Crédit image: theafricareport.com
De Chad Likeng. Affaires Etrangères.
En 2018, Donal Trump faisait scandale en qualifiant Haïti, le Salvador et plusieurs pays africains de « pays de merde » lors d’une réunion sur l’immigration. Le Botswana, ulcéré, convoquait son ambassadeur pour exprimer son indignation. Confrontés au retour triomphal de l’homme d’affaires à la Maison-Blanche le 5 novembre 2024 et face à une diplomatie américaine plus qu’incertaine, ces mêmes leaders africains choisissent de jouer la carte de la coopération pragmatique. Du roi Mohammed VI du Maroc au président nigérian Bola Tinubu, en passant par le Congolais Félix Tshisekedi, nombreux sont les chefs d’Etats du continent qui ont salué le retour du leader républicain à la présidence de la première puissance mondiale. Un accueil mesuré mais conscient des implications géopolitiques d’un tel retournement, notamment en matière d’influence sur les relations économiques, sécuritaires et diplomatiques avec les États-Unis. Entre méfiance historique et impératifs géopolitiques, c’est un autre Trump, plus stratégique et pragmatique, que l’Afrique semble devoir affronter.
Quand l’Afrique choisit Trump : une alliance idéologique ?
Avant même les résultats de l’élection, de nombreux dirigeants africains considéraient déjà que Trump serait plus favorable aux intérêts économiques et commerciaux du continent que la candidate démocrate Kamala Harris. En effet, sous l’administration Biden, les États-Unis ont réduit leur présence directe en Afrique, à l’exception du Kenya, qui reste un allié stratégique. Le président Uhuru Kenyatta a d’ailleurs été le seul dirigeant africain à visiter le Bureau ovale ces quatre dernières années, où des accords importants ont été signés dans les domaines de la santé, de l’investissement et de la technologie. Marginalisés par une administration qui a favorisé des engagements multilatéraux souvent perçus comme désavantageant l’Afrique, de nombreux dirigeants africains, à l’instar du président ivoirien Alassane Ouattara, saluent ce qu’ils considèrent comme la « franchise » de Trump, estimant qu’il incarne un leadership direct, sans agenda inavoué. Certains de ces régimes, réticents à promouvoir les droits LGBTQ+ ou les réformes vers la libéralisation politique, trouvent en effet dans son approche un soutien, considérant ces restructurations comme des injonctions extérieures. La politique étrangère du conservateur américain pourrait rediriger les financements des ONG de défense des droits humains vers des causes plus alignées avec son agenda idéologique, comme le soutien aux groupes évangéliques et les campagnes anti-avortement. Cela pourrait marquer un tournant dans la gestion des questions de gouvernance et de justice sociale, qui ont longtemps influencé les relations diplomatiques entre l’Occident et l’Afrique. Récemment, cela a entraîné des tensions, comme en témoigne la loi anti-homosexualité adoptée en mai 2023 en Ouganda, qui a conduit les États-Unis à retirer au pays son statut commercial préférentiel.
Du désengagement à l’escalade : La nouvelle dynamique militaire américaine en Afrique
Ainsi, alors que les relations entre l’Afrique et les grandes puissances mondiales se redéfinissent, les États-Unis se trouvent à un tournant stratégique majeur. En effet, le retrait progressif des forces américaines du Niger et du Tchad, entamé en 2019, et la réévaluation de leur présence en Afrique, notamment à la base d’Agadez utilisée pour l’observation des mouvements en Libye, ont été accélérés par les coups d’État successifs au Mali en 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023. Washington, longtemps frustrée par l’autonomie de la politique étrangère française dans la région, s’est néanmoins réjouie de voir son propre déclin militaire se dérouler parallèlement à celui de la France, affaiblie par une défiance croissante envers sa politique dans la région. Le style personnel d’Emmanuel Macron, jugé impatient et cassant, a irrité les élites africaines, renforçant l’image d’une France héritière d’un système colonial. Ces événements ont incité plusieurs gouvernements, sahéliens, à chercher de nouveaux alliés. Dans ce contexte, la Russie s’est positionnée comme un partenaire stratégique, en mettant en avant son soutien militaire tout en se présentant comme une alternative qui s’engage sans interférer dans les affaires internes des pays africains. Pourtant, l’issue de cette réorientation reste incertaine : la réélection de Donald Trump en 2024 pourrait ramener l’Amérique à un engagement plus marqué en Afrique, notamment à travers le maintien du commandement militaire Africom (Commandement des États-Unis pour l’Afrique), qui lutte contre les groupes djihadistes au Sahel. Ceci pourrait rendre la dynamique encore plus complexe en faisant de la région un véritable champ de bataille entre Américains et Russes, notamment à travers le groupe Wagner. Cette rivalité intensifiera assurément les tensions géopolitiques dans des régions déjà profondément instables, marquant ainsi un changement par rapport à l’approche plus désintéressée du premier mandat de Donald Trump.
Une stratégie américaine isolée : l’opportunité pour l’Afrique de s’affirmer
En effet, pendant ses quatre années en fonction, Trump n’a effectué aucune visite officielle en Afrique, et son principal geste diplomatique envers le continent fut la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en 2020, dans un contexte de normalisation des relations entre Israël et le Maroc. Bien que certains espèrent que Trump poursuivra ce soutien, notamment en réouvrant un consulat américain dans le territoire contesté, suspendu sous l’administration Biden, ces initiatives restent isolées et ne s’inscrivent pas dans une véritable stratégie africaine globale. En conséquence, les politiques de Trump risquent d’avoir un impact indirect sur des questions géopolitiques africaines en les reléguant au second plan. Par exemple, ces politiques pourraient ignorer la demande de deux sièges permanents pour l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU, à laquelle Joe Biden s’était dit favorable, ce qui pourrait nuire aux ambitions de l’Union africaine. Néanmoins, selon une publication du Policy Center for the New South, un retour à l’isolationnisme américain, et la priorité accordée par le dirigeant conservateur aux partenariats bilatéraux, pourrait permettre à l’Afrique de se libérer d’un multilatéralisme conçu principalement, à travers les institutions mises en place par la conférence Bretton Woods après la Seconde Guerre Mondiale, pour répondre aux besoins des grandes puissances. En se concentrant sur des accords bilatéraux, l’Afrique pourrait mieux répondre à ses propres priorités et renforcer son autonomie politique et économique. En réduisant l’influence de l’alliance transatlantique, ce retrait des États-Unis offrirait ainsi une période de quatre ans pendant laquelle les nations africaines pourraient renforcer leur souveraineté et réduire leur dépendance aux puissances extérieures. Cela revêt une pertinence accrue, car dans le monde d’aujourd’hui, le pouvoir économique s’impose comme le principal levier de respect sur la scène internationale. Cette réalité est d’autant plus manifeste avec un milliardaire à la tête de la première puissance mondiale. Si Donald Trump fait preuve de prudence envers des géants tels que la Chine, c’est précisément parce que son vaste marché et son immense capacité de production la placent au cœur des dynamiques mondiales, la rendant tout simplement incontournable. L’Afrique doit viser un tel statut pour ne plus être exclue des grandes décisions mondiales.
Ainsi, sous une administration Trump, le rôle économique de l’Afrique pourrait évoluer de manière significative. En privilégiant des accords bilatéraux et en s’éloignant de la coopération multilatérale, Trump pourrait remettre en question des programmes comme l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) — qui permet aux pays africains d’exporter sans taxes aux Etats Unis. Le nouveau président des États-Unis s’est en effet engagé, lors de sa campagne de 2024, à mettre en place un droit de douane universel de 10 % sur tous les produits fabriqués à l’étranger. Si cet accord commercial venait à disparaître, les exportations africaines vers les États-Unis en pâtiraient, mais ce scénario pourrait encourager le commerce intra-africain grâce à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et ainsi renforcer le marché intérieur du continent. Par ailleurs, face à l’expansion chinoise en Afrique, matérialisée par d’ambitieux projets d’infrastructures et des partenariats dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie et les télécommunications, une intensification de la compétition géostratégique pourrait inciter Trump à adopter une politique davantage protectionniste. En privilégiant des accords bilatéraux, les États-Unis viseraient à freiner l’influence grandissante de Pékin tout en consolidant leurs relations avec les nations africaines. Cette rivalité entre les deux puissances pourrait créer des opportunités inédites pour l’Afrique, notamment grâce à une augmentation des investissements américains et à un renforcement des échanges commerciaux avec la Chine. Il est également important de souligner que, bien que son approche ait été controversée, Trump a, en 2019, réformé l’aide publique en créant la Development Finance Corporation (DFC), un organisme destiné à soutenir les investissements en Afrique, et Prosper Africa, une initiative qui aide les entreprises américaines souhaitant investir en Afrique. Ces initiatives pourraient se traduire, au cours des prochaines années, par des opportunités de financement pour les secteurs clés de l’économie africaine. Ainsi, bien que la situation soit incertaine, l’Afrique pourrait en sortir favorablement en diversifiant ses partenariats économiques et en tirant parti des tensions géopolitiques entre grandes puissances.
“Le dollar civilise avec les canons”
Comme le dit l’auteur congolais Maxime N’debeka, « Le dollar civilise avec les canons », une déclaration qui souligne que derrière chaque promesse économique, chaque partenariat commercial, se cache souvent une puissance prête à imposer sa domination. Avec l’élection de Trump, l’Afrique se trouve à un tournant stratégique. Elle doit saisir cette chance pour renverser les rapports de force, diversifier ses partenariats et revendiquer son indépendance économique. Il est temps pour le continent de sortir de l’ombre, de s’affirmer sur la scène mondiale et de ne plus se contenter de jouer un rôle secondaire dans un monde en pleine transformation.
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