Selon le ministère de l’Intérieur, en 2024, la grande majorité des victimes de violence dans le cadre domestique sont des femmes (85%) alors que les mis en cause sont le plus souvent des hommes (86%). En effet, le nombre de femmes âgées de 18 ans et plus qui, en 2022, ont été victimes de ces types de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques, est estimé à 373 000.
Les femmes sont indéniablement les premières victimes de cette violence.
Intimement liée à cela, la question de l’impact de cette violence sur l’environnement et les dynamiques familiales est primordiale. En effet, parfois négligé, ce sujet soulève des enjeux clés quant à la perpétuation et/ou la banalisation de la violence au cours des générations, développant des traumatismes et des souffrances pour les acteurs affectés. Il est toutefois important que chaque victime prenne conscience qu’il est possible de briser le cercle de ces violences.
REMARQUE MÉTHODOLOGIQUE
Au vu des statistiques et pour faciliter la lecture de cet article, nous avons fait le choix de parler des victimes au féminin et des auteurs au masculin.
Avant de commencer, il est important de noter que selon l’article 3 de la Convention d’Istanbul, signée en 2011, la violence domestique désigne « tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ». Celle-ci comprend la violence physique, psychologique, sociale, sexuelle, ou économique, ou encore le harcèlement obsessionnel. La violence peut être ponctuelle et visible, mais elle peut également être un contrôle durable et systématique, marqué par une relation abusive asymétrique. Elle s’inscrit alors dans “le cycle de la violence”, construit en quatre étapes (tension, crise, justification, lune de miel) ; un cercle vicieux dont il est difficile pour la victime de s’extraire.

Comprendre les impacts intergénérationnels de cette violence
En 2023, 143 000 enfants vivaient dans des foyers où des femmes sont victimes de violences de la part de leurs partenaires ou ex-partenaires. 42 % de ces enfants avaient moins de 6 ans. En 2022, 105 enfants sont devenus orphelins d’au moins un de leurs parents suite à des homicides au sein du couple, et 31 étaient présents sur la scène de l’homicide. Par ailleurs, en 2020, 33 468 victimes mineures au moment des faits de violences physiques dans un cadre intrafamilial ont été enregistrées par les services de police ou de la gendarmerie.
Par conséquent, toutes ces statistiques justifient l’argument que les enfants exposés à ces violences sont aujourd’hui considérés comme des victimes à part entière.
En effet, les enfants peuvent être des témoins directs de cette violence faite aux femmes en assistant à des scènes violentes, ou encore en subissant directement celle-ci (violence physique). Néanmoins, les enfants, pouvant être considérés comme de véritables éponges émotionnelles, sont, dans la majorité des cas, des victimes indirectes de cette violence domestique. Ils ressentent et vivent sous un climat de tension entre l’agresseur et sa victime, pouvant parfois gravement affecter la relation parent-enfant. Dans certains cas, les enfants ont tendance à se sentir responsables de cette violence qu’ils subissent. Un renversement des rôles peut également se produire, l’enfant assumant certaines responsabilités parentales – comme confident ou médiateur – inadaptées à son âge, avec des conséquences lourdes sur son développement.
Enfin, un dernier grand risque est celui de la banalisation de cette violence domestique, où les enfants, par imitation, peuvent penser que celle-ci est un comportement normal, une façon acceptable de gérer les conflits.
Les conséquences sont visibles dès le plus jeune âge, et l’enfant peut ainsi rencontrer des difficultés scolaires. Par exemple, en classe, il peut avoir du mal à rester concentré et attentif, et il peut également se montrer réticent à l’idée de faire son travail scolaire le soir.
En outre, en raison de leur expérience traumatisante, ces enfants ont souvent du mal à établir des relations interpersonnelles significatives avec leur entourage. Ils ont en effet tendance à se replier sur eux-mêmes, et réagissent souvent de manière impulsive, en résolvant leurs problèmes par de l’agressivité, ce qui amène les autres enfants à s’éloigner d’eux.
En parallèle, certains développent un syndrome de stress post-traumatique, et ne parviennent pas à assimiler leurs expériences de violence, restant hantés par les souvenirs sans parvenir à les oublier. Ils présentent fréquemment des troubles de l’adaptation et du comportement, 10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence, dont des comportements agressifs vis-à-vis d’autres enfants. En effet, statistique à l’appui, 50 % des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent pendant l’enfance.
De même, ces derniers ont souvent été marqués durant leur enfance par des apprentissages erronés sur le rôle des femmes et des hommes dans les relations intimes, ce qui augmente le risque de reproduction intergénérationnelle de la violence dans les futures relations amoureuses ou conjugales. Ainsi, les garçons exposés à de la violence domestique risquent davantage d’adopter des comportements violents envers leurs partenaires, tandis que les filles ont plus de risques d’en être victimes dans leurs futures relations conjugales. Des cas tels que l’affaire Pélicot ou les abus sexuels perpétrés au sein de trois générations dans la famille de l’écrivain espagnol Juan Goytisolo, reflètent la réalité et la menace de la perpétuité du cercle de violence au cours des générations.
En élargissant le cadre d’analyse, on observe que les impacts se transmettent aussi sur les dynamiques familiales plus larges. Prendre conscience qu’une personne de son entourage vit des violences conjugales fait émerger de nombreux sentiments contradictoires. La victime pense souvent qu’il est difficile voire impossible de changer la situation, à cause de certains phénomènes comme l’emprise, le sentiment d’impuissance ou l’isolement. Ce cercle de violence peut souvent induire le “syndrome de la femme battue”, qui implique qu’il est fréquent que la victime ressente une certaine ambivalence face à l’auteur des violences, de la honte, de la peur et qu’elle se sente coupable de la situation.
Par conséquent, il est important que la victime prenne conscience de ces sentiments et que son entourage les accueille, les comprenne et les légitimise, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Solutions et initiatives pour briser le cercle
Malgré la difficulté pour briser ce cercle de violence, des initiatives et des solutions sont mises en place, à différentes échelles, pour proposer un accompagnement aux victimes.
Depuis plusieurs années, les programmes de sensibilisation se développent, touchant les centres éducatifs de la maternelle aux universités. Une importance est accordée à la santé mentale, au soutien psychologique et au suivi des enfants scolarisés. Des programmes, tels que le Plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027 en France, ou encore des modules sur la gestion des conflits et des émotions sont lancés par les pouvoirs publics pour lutter contre les conséquences sur le développement, tant émotionnel que psychique, des enfants victimes.
Sur le plan international, l’ONU engage les États membres signataires de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) à rendre compte régulièrement des progrès des législations et des efforts mis en œuvre pour lutter contre ces violences.

Au niveau de l’Europe, un cadre de valeurs et de méthodologie dans la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment les violences au sein du couple, a été posé. La convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, adoptée en 2011, constitue le premier instrument européen posant une base légale en vue de prévenir les violences faites aux femmes, de protéger les victimes et de punir les agresseurs.
En France, toute violence conjugale, qu’elle soit verbale, physique, psychologique, sexuelle ou économique, est un délit, voire un crime (viol, féminicide). En 2012, la Mission Interministérielle de Protection des Femmes et de lutte contre la traite des êtres humains a été créée. Elle est chargée d’analyser et de diffuser les données et informations relatives aux violences faites aux femmes dans le cadre du foyer, et d’encourager la politique locale de protection des femmes victimes, avec des plans de sensibilisation. En 2022, par exemple, elle a recensé 118 femmes et 12 enfants tués dans le cadre de violences conjugales en France, contre 27 hommes.
Pour une approche concrète face à un enfant se déclarant victime de violence, la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) peut être saisie pour traiter la situation.
De plus, il est possible d’appeler le 119, numéro national d’appel d’urgence gratuit et confidentiel pour toute situation d’enfant en danger, pour demander conseil. S’il existe une situation de danger imminent, il est également possible d’adresser directement un signalement au procureur de la République (avec copie à la CRIP).
En d’autres termes, les pouvoirs publics ont apporté, au cours des dernières années, des réponses à la fois législatives et institutionnelles. Il faut à présent intensifier nos efforts concernant le processus de lutte contre tout type de violence, notamment la violence domestique, afin de pouvoir complètement l’éliminer.
Après la lecture de cet article, si vous vous reconnaissez dans une situation de violence domestique ou connaissez des proches concernés, n’hésitez pas à en parler et à franchir le pas pour briser le cercle. Le soutien communautaire peut s’avérer une étape fondamentale pour aider à en sortir.
En France, le numéro d’écoute, d’information et d’orientation est le 3919 (Violences Femmes Info). C’est un numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Anonyme et gratuit, ce numéro permet d’assurer une écoute et une information, et, en fonction des demandes, effectue une orientation adaptée vers des dispositifs locaux d’accompagnement et de prise en charge.
Que vous soyez victimes directes ou indirectes d’une situation de violence domestique, il est possible de briser le cercle.
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