Par Johann Marchand
N’importe quel enseignant en histoire en manque cruel d’originalité souhaitera vous expliquer de façon un peu pompeuse que “l’Histoire ne se répète jamais, mais elle rime souvent” en citant Mark Twain, au moins pour la forme. La phrase en elle-même, bien que galvaudée, rappelle les bases du raisonnement critique dans la prise en compte d’un contexte social et politique pour analyser une époque. Cependant elle fait abstraction du plus important : pourquoi certains disent-ils que l’histoire se répète ? Qui a intérêt à créer cette impression de répétition et quelles sont les solutions malhonnêtement sous-entendues par un tel raisonnement cyclique ?
Nous tenons en ce moment un beau spécimen. À écouter les commentateurs, le second tour de l’élection présidentielle qui conclura cette semaine est déjà défini : ce sera Macron contre Le Pen. Peut-être. “Comme en 2017”. Vraiment ?
Cinq ans ont passé, rien n’est plus comme avant dans la considération de ces candidats qui ont tous deux traversé de fortes crises de légitimité politique, d’accusations judiciaires, d’échecs électoraux… Emmanuel Macron n’est plus l’outsider qu’il clamait être puisque sa politique a pris une direction claire, et Marine Le Pen a réussi sa dédiabolisation médiatique qui lui a fait apparaître un nouveau concurrent.
Le bilan de 2017
Un président quittant son poste avec un taux de croissance à -3% et une inflation à 12% serait taxé d’échec économique. Un président quittant son poste avec l’extrême droite à 35% dans les sondages peut vraisemblablement et objectivement être taxé d’échec démocratique. Et tout particulièrement en comparaison avec la situation de début du mandat.
Le 24 avril 2017, les Français se voient rappeler de force les résultats qui avaient marqué le pays 15 ans plus tôt. L’extrême droite se retrouve, pour la deuxième fois, au second tour de l’élection présidentielle. Outre le lien familial évident, ces deux moments n’ont pourtant pas grand chose en commun, et toute analyse les ayant assimilés l’un à l’autre oublie le plus important : si 2002 marquait un événement isolé, 2017 marque un processus en continuité.
Deux analyses auraient dû être tirées de ce constat. Premièrement, il ne s’agit pas d’une dichotomie. Les médias ont présenté ce résultat comme un duel entre deux bords qui ne se supportent pas, mais cela fait abstraction d’abord des potentielles proximités qui peuvent exister entre ces bords, mais aussi et surtout des résultats globaux : Macron à 24,01% et Le Pen à 21,30% étaient suivis de Fillon à 20,01% et Mélenchon à 19,58%. Tout s’est joué dans un mouchoir de poche qui n’a été un duel qu’à cause de la structure institutionnelle : en réalité, quatre positions fragmentaient la France. Ce constat fut oublié très rapidement au profit d’une présentation sensationnaliste pour la création d’un duel, situation au combien plus médiatique et narrative mais laissant pour compte deux autres pans de la vie politique dont les électeurs se sont logiquement plutôt radicalisés.
Deuxième constat, l’extrême droite en France est forte. Créer ce duel et le poursuivre durant les cinq ans qui suivent en oubliant qu’elle n’était qu’à 600.000 voix du quatrième candidat revient à légitimer sa position comme adversaire principal choisi par le vainqueur. Il n’est alors plus possible de considérer l’extrême droite comme un simple bord politique marqué par la contestation et l’opposition systématique. Au contraire, en 2017, le Rassemblement National a achevé sa transformation en parti de gouvernement dans les mentalités. La dédiabolisation initiée ne pouvait que se poursuivre.
En réponse à ces deux observations, somme toute plutôt évidentes, quelle était l’unique mission d’Emmanuel Macron dans une France fragmentée et polarisée ? La seule qui touche à la fois la population et les institutions de manière désormais explicite ?
Enrayer l’extrême droite.
Où en sommes-nous ? “Comme en 2017” disent-ils.
Chaque élection fut une occasion de remettre le sujet sur la table pour en faire un ennemi à abattre, auquel opposer le parti présidentiel. Mais trop peu a été fait entre ces élections, aucun travail de fond ni même une réelle identification de la question. Nous faisons face à un échec non seulement total mais surtout violent tant il nous met face à notre incapacité à peser sur cette issue. Dans un régime aussi centralisé et personnalisé, la seule position ayant la capacité d’accomplir cette tâche est la présidence de la République.
Il n’y a que deux explications majeures à la survivance de l’extrême droite malgré les moyens alloués à ses prétendus opposants : l’incompétence, ou l’intention. Sans doute l’assemblage des deux aura-t-il pavé la route qui nous mène, dimanche, à une triste impression de déjà-vu.
Le consentement gouvernemental à l’extrême droite
L’impossibilité à agir est difficile à invoquer lorsque tous les moyens sont dans les mains d’un gouvernement pour arriver à ses fins. L’incompétence est alors l’explication de rabattement et elle s’explique ici par un refus de l’usage des outils à disposition.
Comment lutter contre l’extrême droite ? En montrant aux électeurs d’extrême droite qu’il existe d’autres moyens, en améliorant leur vie concrètement pour couper l’herbe sous le pied du RN. La hausse des inégalités sous le quinquennat est ainsi un facteur d’aggravation. Avoir les moyens de l’empêcher sans jamais le faire, c’est le propre de la prévarication.
L’incompétence se retrouve également dans la façon dont l’extrême droite a été prétendument combattue par LREM : non pas en la considérant comme un ensemble d’idées disposant d’une réelle présence, mais comme un ennemi abstrait indéfini sur lequel il est devenu nécessaire de faire un commentaire afin de bien être perçu. Attaquer l’extrême droite pour le gouvernement est devenu une question de sémantique, une valeur conventionnelle qui permettra de beaux effets de style et un ethos de défenseur de la République. Le sens et les raisons d’être de l’extrême droite ont été vidés par un gouvernement qui a préféré y assimiler la gauche pour la disqualifier fallacieusement, ou bien s’est concentré sur des arguments ad hominem lié aux figures de l’extrême droite plutôt qu’à la compréhension des enjeux de fond (ad hominem qui ne permet d’ailleurs qu’une victimisation du fait de la spécificité de ce bord politique, et qui de toutes manières ne convainc pas les électeurs dans cette situation précise puisqu’ils sont souvent prêts à justifier les torts de leurs élus par leur opposition au système).
“Extrêmedroitisation” du débat public
Les gouvernements successifs n’ont pas non plus compris le pouvoir pervasif de l’extrême droite à travers la présence de ses idées. Cela fait des années désormais que l’on assiste à une opposition non à l’extrême droite, mais aux figures qui représentent l’extrême droite. Or, celles-ci parviennent à faire circuler leurs thématiques de prédilection dans le débat public (sécurité, immigration), à imposer leur vocabulaire (grand remplacement, sentiment d’insécurité), et même à accomplir leurs mesures, tant les réactions des gouvernements depuis 2017 penchent vers des tendances autoritaires. Au point d’ailleurs où le ministre de l’Intérieur aura souligné la “mollesse” de Marine Le Pen concernant les questions liées à l’Islam. Le gouvernement lutte contre l’extrême droite de 2022, en ayant réalisé certains rêves de l’extrême droite de 2017 : sécuritarisme et surveillance, répression policière, tentes de migrants déchirées, réhabilitation de figures de la collaboration, attaques contre des chimères rhétoriques assignées sur la gauche, contrôle accru de l’éducation…
Les candidats sont rejetés, les idées et méthodes sont adoptées.
Le pari de Macron
Il ne faut pas tomber dans un biais d’intentionnalité et voir des objectifs politiques partout. Certaines actions ne sont peut-être que conjoncturelles, mais elles ont contribué au résultat quoiqu’il en soit.
Cependant il reste indéniable que la stratégie d’Emmanuel Macron fut claire autant que dangereuse. Le but clairement affiché par certains cadres LREM était de laisser monter l’extrême droite afin de lui opposer le candidat Macron en 2017, qui serait réélu dans un fauteuil en bénéficiant du fameux ‘barrage républicain’. Ainsi, peu d’oppositions frontales à l’extrême droite n’ont été observables en dehors de certaines périodes d’élections et les connivences se sont développées tout au long du quinquennat.
Emmanuel Macron a d’ailleurs personnellement apporté son soutien à Éric Zemmour en mai 2020 après que ce dernier a été insulté en pleine rue. Il n’était à l’époque que polémiste d’extrême droite et multi-condamné pour provocation à la haine raciale et religieuse.
Ce pari politicien et électoraliste fait abstraction de tout ce que la politique devrait être aux niveaux idéologique et démocratique, mais ouvre également la porte à des jeux extrêmement dangereux qui prennent le risque de voir le plan dérailler et l’extrême droite finalement élue.
Crise de confiance
“Comme en 2017” on présente aux citoyens une dichotomie entre deux bords qui ont aujourd’hui évolué. Cependant l’un, au lieu de détruire l’autre avec les moyens à sa disposition en lui retirant toute attrait et crédibilité, a préféré s’en inspirer. Est-il encore possible de parler de barrage républicain après ce bilan ? Les électeurs de 2017 ont été sommés de voter pour Macron afin d’éviter Le Pen, en réclamant : “plus jamais ça”. Alors que la même alternative se profile, comment justifier l’appel qui sera nécessairement lancé pour conserver le président sortant, face à son bilan ? Peut-on faire confiance à Macron pour que l’extrême droite ne soit pas encore plus puissante en 2027 à l’issue d’un deuxième mandat ? D’autant que l’ancien Premier ministre Édouard Philippe se positionne déjà pour la prochaine course élyséenne avec une forme d’approbation de certains cadres du parti présidentiel, la même stratégie inconsciente et téméraire ne risque-t-elle pas d’être répétée pour ce candidat, au risque qu’elle glisse des mains de ses initiateurs ? L’extrême droite représente aujourd’hui presque 35% des intentions de vote au premier tour, presque un tiers de plus qu’il y a cinq ans, le double d’il y a 15 ans. Elle bénéficie désormais d’une réserve de voix pour le second tour, ce dont elle a toujours manqué.
La continuité n’est pas ce qui permet d’enrayer l’extrême droite, d’autant plus quand elle est utilisée à des fins politiciennes et électoralistes comme un épouvantail. Ceci n’est pas un appel à la laisser prendre le pouvoir. Seulement à prendre conscience qu’un vote de barrage ne fait que délayer le problème et probablement l’aggraver, c’est donc un choix à faire en connaissance de cause. Pour citer Engels : “toute mesure qui n’empêche pas la réitération du problème n’est pas une solution”.
On ne combat pas l’extrême droite en lui opposant un candidat qui représente la perpétuation des causes et conditions qui les ont fait voter pour l’extrême droite en premier lieu : un changement de comportement ne peut venir d’une continuité de contexte.
On ne combat pas l’extrême droite en lui opposant un candidat qui accepte le compromis avec elle et se saisit de tout ce qui la constitue pour draguer ses électeurs en finissant par légitimer sa présence.
On combat l’extrême droite en enlevant toute envie aux électeurs de se tourner vers elle, dans un État démocratique cela passe par la prise en compte réelle de leurs difficultés matérielles et la proposition d’une alternative claire.
[L’origin de photo: https://www.20minutes.fr/politique/3266987-20220407-presidentielle-2022-duel-televise-distance-entre-emmanuel-macron-marine-pen ]
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