Octobre 2011, Villelongue de la Salanque.
Valentine, 8 ans, se promène dans les bois de la bibliothèque de son école primaire. Son regard s’aventure au gré des étagères en chêne qui se dressent devant elle comme une épaisse forêt, quelque peu imposante. Soudain, elle aperçoit une fine lueur cerise parmi les branchages, loin des massifs de roses criardes du Club des 5 qu’elle connaît déjà par cœur. Sur la pointe des pieds, elle saisit la tranche avec curiosité et découvre un petit visage blond, captivé par un livre, surplombé de trois lettres « LOU ! ». Elle feuillète les pages et s’immerge immédiatement dans l’univers de la jeune fille, qui se présente à travers son merveilleux « Journal Infime , plein de collages, d’esquisses et de polaroids. Et c’est ainsi que naquit cette relation de confiance entre les deux petites filles pas si insouciantes, qui s’accompagnent sans relâche jusqu’à aujourd’hui, dans les débuts de leurs vies étudiantes.
Cette belle histoire, à peine romancée, ce n’est pas seulement la mienne, c’est aussi la vôtre, c’est surtout la tienne. C’est celle de ta relation émotionnelle avec le personnage que tu as rencontré par hasard dans ton enfance et avec lequel tu as grandi. Harry Potter, Naruto Uzumaki, Malcolm, Simba, Max et Lili ou San Goku, tu t’es probablement identifié à l’un d’eux, tellement intensément qu’ils t’ont parfois permis de retrouver le moral dans les coups durs, de te sentir compris quand tu avais l’impression que tu étais seul au monde ou simplement de rire à l’ancienne, dans ton lit, un dimanche matin nostalgique. Pour moi, c’était Lou ! Et justement cette année, après les 8 premiers tomes dans lesquels nous avons découvert l’univers de Lou et fait la connaissance d’une multitude de personnages aussi charismatiques les uns que les autres, nous entrons dans une nouvelle étape : la vie étudiante. Ainsi, 2 décembre 2020, 16 ans après le premier tome de la série, Julien Neel nous invite à suivre Lou dans cette deuxième saison, ce deuxième mouvement de sa vie, cette nouvelle “Sonata”comme il le surnomme. Grande fan de la BD, je lui ai envoyé un petit message, un peu au culot, pour lui demander s’il serait d’accord pour répondre à quelques questions sur ce nouveau tome à paraître. Et c’est avec beaucoup de bonheur que je vous fais part de l’incroyable entretien que j’ai eu la chance de réaliser avec lui, dans lequel m’a fait part de sa philosophie d’écriture, sa relation avec les personnages, et l’importance qu’il accorde à ses lecteurs. Et, spoiler alerte, cet article contient une exclusivité sur le prochain tome… Pour tous ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de lire la BD, Julien Neel s’est appliqué à rendre l’Histoire accessible à tous, afin que les novices puissent prendre le train en marche et s’installer confortablement dans les wagons au côté des fans de la première heure. Alors en avant la musique ! (Vous allez vite comprendre le sens de cette expression douteuse 😊).
Interview
Bonjour Julien Neel ! Je suis très heureuse de vous rencontrer. Sachez que Lou, c’est un peu le Tintin de la génération de nos parents, c’est un personnage qui nous accompagne depuis plusieurs années maintenant et c’est aussi votre première BD. Comment est née cette envie de raconter le quotidien d’une jeune fille ?
C’est drôle, tu parles de Tintin et de la génération de tes parents, c’est exactement celle à laquelle j’appartiens. J’ai grandi avec beaucoup de bande-dessinées à la maison. Mon grand-père et mon père étaient dessinateurs, ma mère institutrice et j’ai grandi dans une maison pleine de livres et je me suis épris de passion pour la bande-dessinée. En grandissant, j’ai commencé à dessiner davantage puis j’ai eu l’opportunité de réaliser une BD jeunesse pour la collection Tchô lancée par ZEP (l’illustrateur de Titeuf). A ce moment-là je venais d’avoir une petite fille, et écrire l’Histoire d’un personnage féminin est apparue comme une évidence.
Après tout le défi ça a été pour moi d’éviter le concept de BD Girly, parce que je considère que ce n’est pas une BD pour fille mais simplement avec un personnage principal féminin qui considère tous les genres de façon équitable et qui s’adresse à tous, même aux adultes.
C’est intéressant, très intéressant que votre paternité vous ait inspiré le personnage de Lou. Dans la BD le père de Lou est totalement absent, celle-ci n’étant élevée que par sa mère. Pourquoi ce choix ?
Quand j’étais petit, mes parents ont divorcé et j’ai été élevé par ma maman. A la différence de Lou, je connaissais mon papa et j’allais le voir de temps en temps quand même, mais je vivais au quotidien cette situation de monoparentalité. En parallèle, moi qui entretient une relation très personnelle à la bande-dessinée, j’ai rapidement remarqué l’absence de représentation de ce type de relation familiale dans cet univers artistique. Même à l’époque dans la BD Jeunesse, on parlait très peu de la famille et de la sexualité, ces thèmes-là étaient tabous, notamment dans Tintin, que je lisais beaucoup et qui finalement transmettait une vision de la société ancrée dans les années 60. Dans les années 80 la BD a connu sa révolution punk alors tu avais des trucs comme Métal hurlant et plein de BD pour adultes que je lisais en cachette, ce qui m’a permis de découvrir qu’on pouvait briser les tabous par l’illustration, ce qui fut une nouvelle étape pour moi.
Du coup, au moment de me lancer dans l’écriture de Lou, j’ai simplement transposé des éléments de ma propre enfance. C’est vraiment une grille de lecture de ma vie et au fil des tomes et de son évolution, j’intègre des éléments de ma vie qui correspondent à ma propre enfance, d’où l’absence de père.
C’est aussi pour cette raison que Lou ! est devenue une saga si populaire. J’ai l’impression que tout le monde peut s’identifier à l’un des personnages ou dans l’une des situations. Et pas seulement celle de Lou, l’univers de la BD est vraiment riche humainement !
Totalement ! Personnellement, je travaille avec un système d’écriture par défaut. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement ce que je veux dire ou montrer en tant qu’auteur mais ce que le lecteur va déduire des personnages. A ce titre-là Lou est un peu un vecteur, presque une sorte de coquille vide. Et on en revient à Tintin mais c’est complètement quelque chose que j’ai emprunté à Hergé. Pourquoi lorsque Lou va parler, tu vas t’identifier avec elle ? Et pourquoi ta copine, qui a un vécu complément différent du tien, va s’y retrouver aussi ? C’est finalement parce que dans ses silences vous allez y mettre quelque chose de différent et de personnel toutes les deux. En parallèle, j’essaie d’éviter à tout prix les clichés d’écriture et de faire en sorte que mes personnages aient du relief. A chaque fois qu’on pense connaître un personnage, il va nous surprendre car il va faire ou dire quelque chose qui est en décalage avec ce que l’on attend de lui. C’est quelque chose qu’on observe dans la vie, en regardant les gens autour de soi, et c’est ce que j’ai envie de transmettre dans mes BD.
Effectivement, il y a beaucoup de personnages qui se métamorphosent au fil du temps. Vous laissez aussi apparaître les paradoxes de vos personnages, notamment à partir du Tome 3, lorsque Lou s’allonge dans le cimetière des autobus vêtue d’une robe de princesse de son enfance et des bottes de biker en cuir de sa mère. Et il y a plusieurs évènements comme celui-là qu’illustrent bien les bouleversements qu’on connaît tous à l’adolescence, quand on se cherche encore.
Oui totalement, quand tu es adolescent tu passes par plein de phases avant de te définir. Et d’ailleurs ça ne s’arrête pas à la majorité, c’est ce que je raconte aussi dans mon dernier album, qui est encore plus inspiré d’éléments de ma propre expérience que les précédents.
On va suivre les aventures de Lou qui part étudier dans la ville de Tygre avec un (Y), qui s’inspire directement de la situation de ma fille, qui est partie à Lyon avec un Y aussi.
Je me suis basé à la fois sur les anecdotes de ma propre jeunesse, quand je suis arrivé à Aix en Provence pour faire mes études, mais aussi sur les aventures fantasmées de ma fille, de ce que je m’imagine son quotidien. Du coup d’une fiction, certes mais qui n’est construite qu’avec des briques du réel.
On continue donc à suivre Lou dans son évolution, pourtant vous avez choisi de symboliser ce passage à la vie étudiante par le début d’une nouvelle saison. Pourquoi ce choix ?
Il y a plusieurs raisons. Lorsque j’ai créé la BD, je me suis attaché à l’idée de me dire que je ferais que 8 tomes qui parleront de l’adolescence de Lou et que cette histoire se clôturera à la fin de cette époque-là. A cette époque, en écrivant le tome 1, j’étais loin de m’imaginer que la série puisse connaître autant de succès. Et au fil du temps, une communauté de lecteurs s’est créée et je me suis nourri de leur passion et de leur amour pour la saga. Ainsi, arrivé aux Tomes 7 et 8, j’ai ressenti comme une forme de responsabilité vis-à-vis de tous ces gens. Du coup j’ai fini par revenir sur ma décision initiale et de prolonger l’aventure.
De plus, j’en suis venu à me demander s’il y avait réellement une frontière entre l’adolescence et l’âge adulte. Personnellement je n’ai jamais vraiment éprouvé de rupture symbolique du passage à la vie adulte, ça a plutôt été un fondu enchaîné. Et c’est ce que j’ai toujours essayé de défendre dans les albums. La frontière entre l’âge adulte et l’enfance est floue. Dès le début, Lou à l’air d’être plus mature que sa propre mère, (qui passe son temps à jouer aux jeux-vidéos et à écrire un livre de Science-Fiction).
De plus, je ne voulais pas céder à la facilité d’avoir une série qui ronronne et j’ai décidé de continuer à me challenger, à renouveler les enjeux et brouiller les pistes.
Comment se caractérise concrètement ce passage à la deuxième saison ?
En premier lieu, je vais penser différemment l’objet : avant cette série était au format industriel 46 pages couleur et j’ai tenté tant bien que mal de m’adapter au format. Mais comme vous pouvez le voir dans les albums, débordant de partout, qu’il y a de toutes petites cases et qu’il y’en a plein dans les pages de garde et c’était très difficile de me restreindre dans mon processus créatif. Et ça c’est quelque chose qu’en tant que dessinateur de BD, je n’arrivais plus à assumer. Pour le type d’Histoire que j’avais à raconter, qui joue sur le rythme et la lenteur, j’avais besoin de changer de format.
Le prochain tome sera en 144 pages couleur à la place des 46 ce qui fait trois fois plus de Lou par album ! Trois fois plus de Boulot aussi…mais bizarrement ça m’a permis de faire des cases beaucoup plus grandes. Ça respire plus et j’ai vraiment pris plaisir à travailler dans un format que je maîtrise totalement.
De plus, dans l’idée de continuer avec une nouvelle saison, j’avais envie d’écrire un album pour que les gens qui n’aient pas lu Lou auparavant puissent envisager ce livre comme un premier tome et s’y identifier aussi. Les fans et les lecteurs de Lou de la première heure s’y retrouveront totalement et c’est vraiment la suite du tome 8 à tel point qu’il s’agit officieusement d’un tome 9 (d’ailleurs vous pourrez chercher les Easter Egg de « Neuf » justement, il y’en a beaucoup).
On arrive donc on arrive dans un nouveau cycle, le cycle Sonata.
Justement en me renseignant sur le terme quelque peu énigmatique de « Sonata », je me suis aperçue qu’il correspond au terme « Sonate » qui sont des mouvements en musique classique.
C’est tout à fait ça ! Je voulais un titre en lien avec le monde musical qui va prendre une place de plus en plus importante. J’ai appris l’illustration et la musique en autodidacte et j’adore former des passerelles entre ces deux domaines, en appliquant par exemple les codes de la musique pour structurer mes récits.
Et donc en plus de ça, je dévoile une petite surprise, je vais commencer à communiquer dessus dans quelques jours donc c’est une exclusivité (here we are : SPOILER ALERT !), il va y avoir un disque qui va accompagner la BD, qu’on pourra trouver gratuitement à la fin du tome. Il y aura une application avec une bande son à la fin, que tu pourras écouter et qui a été composée avec un groupe que j’ai créé spécialement pour l’occasion. Mes amis et moi avons utilisé tous les thèmes et la structure de la BD et créé tout un univers musical. Il comporte lui-même des Easter Egg et des surprises donc c’est un complément à l’album et, logiquement, chaque tome de la nouvelle saison sera accompagné d’un nouveau mouvement musical.
C’est une idée géniale! C’est la première fois qu’une Bd est accompagnée comme ça d’un disque non ?
Je pense qu’il y a eu des précédents, il me semble qu’il y a eu toute une série de disques de jazz accompagnés de BD, notamment du L’Homme de Mars du chanteur Kent qui était pas mal. Finalement, il y a beaucoup de correspondance entre ces d milieux et d’auteurs de BD qui sont également des musiciens frustrés et j’en suis un moi-même. Et puis j’avais envie de me faire plaisir, et que toute la musique que je fais en amateur puisse permettre de faire un disque et devient finalement une sorte de colonne vertébrale pour la structure narrative de Lou-Sonata.
C’est vrai que la musique occupe une place importante dans la BD, pour le fameux rituel de la danse de la joie, qui si je ne me trompe pas est effectuée sur « Don’t phunk with my heart » dans le Tome 3. Y’aura-t-il une nouvelle bande-son pour ce fameux moment de décompression ?
Effectivement, il n’y a pas de musique attitrée pour la danse de la joie. J’avais choisi celle-ci dans le Tome 3 parce que c’était le tube du moment qui passait à la radio à l’époque. Mais maintenant j’évite même de faire référence à des vrais produits culturels dans l’univers de Lou et alors qu’il y avait encore des porosités dans les premiers tomes; je limite de plus en plus ces passerelles directes avec le réel. Du coup, pour l’album, nous avons créé ce groupe, nommé Krystal Zealot et il fait partie de l’univers de Lou ! Il y a 16 pistes avec 16 ambiances très différentes, à l’image de ce que va traverser Lou durant cette année. Il y a notamment des morceaux technos composés par une copine qui s’appelle Izadora, qui peuvent être considérées comme la nouvelle BO de la joie pour une Lou de 18 ans qui aime aussi aller en boite.
Ce nom, Krystal Zealot, ce ne serait pas une référence à la fameuse BD l’Age de cristal ? Alors c’est vraiment le grand mystère. Qu’est-ce qui s’est passé dans cet album, pourquoi avez-vous choisi de faire un album aussi coupé du réel ? Dans un monde à part puis revenir à la vraie vie ?
C’était au moment des attentats de Charlie Hebdo, j’étais dans une période très pessimiste où je me disais, « le monde va mal, c’est terrible, c’était mieux avant… ». Je pense que ça arrive à tout le monde d’avoir des phobies réactionnaires et d’être submergé par la déferlante d’informations négatives.
Alors qu’en réalité il y a une façon beaucoup plus positive de voir ces bouleversements. Evidemment que le monde va changer, qu’il va y avoir des révolutions politiques, climatiques et sociales. Mais finalement ces révolutions peuvent aller vers le mieux, par rapport à l’industrialisation à tout va ou la gestion catastrophique des modes de communication. Ainsi, l’objectif avec l’âge de cristal c’était de se dire que malgré l’apparition inexpliquée des cristaux et la coupure généralisée d’internet, ce grand bouleversement qui va faire peur dans un premier temps, n’arrêtera pas les jeunes. Ils vont tous continuer à vivre leur vie dans ce « monde d’après » donc il ne faut pas en avoir peur. Et effectivement, quand on regarde ce qu’il se passe avec la pandémie, on est en plein dedans. Je ne vais pas dire que je l’avais prévu évidemment, mais c’est pour montrer que les jeunes sont capables de s’adapter et de se réinventer! Et ce qui est rigolo c’est que les cristaux ont poussé, on ne fait pas comment ils sont arrivés, et y’a toutes les spéculations possibles et imaginables mais enfaite Lou et ses alise s’en fichent un peu finalement, ils continuent à vivre leur vie, c’est surtout le lecteur qui est perturbé. Parce que Lou en vrai elle continue à vivre sa vie, à aller en boîte et à faire en sorte que tout marche bien après. Donc voilà.
C’est vrai, maintenant qu’on y pense, c’est très intéressant de lire cet album en perspective de la Crise du COVID-19. Ces événements ont-ils influé sur votre processus créatif pendant la conception du nouveau tome ?
Oui en quelque sorte. J’ai écrit une partie de l’album pendant la première vague du COVID, ce qui a forcément un peu impacté l’écriture, même si, à part un personnage au bout d’un moment qui en parle un peu métaphoriquement à travers les cristaux, j’ai évité de faire trop de parallèles. Cependant, si on regarde bien les éléments de la 3ème de couverture du Tome 7 , Lou raconte qu’à l’arrivée des cristaux, la population était paniquée, le pays est entré en récession, ce qui se rapproche un peu plus de la situation actuelle. Mais par la suite, les personnages ont appris à réinventer leurs liens sociaux et à s’accommoder à leur nouvelle vie. J’espère que c’est ce vers quoi on tend !
En tout cas, c’est vraiment plus clair maintenant, parce qu’entre lecteurs, nous nous sommes posés beaucoup de questions pour déchiffrer le sens de cet album. Etes-vous parfois influencé par certaines suggestions de lecteurs que vous trouvez intéressantes ?
Oui, naturellement. Je pense que tous les auteurs, même ceux qui assurent le contraire, vont traîner sur les Forums ou sur les réseaux sociaux pour lire ce que pensent les lecteurs. Personnellement j’avais vraiment pu y lire des trucs rigolos, notamment l’époque de l’âge du cristal. Je m’amusais à regarder les théories de fans et même si je me défendais de m’en mêler ça me faisait bien rire ! Et même dans le tome 8 il y a une réponse directe aux lecteurs. Y’en a qui pensent que Lou était dans le Coma après s’être fait percuter par une camionnette à la fin du tome 5 et que donc dans le Tome 6 elle fantasmait tout. Alors qu’en réalité dans les pages de gardes du tome 7 à la fin, tu peux retrouver un petit clin d’œil à cette théorie, que je me suis fait le plaisir d’inclure.
Et finalement j’aime beaucoup le fait qu’on se pose de plus en plus de questions sur la nature de cet univers et qu’on s’aperçoive de plus en plus de sa complexité. J’aime bien ce côté puzzle, et que dans ces mystères on puisse s’y projeter.
Justement, j’ai remarqué que vous mettez souvent des pages entières sans bulle; ça permet vraiment le laissez libre-court à l’interprétation du lecteur. On sent votre regard ambivalent, à la fois en immersion et en analyse des bouleversements et des doutes de l’adolescence.
Effectivement et pour moi c’est tout le défi. Dans Lou, c’est un condensé de beaucoup de questions auxquelles je n’apporte finalement pas beaucoup de réponses. J’essaie plutôt d’imaginer des événements forts puis tracer un lien entre tout cela pour permettre aux lecteurs de voyager d’un point à un autre. Et ce qui m’intéresse c’est que chacun en conservera des souvenirs différents. Et c’est aussi pour ça également que j’ai opté pour un nouveau format et pour le disque afin d’explorer d’une autre façon la BD.
C’est vrai que votre personnage à la Bougeotte, on reste finalement assez peu dans l’environnement de l’appartement, qui avait une place prépondérante dans le premier tome C’est peut-être ce qui vous préserve d’une potentielle lassitude envers vos personnages.
Effectivement c’est très juste !
Par exemple dans le deuxième Tome, Lou va passer les vacances à Mortebouse chez sa mamie. J’ai donc choisi d’effectuer une double rupture, à la fois de l’unité de temps et de lieu, qui sont aussi classiques dans la Bande-dessinée qu’au théâtre.
Et je me souviens, alors que j’étais au festival de BD d’Angoulême, j’ai fait la connaissance d’un auteur de BD très connu. Pour sa part, il a eu la chance de créer un personnage très populaire, qui depuis des années, évolue très peu dans son environnement et dans sa caractérisation. Quand je lui ai expliqué les nouvelles aventures de Lou, hors de son cadre quotidien, il m’a dit « Tu as tué la poule aux œufs d’or ». Ce fut un très bon coup de pied au derrière pour moi, tu vois. Lui, qui dessine un personnage populaire auprès des lecteurs depuis plus de ans , dans le même espace, avec les mêmes traits d’humour, m’interdit donc de toucher à la formule traditionnelle ! Mais à sa différence, je ne vois pas mes personnages comme des produits culturels, à chaque, je me répète « il faut que je tue la poule aux œufs d’or ! » Et c’est peut-être cet aspect surprenant que les gens aiment bien finalement.
Effectivement, vous développez des relations extrêmement complexes. Notamment en ce qui concerne les relations amoureuses. Dans Idylles, le Tome 4, vous développez les relations de tous les personnages, que vous présentez sur un même pied-d’égalité avec une extrême justesse. Votre représentation des relations humaines est vraiment fascinante!
Disons que j’aime beaucoup mes personnages et je n’ai pas envie qu’il y’en ait qui souffrent ou qui soient délaissés ou perçus comme des méchants. Dès qu’il y’en a un qui devient trop manichéen, je fais en sorte d’expliquer au lecteur pourquoi il agit de telle façon dans telle situation.
Ce fut notamment l’un des enjeux centraux auquel j’ai dû me confronter lors de des négociations avec les producteurs pour débuter un dessin animé de Lou. Je tiens d’ailleurs à préciser que je n’en suis pas l’auteur, et j’ai beaucoup de mal à l’affilier au monde de Lou pour cette raison. En premier lieu j’avais rencontré une femme qui avait l’habitude de réaliser des dessins animés pour la jeunesse. Pendant les premières réunions elle nous a directement exprimé sa volonté de créer un personnage némésis à Lou. Comme si les histoires de Lou ne se suffisaient pas à elle-même et qu’il lui fallait absolument une antagoniste.
A nouveau ce fut un enseignement vraiment précieux. Je me dis, bon, si cette personne qui écrit des scénarios très cliché applique ce genre de principes, je vais essayer de prouver le contraire en écrivant des Histoires beaucoup plus nuancées, pour montrer que non, la vie ce n’est pas manichéenne !
Vous avez un peu l’esprit contestataire à ce que je comprends ! Mais c’est en même temps ce qui a permis à votre saga de se démarquer et de se pérenniser !
Effectivement, je suis vraiment une tête de cochon ! A chaque fois que l’on m’a dit « voilà une méthode pour trouver le succès », je me suis dit c’est super mais c’est déjà fait ! Ainsi, je préfère en prendre connaissance, puis faire le contraire. Si tu ne fais qu’appliquer la formule, tu vas te retrouver à faire quelque chose peu original. C’est également pour ça qu’il est primordial d’avoir un maximum de culture: pour savoir ce qui a déjà été fait dans le passé et essayer d’apporter ta pierre à l’édifice.
L’auteur prend en charge de réelles responsabilités en écrivant des Histoires. Finalement, le choix de faire évoluer Lou dans un cadre monoparental est aussi une forme d’engagement politique et féministe, et c’est ça qui est fascinant aussi. C’est un énorme puzzle qu’il faut recommencer à chaque fois. Entre les épisodes j’évolue personnellement, les lecteurs grandissent aussi et donc c’est naturel de faire évoluer les personnages à ce rythme. Par exemple quand j’ai commencé cet album tu étais toute petite et maintenant tu es une jeune femme et je veux continuer à être digne de la confiance que vous me portez en continuant à acheter mes livres. Je veux continuer à me challenger de plus en plus !
En tout cas sachez que les gens sont là et attendent avec impatience la sortie du Nouveau Tome le 2 Décembre et sont prêts à sur le Click and Collecte !
Oui c’est génial merci ! En plus je vais communiquer là-dessus justement pour soutenir les libraires au plus possible c’est important.
Ce qui est également compliqué avec cette histoire de COVID c’est que je ne peux pas rencontrer les gens et avoir leur retour sur ce nouveau projet. Quant à lui, le disque sera d’abord disponible sur les plateformes de téléchargement classiques. Il y aura aussi une chaine YouTube qui va venir en complément pour proposer des petits dessins animés sur laquelle il y aura régulièrement au fur des petites vidéos animées. Donc beaucoup de choses sont prévues et je suis impatient de découvrir la réaction des lecteurs à leur découverte du disque !
Je remercie Julien Neel pour cet entretien incroyable et pour sa gentillesse. Je suis persuadée que les nombreux fans de Lou ont pris beaucoup de plaisir à lire cet interview et qu’il donnera envie aux autres de découvrir l’univers de cette Bande-dessinée.
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