Par Santiago Robledo
Plus de 400 000 missionnaires chrétiens arpentent le monde essayant de diffuser leur religion dans les recoins où habitent les dernières personnes ‘qui ne connaissent pas encore Jésus’. L’un d’entre eux, John Allen Chau, jeune missionnaire américain représentant All Nations, une mission d’évangélisation basée dans le Missouri, a été tué le 17 novembre dans l’archipel des îles Andaman appartenant à l’Inde, au large du Myanmar
Sur l’Île des Sentinelles Nord vit la tribu du même nom. Une des dernières populations isolées sur la planète, elle vit en autarcie totale. Cette modeste tribu, qui comporte entre 60 et 200 membres, est connue pour sa défense féroce de son île ; en effet, elle évite à tout prix le contact avec le monde extérieur. Cela est dû à son histoire longue et sanglante avec les colonisateurs successifs de cette région de l’Océan Indien. Le gouvernement indien, peu de temps après son indépendance, a décidé de protéger cette île presque décimée tout en interdisant tout accès à celle-ci. Pour Chau cependant, le fait que ce peuple n’ait jamais été en contact avec le monde extérieur, et donc n’ayant jamais entendu parler de la chrétienté, a fait des Sentinelles un des « derniers bastions de Satan » dans le monde, comme il le mentionne dans son journal. Déterminé à leur faire découvrir à tout prix les enseignements de la Bible, il débarque sur leur île en canoë. Cependant, lorsque les guerriers l’ont vu arriver en criant des versets en une langue inconnue, ils l’ont repoussé plusieurs fois avant de le transpercer de flèches.
Le fait que Chau soit un citoyen américain a tout de suite suscité un grand nombre de réactions de la part de la société américaine, mais surtout une vague de soutien pour sa cause. Les médias de droite ont même commencé à l’élever au rang de martyr. Certes, il a été tué en essayant de promouvoir sa vision du monde et ses croyances, et cela demande du courage, mais cela ne veut pas dire qu’il faut le sanctifier.
Cet article ne cherche en aucun cas à justifier la mort de ce missionnaire, car personne ne devrait avoir à mourir pour ses croyances, mais plutôt à voir de plus près ce qu’il y a derrière cette réaction. En effet, le fait qu’un homme essayant d’imposer sa religion et de convertir un peuple ayant clairement montré sa volonté de rester à l’écart, soit dépeint comme victime et soit idéalisé indique que beaucoup de personnes encore ne comprennent pas le danger associé à ce genre d’action.
Dans les sociétés occidentales, on croit, d’une façon générale, que la colonisation appartient au passé. Ce phénomène, bien que sévèrement désapprouvé, ne surgit que pendant les cours d’histoire ou les journées commémoratives. On ne voit que les problèmes politiques et économiques que la colonisation a engendrés, et comme les pays colonisés ont retrouvé leur indépendance politique et le monopole de leurs ressources naturelles, pour beaucoup, la colonisation, « c’est horrible, mais c’est passé ».Malheureusement, cette vision comprend mal la situation, parce que, encore aujourd’hui, beaucoup de problèmes sociaux dans le monde viennent des principes intériorisés de la colonisation.
La colonisation est apparue de l’envie d’étendre les frontières politiques et d’exploiter d’innombrables ressources. Mais derrière ces intérêts politiques, stratégiques et économiques, il y avait aussi une revendication culturelle, utilisant la religion pour répandre une certaine vision du monde. Dans toutes les sociétés où les pouvoirs coloniaux s’installaient, tout ce qui n’était pas européen devenait ‘sauvage’ d’où l’établissement de projets d’assimilation culturelle. Les colonisateurs voulaient initier ces peuples à la civilisation, ce qui passait souvent par la porte de la religion, alors même que cela revenait à rejeter leur identité, jugée inférieure.
C’est de cette idée-là que sont nés le racisme et la discrimination que tous les pays du monde connaissent aujourd’hui. Le racisme n’est peut-être pas né avec la colonisation, mais la discrimination contre les populations noires aux États-Unis ou indigènes en Amérique Latine (pour ne citer que quelques exemples) vient précisément des idées coloniales. Cette idée que les Européens étaient plus avancés et que leur religion était la seule vraie s’est immiscée dans nos sociétés durablement et survient de manière inattendue.
Il est donc important de distinguer les mécanismes qui animent des événements comme celui qui vient d’avoir lieu. On ne peut se permettre d’idéaliser cet homme, qui n’avait peut-être pas de mauvaises intentions, car ce serait accepter qu’il soit convenable pour quelqu’un d’imposer ses croyances à quelqu’un qui ne l’a pas demandé. Normaliser son action équivaudrait à justifier la colonisation. Normaliser cela, c’est continuer à voir les différences comme quelque chose de négatif, c’est consentir à l’homogénéisation de la société et réprimer les identités minoritaires, ce qui ne peut que créer plus de discrimination et de tensions, car comme les Sentinelles, les populations oppressées ne tolèrent plus d’être dévalorisées.
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