouant un rôle crucial dans la croissance économique entre 2010 et 2020. En privilégiant une coopération respectueuse de la souveraineté nationale, l’alliance économique multipolaire se présente comme une alternative aux institutions financières traditionnelles, attirant ainsi de nombreux pays du Sud global. L’Afrique, initialement représentée par l’Afrique du Sud,  membre du consortium depuis son inception, cherche désormais à jouer un rôle plus actif, avec de nombreux pays africains voyant dans les BRICS un levier pour accélérer leur développement, renforcer leur influence géopolitique et accéder à des financements pour leurs infrastructures.

Le continent, notamment à travers le Nigéria, première économie du continent, entre ainsi dans une nouvelle ère d’alliances stratégiques avec l’alliance économique multipolaire. Dotée d’une population jeune et d’une économie en forte croissance, Abuja voit cette adhésion comme une opportunité d’élargir ses perspectives économiques et diplomatiques. Cette vision est soutenue par des experts comme Magaye Gaye, économiste et ancien cadre de la Banque ouest-africaine de développement, qui considère l’intégration de l’Afrique aux BRICS comme un levier pour renforcer les échanges commerciaux et stimuler la croissance économique à l’échelle continentale. Une ambition partagée par l’Égypte, qui, en s’alliant à des puissances comme la Chine et l’Inde, cherche à diversifier ses partenariats économiques et à réduire sa dépendance au dollar. Le pays, qui fait actuellement face à une crise de liquidités exacerbée par la guerre en Ukraine, mise sur la Nouvelle Banque de développement des BRICS et des partenariats avec des membres comme le Brésil pour diversifier ses financements et développer des projets industriels et environnementaux, notamment dans les carburants verts. Ces initiatives visent à renforcer l’indépendance économique du continent et à favoriser la durabilité de sa transition énergétique.

Les BRICS comme contrepoids à l’Occident

Lors du sommet des BRICS+, Vladimir Poutine a présenté le groupe comme un rempart contre l’isolement imposé par l’Occident après l’invasion de l’Ukraine, consolidant ainsi la position de la Russie, particulièrement en Afrique. Cette dynamique s’accompagne d’une montée du sentiment pro-russe et anti-français, alimentée par la guerre médiatique menée par le Kremlin, manifeste dans la région du Sahel. Les BRICS offrent ainsi à ces nations une plateforme pour défier la gouvernance occidentale et imposer une nouvelle dynamique mondiale. Le Kenya, par exemple, a renforcé ses liens avec la Chine, affirmant son soutien à la politique de « la Chine unique », rejetant ainsi toute reconnaissance de Taïwan comme un État indépendant, et sollicitant le soutien de Pékin pour rejoindre les BRICS, dans le but de diversifier ses alliances et jouer un rôle plus influent sur la scène mondiale.

Fort de cette dynamique, le groupe plaide pour une représentation plus équitable dans les institutions mondiales comme le FMI et la Banque mondiale, soutenant un multilatéralisme inclusif et des réformes du Conseil de sécurité de l’ONU. Par des instances telles que la Banque de développement des BRICS, il cherche à rééquilibrer l’économie mondiale, notamment en faveur des pays en développement. Attirée par ce projet, l’Afrique cherche à réduire sa subordination financière à l’Occident en établissant des partenariats stratégiques dans les secteurs de l’énergie, du commerce et de la sécurité. Lors de leur 15e sommet, les BRICS ont ainsi proposé une monnaie commune pour réduire leur dépendance au dollar, visant une parité entre les monnaies des pays membres. Une étude du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a révélé qu’en 2020, 60 % des pays du monde auraient un avantage à effectuer leurs transactions en monnaie BRICS , contre 21 % et 19 % pour l’euro et le dollar. Cependant, des défis politiques et institutionnels compliquent sa création, et bien que le projet soit ambitieux, la devise américaine demeure dominante grâce à la puissance de la Banque centrale américaine. Si la monnaie BRICS est soutenue par des ressources stratégiques, elle pourrait toutefois devenir un concurrent majeur, contribuant à un ordre financier multipolaire.

Des défis à relever

Cependant, selon Pavel Diev de la Banque de France, l’impact économique immédiat de l’intégration des nouveaux membres reste limité, principalement parce que les BRICS ne forment pas une zone de libre-échange. La Nouvelle Banque de développement peine encore à réduire sa dépendance au dollar et à attirer des financements. Dix ans après sa création, elle fait face à des défis logistiques et financiers, accentués par l’élargissement du bloc.

En effet, lors de la dernière réunion des BRICS+ à Kazan en octobre 2024, des tensions ont émergé, mettant en évidence les divergences entre les membres. Le Brésil et l’Inde, inquiets de voir leur influence réduite, s’opposent à un élargissement massif du groupe. New Delhi a proposé une catégorie de « pays partenaires » sans droit de vote pour éviter une tournure trop anti-occidentale, une approche partagée par le Brésil qui craint de perdre son poids stratégique. Ces débats sur l’élargissement des BRICS révèlent des fractures internes profondes à l’instar de l’Afrique du Sud qui s’oppose à l’adhésion du Maroc, craignant une perte d’influence sur le continent. Cette situation survient dans un contexte plus large de tensions diplomatiques entre Pretoria et Rabat, exacerbées par la perte de l’Afrique du Sud face au Maroc lors de l’élection à la présidence du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. D’un côté, cette contestation contraste avec l’image panafricaine que souhaite se donner la Nation arc-en-ciel, qui continue de soutenir le Polisario, mouvement indépendantiste revendiquant l’autodétermination du peuple sahraoui au Sahara occidental. D’un autre côté,  le Maroc renforce ses liens diplomatiques avec les BRICS, notamment avec la Chine qui, plus tôt cette année, l’a invité à participer au Forum des BRICS sur la nouvelle révolution industrielle. Lors du sommet de Kazan, les autres membres du groupe ont évité de débattre de la question sahraouie, se concentrant sur des enjeux économiques et isolant davantage l’Afrique du Sud.

Un autre dossier délicat au sein de l’alliance concerne l’Algérie, qui, à l’instar du Maroc, cherche à renforcer ses liens avec les BRICS, mais a récemment abandonné sa candidature, estimant que son adhésion n’était plus prioritaire. Son rejet en août 2023 a été attribué à sa dépendance aux hydrocarbures et à un manque de diversification économique, malgré des progrès économiques reconnus par le FMI et la Banque mondiale. Le quotidien El Moudjahid a accusé un membre des BRICS, influencé par un “modeste émirat du Golfe“, d’avoir bloqué la candidature algérienne pour des raisons politiques. Les BRICS, bien que liés par des intérêts économiques communs, demeurent ainsi divisés sur le plan politique et géopolitique, freinant leur potentiel en tant que bloc idéologique cohérent. 

Une opportunité historique pour l’Afrique

Ces divergences internes, accentuées par les tensions Chine-Inde et des conflits régionaux comme celui du Nil entre l’Égypte et l’Éthiopie ou le soutien iranien aux Houthis en mer Rouge, rendent la gestion de cette alliance complexe. Ce partenariat n’est pas non plus sans risques pour l’Afrique, notamment avec le soutien médiatique de la Russie et de la Chine, qui séduit les régimes militaires de la région, notamment à travers des campagnes de désinformation. Celles-ci ont été particulièrement efficaces au Burkina Faso, ce qui soulève des enjeux de manipulation et d’ingérence. Ainsi, bien que l’adhésion de pays africains aux BRICS puisse renforcer l’influence du continent, celui-ci devra œuvrer à préserver ses intérêts face aux dynamiques géopolitiques complexes et parfois contradictoires de ce bloc en expansion, en évitant toute forme d’exploitation économique ou de captation de ressources qui pourrait se dissimuler sous ces alliances stratégiques.

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Chad Likeng

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