Si certains se fient aux critiques et si d’autres regardent la bande annonce, moi, je choisis toujours les films selon leur affiche. Celle de Sympathie pour le Diable, le premier long métrage de Guillaume de Fontenay, avait tout pour m’intriguer et me plaire. Une affiche en noir et blanc sur laquelle un homme tenant un micro – sans doute un journaliste — se détache d’un décor d’apocalypse : une rue encore fumante après une explosion.
Sorti en 2019 après une quinzaine d’années de travail acharné, Sympathie pour le diable est l’adaptation cinématographique du roman éponyme du grand reporter français Paul Marchand. Retraçant la vie du journaliste de guerre lors du siège de Sarajevo en novembre 1992, ce film fait le pari périlleux d’aborder à la fois la guerre de Bosnie et la difficile position des journalistes reporters sur le terrain. Dès les premières images, on embarque dans la voiture de l’intrépide Paul sur laquelle il est écrit «Don’t shoot you waste your bullets I am immortal » (Ne tirez pas vous gaspillez vos balles Je suis immortel) pour le suivre dans son travail de reporter. La réalisation donne à ce film un caractère presque documentaire opposant deux visions antagonistes du journalisme, celle de Paul Marchand contre celle des autres journalistes présents à Sarajevo.
Un film au bord du documentaire
Entièrement tourné à Sarajevo durant l’hiver 2018, Sympathie pour le Diable nous plonge véritablement dans le siège de cette ville qui aura duré trois ans, entre 1992 et 1995. Un quasi-reportage, qui distille des scènes de vie quotidienne des habitants piégés dans cette ville assiégée, et la dure réalité des journalistes de terrain. La lumière fade accentuée par la froideur de l’hiver et le manteau neigeux qui recouvre la ville créent une atmosphère oppressante, que le format carré choisi par le réalisateur renforce. Du début à la fin, il est impossible de se défaire de cette tension, puisqu’on se demande à quel moment le bolide de Marchand, fonçant à toute allure dans les boulevards vides de la ville transformés en véritable no man’s land, va être freiné par une balle de kalachnikov. Des plans réalisés par une caméra d’épaule qui suivent le journaliste hors-normes, mais qui surtout donnent à ce film un caractère presque documentaire, en entraînant le spectateur dans le sillage de Paul Marchand.
Paul Marchand un reporter de guerre singulier porté avec brio par Paul Schneider
Paul Marchand, c’est l’un des premiers journalistes à se rendre en Bosnie pour couvrir la guerre qui éclate en Yougoslavie au début des années 1990. Indépendant, coriace, free-lance, c’est un véritable défi d’interpréter ce personnage si singulier et provoquant. L’acteur Franco-Canadien Niels Schneider le réussit avec brio. Le film parvient à dessiner un portrait juste du reporter de guerre sans l’héroïser ni l’incriminer. Le réalisateur souligne l’engagement du journaliste dans le conflit en insistant sur la phrase qui deviendra presque sa signature : « toujours sous l’œil impassible de la communauté internationale. » Une réflexion profonde sur le rôle des journalistes en temps de guerre s’ouvre alors.
Une réflexion sur le journalisme de guerre
Dans une guerre, les civils subissent, les militaires agissent, les membres d’organisations humanitaires soignent et réparent les corps brisés. Le travail du journaliste est peut-être invisible sur le terrain car il ne soigne pas, ne console pas, ne combat pas. Pourtant, son rôle est essentiel. Un reporter de guerre se doit de témoigner, de révéler la vérité éclatante au monde entier. Paul Marchand conçoit le journalisme comme une quête de vérité. Le journaliste doit pouvoir être libre et se rendre où bon lui semble, et il écrira d’ailleurs qu’ “un journaliste se doit d’être à l’exact place où on lui interdit d’être ». Dans le film, comme dans la réalité, il fustige tous ses confrères qui passent leur journée à se rendre aux conférences de presse de l’ONU, et à tourner leurs images de telle sorte qu’elles soient sensationnelles sans jamais oser franchir les lignes ennemies. Le soutien de Reporters sans Frontières pour ce film confirme d’ailleurs qu’il s’agit d’un hommage à la liberté de la presse, bien souvent bafouées en temps de guerre au profit d’une propagande nourrissant le conflit. Une liberté dont le prix demeure élevé : en soulignant les faiblesses de Paul, ce film nous rappelle aussi qu’un journaliste, bien qu’aguerri, ne sort jamais indemne d’un conflit.
Bref, Sympathie pour le Diable est un film presque documentaire, saisissant par son réalisme, et un témoignage de la difficile position des journalistes en temps de guerre.
Elisa Amouret – 28 avril 2020.
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