Damien Jahan
Depuis l’arrivée au pouvoir du dirigeant brésilien Jair Bolsonaro, une offensive inquiétante a été lancée contre le monde universitaire. Plus que politiques, les enjeux de cette attaque sont définitivement idéologiques.
Il en avait fait une promesse de campagne. Arrivé à la présidence de son pays, Jair Bolsonaro a rapidement pris en main une vaste réforme du milieu scolaire, se lançant dans une guerre idéologique contre des professeurs d’universités accusés d’agents communistes. Cette épuration traduit à bien des égards l’idéologie radicale d’extrême-droite que l’élection de Bolsonaro a fait sortir de sa latence. Retour sur les développements d’une offensive alarmante.
Rappelons que Bolsonaro fut élu le 28 octobre 2018, puis investi à la présidence du Brésil le 1er janvier 2019. Avec la nostalgie affichée de la dictature militaire, la volonté de conforter une industrie agricole débridée dans ses activités de déforestation, ainsi que l’ambition de simplifier l’accès aux armes à feux, Jair Bolsonaro avait également manifesté lors de sa campagne électorale le souhait de se débarrasser des professeurs jugés dérangeants au sein du système d’éducation brésilien. Après l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, cette promesse de campagne s’est vite transformée en priorité gouvernementale.
Le premier coup dur asséné au milieu scolaire fut très rapide. En novembre 2018, le gouvernement sponsorisait une loi visant à interdire les « contenus programmatiques » dans les écoles, un libellé aux contours flous qui ciblait en premier lieu le caractère jugé partisan de certains cours, prétendument afin de lutter contre un « socialisme scolaire ». Le projet de loi reprenait les arguments du mouvement École Sans Parti (Escola sem partido), qui, renforcé du soutien inconditionnel de Bolsonaro, entend défaire les classes de tout prosélytisme politique et dénuer les écoles de tout penchant idéologique. Une apparente volonté de neutralité qui cache en réalité un profond mépris pour la liberté d’expression.
Se pencher sur ce projet de loi permet de réaliser qu’il s’inscrit dans une ligne idéologique plus large. La volonté de réformer le système scolaire est en effet à relier à la lecture historique faite par le gouvernement et son homme fort, Bolsonaro, qui n’a jamais caché ses affinités avec la dictature brésilienne de 1964-1985. Reflétant un négationnisme historique évident, l’homme en charge du projet, le général Alessio Ribeiro Souto, décrivait ainsi la loi envisagée comme un moyen « d’éliminer les livres historiques qui ne véhiculent pas la vérité sur le coup d’Etat de 1964 ».
En parallèle du développement législatif de la réforme, l’offensive du mouvement s’est traduite de façon concrète par le lancement d’une véritable chasse aux sorcières contre les professeurs. Au lendemain de l’annonce du projet de réforme, une député alliée de Bolsonaro, Ana Caroline Campagnolo, appelait les étudiants à filmer les « professeurs et endoctrineurs » ayant un discours « politico-partidaire ou idéologique », et à transmettre au parti les vidéos accompagnées du nom de professeur et de l’université. Cet appel à la délation ouvrit une large traque envers le corps enseignant, notamment sur les réseaux sociaux, qui virent affluer des vidéos filmées en cachette dans des salles de classe. Les conséquences allèrent bien plus loin que la simple perte d’emploi : du lynchage public aux menaces de morts, certains professeurs virent leur vie basculer du jour au lendemain. Face à l’installation d’un climat de peur généralisée, certains décidèrent de quitter le pays. Pour de nombreux commentateurs, cette atmosphère délétère n’est pas sans rappeler l’obscurantisme de la dictature militaire. À de nombreux égards, elle se rapproche également de l’époque du maccarthysme américain.
Contribuant dangereusement à faire naître une culture de la délation, ces incitations à la dénonciation sont le symbole d’une persécution politique, qui, orchestrée par Bolsonaro dès le début de son mandat, a fait d’une jeunesse embrigadée le fer de lance de son ambition purgatoire. En présentant son nouveau ministre de l’éducation, M. Weintraub, le dirigeant brésilien déclarait ainsi vouloir « une jeunesse qui ne s’intéresse pas à la politique ». Une phrase révélatrice du projet de l’extrême-droite brésilienne.
Les manoeuvres diffamatoires à l’encontre des professeurs ne furent pourtant que les prémices de cette croisade idéologique. En avril dernier, le gouvernement accélérait son offensive en annonçant d’importantes coupes budgétaires pour le milieu éducatif, à hauteur de 30%. Les universités de sociologie et de philosophie, enseignant des disciplines qualifiées « d’élitistes » et attribuées des raisons de la décadence morale du pays, furent notamment prises pour cible. En s’attaquant aux sciences sociales, Bolsonaro veut atteindre le cœur idéologique des idées qu’il abhorre : de la théorie du genre aux droits LGBTQ+, ou de la protection de l’environnement aux droits des minorités ethniques.
En justifiant ses coupes budgétaires par une politique anti-élites et se voulant ainsi faire l’avocat des plus démunis de son pays, Bolsonaro s’éloigne pourtant de la réalité des faits. Comme l’Association nationale des études supérieures en philosophie (ANPOF) l’a fait savoir, « les étudiants des universités publiques, et en particulier des sciences humaines, appartiennent principalement aux couches les plus défavorisées de la population ».
En dépit des menaces et du discours calomnieux du gouvernement, les professeurs s’organisent et comptent bien faire entendre leur voix. Un véritable mouvement de résistance s’est formé, s’étendant progressivement au-delà du simple milieu universitaire pour devenir un vrai sujet de société. En mai dernier, une vague de manifestations nationale constituait la culmination d’un mouvement social qui atteignit plus de 170 villes partout dans le pays. Le face-à-face idéologique se concrétise et se cristallise. Comme le décrit le journal Libération, l’heure de la résistance a sonné. Il fait nul doute que l’évolution de ce mouvement social aura une importance majeure dans la poursuite de la croisade idéologique menée par le gouvernement brésilien.
Parce que l’université est, dans son essence, un formidable lieu de progrès, d’échanges, de partage, de culture, de connaissances, et d’apprentissage, les attaques envers le milieu universitaire représentent un vrai danger pour la société brésilienne. Si les professeurs sont en ligne de mire de cette offensive conservatrice, la politique du gouvernement, en souhaitant brimer la liberté d’expression et éliminer la diversité, fait également des minorités sexuelles, ethniques, ou religieuses, de potentielles victimes indirectes. La mise au pas de l’enseignement symbolise un gigantesque pas-en-arrière pour une société qui sut pourtant achever des progrès sociaux importants au cours des dernières années. Il semble désormais urgent de soutenir les acteurs brésiliens engagés dans la lutte contre l’obscurantisme et pour la liberté d’expression.
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