Il fut une époque où son cœur était fait de quatre murs creux d’ennuis. Les aspérités des parois laissaient passer l’ambiance intérieure sans secrets. Les marches étaient délicatement sculptées et descendaient éternellement vers les autres, ceux qui écoutent, et même ceux qui n’en font rien. Ce sont des marches généreuses en envolées, comme des drapeaux blancs immaculés prenant la brise légère et caressant d’un regain d’innocence le rythme effréné de ceux qui ont grandi.
Il fut une époque où il criait encore ses maux sur les toits de Paris, se confiant à la Lune et à toutes ses étoiles. Il se croyait le soliste du spectacle, bien qu’il ne fût qu’un petit rat de l’opéra dans la cohorte des ballerines débutantes.
Il était dans cet âge où le cœur, pas encore perdu, crée lui-même son propre labyrinthe. Ce cœur qui voyage au gré des choses sans mots, des éclats de lumière, sans penser à l’inconnu. Cet âge où le doux sourire du soleil éclaire sans jamais brûler, sans douleur, sans culpabilité.
Mais l’enfance passe comme l’eau coule sous les ponts, et de ces lignes sans écueil ouvrant mille routes vers Rome, elle bascule sur des chemins sans issue, nœuds de l’esprit. De réponses sans questions, la rivière suit un autre cours et, apparaissent des pourquoi du comment. Parce que le voyage de l’âme en mélodie de « la palpite¹ » délicate s’est égaré dans la tempête des vagues qui jugent et des expressions qui assomment. Parce que le voyageur ne se regarde plus que dans le reflet des autres, et parce que de sa maison aux quatre vents, il en a fait une prison d’où plus rien ne s’échappe.
Et même si ses mots se font parfois poésie pour transmettre quelques rimes égarées, invention de l’esprit torturé, il reste en lui bien des non-dits, parce que les vitres nouvelles ne seront jamais propres. Les vers en poésie tentée sont des oxymores vides d’horizons qui créent une buée indélébile. Et ses pensées se perdent à la dérive, dans le tourbillon d’une existence qui n’ose se reposer. Il aurait voulu être de ceux qui se la jouent rebelles et dansent au creux du monde, de ceux qui se disent mystères sombres, mais ses maux sont les tribunes de tous les journaux.
Il est lui, lui et son silence, brouhaha de son être, silence qui tressaille et s’émeut dans l’écume blanche d’un cœur oublié. Dans un monde où la solitude fait la queue avant d’entrer dans le train, chacun sa paire de valises du passé, chacun sa sacoche de l’enfance à la dérive, chacun seul bien que près de l’autre.
Les mots, les rythmes singuliers s’échouent sur le sable fin comme perdus dans une trop vaste réalité. Et désormais, quand de son logis les idées du voyageur tentent de prendre leur envol, elles s’écrasent, trop lourdes, sur la plage, incertaines de leur pauvre devenir, vite éteintes dans un parfum salé trop doux.
Un salé sans goût particulier, à part le goût de la rancœur, celle-là même qui regrette le courage, resté blotti au fond du logis ; logis qui n’a plus d’escalier, cœur sans porte de sortie, cœur si plein, mais qui ne s’écoule plus.
Le voyageur a beau se dénuder, son corps prend feu des regards des autres, ceux qui observent son corps sans rien n’y trouver, ni supplications enflammées, ni la fervente volonté d’être compris. Leurs regards glissent sur lui comme ils le feraient sur une œuvre dont ils ne trouveraient pas le sens.
Et tout lui brûle l’échine comme un point rougi, fer forgé, et tout est armes pointées vers son cœur démuni. Son être rugit alors et gémit en larmes tranchantes, en lames humides.
Car la bâtisse de son cœur, logis de ses rêves, n’a d’échappatoire plus que sa bouche, qui a oublié comment parler le langage de l’émotion. Car dans le labyrinthe de son cœur inconnu, celui de l’enfance dont il a oublié la carte, la porte de sortie est condamnée. Parce que ses mots solitaires, se perdent sur les pages jaunies d’un recueil esseulé. Témoin des tortures du cœur en ferveur, témoin de l’ivresse vagabonde qui un jour fut sienne.
Son cœur est un château déchu, fait d’escaliers en ruines et de fenêtres sans vitres.
Seule porte, seule entrée : souffrance.
De cette souffrance dont il ne peut s’aveugler, il en fait une effusion de lyrisme silencieux. De ces cendres, des cristaux du merveilleux, imprégnés du lourd silence des poèmes, doux et profonds, rythmes et rimes, mélodies aux accents gais dont les accords sont graves six pieds sous l’octave.
Et ses pages, ses lettres et ses mots qu’il ne partage pas, sont les secrets de son enfance en souterrain.
¹ La palpite fait référence aux palpitations d’un cœur humain. Inspiré de l’auteur Mye dans Belette, roman paru en 2024 aux éditions le Tripode.
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