Le “set-jetting” ou ciné-tourisme, une nouvelle façon de réfléchir à ses excursions ? C’est bien la tendance qui ressort des dernières études. En effet, plus de 80 millions de personnes se déclarent influencées par les films ou séries qu’ils ont vus lors de l’année passée au moment de choisir leurs destinations. Concrètement, le ciné-tourisme est défini par un choix de destination de vacances, en France ou ailleurs, par l’intermédiaire des films ou séries consommés. Cette pratique peut être retracée jusqu’aux années 1950, bien que son expansion se remarque plus récemment. En effet, la sortie de certains films à succès ont pu créer une attractivité plus que ressentie, notamment à Saint-Tropez, après la sortie du film “Et Dieu créa la femme”. Ces succès ont, dans les faits, amené les spectateurs à rediriger leurs choix de destinations de vacances en fonction du contenu qu’ils consomment. Nous pouvons ainsi nous pencher sur ce phénomène, afin de découvrir les raisons d’un tel succès.
Cette tendance s’est surtout développée à partir des années 1990, et en particulier depuis le début du XXIᵉ siècle. L’arrivée d’internet au premier plan dans la vie des nombreuses personnes aide donc à la propagation des médias et des films, et favorise, en conséquence, une influence ressentie par les choix de destinations. Nous retrouvons ce phénomène à travers la consommation de contenus destinés à valoriser une région, une ville ou même un pays en général. Que ce soit en France ou ailleurs, cette façon de penser se précise de plus en plus, avec une nette progression en hausse depuis la fin des confinements successifs. Ainsi, à la sortie de la pandémie de Covid-19, des millions de voyageurs, désireux de repartir à l’aventure, ont repensé leurs destinations. En effet, leur intérêt pour des lieux qu’ils ont découverts durant leur temps à la maison a fortement augmenté. À travers les séries télévisées et les films, dont la consommation a bondi, l’attractivité de ces endroits se renforce un peu plus chaque jour. C’est notamment devenu un outil de soft power à travers les messages plus ou moins subtilement dispersés dans les contenus.
En comparant les lieux, il est possible de réaliser un petit tour d’horizon, et de constater à quel point l’effet est ressenti ou non à travers le monde.
Tout d’abord, les séries ayant eu un succès mondial ont pu constater un bond au niveau des recherches des lieux de tournage, notamment de la part des millions de téléspectateurs. Les 8 saisons de “Game of Thrones” par exemple, ont des lieux de tournage répartis dans différents pays, allant de Malte à l’Irlande du Nord, en passant par le Maroc et l’Islande. Les recherches des lieux ont ainsi bondi lors des sorties de chaque saison, ce qui, au fil du temps, a engendré un entrain quasi-constant pour les villes et villages ayant servi à la production. Un de ces exemples reste l’Irlande du Nord, où se trouve le château d’une des familles principales, visible tout au long des saisons, et qui sert de pièce maîtresse à la série.
L’ancrage des téléspectateurs dans la série se retranscrit dans la vraie vie, au fur et à mesure qu’ils s’habituent à voir ces endroits, et les reconnaissent. Cette habitude peut créer un attachement, voire un certain manque lorsque la saison ou la série se terminent. Cette quasi-dépendance peut provoquer un besoin ou une curiosité d’aller voir la réalité des décors, afin de s’immerger dans l’univers de la série.
Si “Game of Thrones” est parvenu à réunir de nombreux voyageurs, d’autres médias, comme les films, ont aussi créé un certain engouement. Nous pouvons dès lors penser à la saga Star Wars, qui a permis à l’Italie et la Tunisie de booster leur tourisme. Les territoires mettent en avant les décors de film pour attirer la clientèle de ces productions. À l’échelle de la France, nous pouvons retrouver le classique “Bienvenue Chez les Ch’tis”, qui a fait exploser les visites et réservations dans le département (Nord-Pas-de-Calais), et dont les effets se font ressentir encore aujourd’hui. En effet, les locaux sont plus qu’amusés de recevoir des visiteurs à la recherche d’un moment et d’un lieu particulier dans le film, qui n’existe pas dans la réalité. Le nombre de visiteurs a été multiplié par 2, et les locations sont quasiment surbookées.
Ainsi, le coup de fouet provoqué dans cette industrie du tourisme n’est pas passé inaperçu, et est aujourd’hui un des moteurs principaux dans certaines régions, qui dépendent de cette impulsion. Ainsi, des chiffres indiquent une augmentation de plus de 76% de la fréquentation des terres du tournage d’”Oppenheimer” au Nouveau-Mexique. Mais un chiffre assez remarquable reste sans doute les 40 % d’augmentation des voyages touristiques vers la Nouvelle-Zélande, sur la période de 2000 à 2006. Ces voyages étaient alors pour la plupart dus à la sortie de la trilogie “Le seigneur des Anneaux”.
Cependant, si cette tendance permet d’encourager la découverte de lieux et de destinations touristiques, les effets, parfois néfastes, se font aussi ressentir, et une protection de ces lieux devient donc nécessaire. L’afflux de touristes inattendus représente, en effet, une large portion des visiteurs, et les villes et les habitants sont occasionnellement contraints de réguler les arrivées et visites prévues. Certains sont d’ailleurs contrariés par cette avalanche de visites motivées par les films. On le ressent même auprès des habitants : «Pourvu que l’année prochaine un nouveau film se passe ailleurs, qu’on nous laisse tranquille !». D’autres, sont obligés de maîtriser la venue de touristes, pour ne pas réduire leur clientèle habituelle, comme le café du film “Le fabuleux destin d’Amélie Poulain”. Si ces désaccords ne concernent que les interactions au niveau social, l’impact environnemental d’une telle pratique ne peut être ignoré. En effet, une soudaine affluence peut contraindre la population et les responsables administratifs à adopter des mesures préventives. La surfréquentation de Dubrovnik en Croatie, un des lieux de tournage de “Game of Thrones”, a mené en 2019 à une régulation du nombre de touristes, pour éviter d’être radié de la liste du patrimoine mondial de l’humanité.
Un autre exemple se trouve en Suisse, à la suite de la série “Crash Landing on You”, qui figure parmi les séries les plus populaires sur Netflix. Ce succès a entraîné une vague de visiteurs dans le petit village d’Iseltwald, avec un ratio de plus de mille visiteurs pour un habitant. Le problème est que le séjour est parfois uniquement organisé pour prendre une photo d’un des endroits les plus marquants de la série, un pont. Beaucoup des visiteurs arrivent en autocar, et repartent immédiatement après, sans s’attarder dans le village, laissant les commerçants quelque peu agacés par la situation. Une régulation a alors été mise en place, obligeant les visiteurs à payer 5 francs afin d’accéder au pont. Certains abandonnent alors la visite, et prennent une photo de loin, sans vouloir dépenser. Nous voyons ici les limites de l’impact du tourisme motivé, car les conséquences peuvent très vite se faire ressentir, notamment l’impact sur les commerces, ici pour la plupart ignorés.
Toutefois, si ces aspects négatifs existent et doivent être endigués pour ne pas faire mauvaise presse à ces voyages, il faut prendre en compte tous les avantages que ces voyages et films peuvent apporter, à l’échelle locale comme nationale. Effectivement, cette forme de soft power peut alors être accentuée, et contribuer à rétablir une image positive de certains pays, au sein même de ses citoyens. Ainsi, les films et séries ont parfois comme résultat de reconstruire une meilleure image de la France. C’est le cas de 66% des français qui déclarent vouloir découvrir à nouveau des régions qu’ils ont aperçu dans un film ou une série. Ils sont en mesure d’influencer de nouveaux voyages, parfois même dans la région d’origine, ou permettent de redonner de l’attractivité à des terroirs quelque peu oubliés. Le set-jetting, ou ciné tourisme, peut également avoir un impact sur le long terme, car il touche des catégories d’âge plus vastes, notamment les 18-44 ans, dont les recherches de voyage ont été largement orientées par le contenu consommé. Cela incite aussi à la découverte de nouveaux lieux culturels, avec une recrudescence du nombre de lieux visités au fil des décennies. On passe ainsi d’une proportion massive des touristes dans les 15 premiers pays à hauteur de 75% en 1970, à 57% en 2005, laissant penser que la croissance des films et séries pourrait diversifier les intérêts et voyages.
En somme, le ciné-tourisme, ce nouveau phénomène en tête des catégories de voyages, réunit aussi bien les avides de films et de séries, que les habitants de ces lieux, et facilite une ouverture sur une multiplicité de destinations possibles. Toutefois, cette pratique n’est pas sans conséquences, et il semble alors nécessaire d’étudier ses potentiels effets négatifs afin de les contrer.
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