Valentines et Valentins approchent de leurs lourds pas fleuris. Leur mission désintéressée de répandre la jolie joie a débuté ; en témoignent les tsunamis de cœurs rouges, en vitrine ou en ligne. Tel le soleil baudelairien, ils éveillent dans les champs les vers comme les roses… Notre campus succombe-t-il lui aussi à leurs flèches imbibées d’absinthe ?
Bien mensongers seraient ceux qui prétendent crouler déjà sous le travail. La fatigue d’une extensible semaine festive, et même d’un week-end d’illusions artistiques, nous comprendrons. Qu’à cela ne tienne, chers lecteurs, vous savez comme moi que la passion n’a pas attendu février pour s’immiscer entre les cœurs et les corps. Les sentiments et libidos du campus semblent s’épanouir, au creux des montagnes enneigées et des maisons jaunes. Du moins pour certain·e·s !
Peut-on pour autant parler d’amour ? De déclarations ? De coups de soleil ? Les nuances de cette idée sempiternelle ne cessent de piquer ma curiosité. Que reste-t-il de nos amours ou bien qu’est-ce qui pourrait les sauver ? On en est malades, mais quand on n’a que ça, n’est-ce pas déjà beaucoup ? Célébrées en hymne de Piaf ou en quelques mots de Berger, les amours peuvent-elles éclore, déjà, aux rives de notre majorité ?
De l’amour il y en a, les étudiants sont unanimes ; espoir vivace dans notre monde assombri. Selon votre spontanéité verbale, il s’habille de “désir” et de “sexe”, de “rires”, et de “tendresse”. Certains parlent plutôt de “confiance” et de “concessions”, de “dévouement” et de “respect”. D’autres encore évoquent la “reconnaissance”, la “déception”, la “vulnérabilité”. Les “montagnes russes” et même les “dichotomies”. Je préfère à ces mots celui d’une réponse anglophone : “kaléidoscope”, une multiplicité de miroirs complices et de flashs uniques. “Having fun” résume aussi l’authentique temps de bonheur.
Celui-ci dure-t-il pour la vie ? “Qui sait”, répond la majorité. Cela dépend des efforts de chaque jour, la passion n’est pas un acquis. Quoi qu’il en soit, l’amour “peut être éternel mais pas avec la même personne”. Beaucoup d’étudiants croient aux amours plurielles, et je ne parle pas là de polygamie. Car l’amour, c’est aussi…
La famille, mais surtout les amis, du moins pour neuf réponses sur dix. Les “plans cul” passent souvent à la trappe derrière l’amour pour le monde et l’art, pour l’entraide et la foi. S’aimer soi-même est aussi rappelé, tout comme aimer la vie et l’humain. Tout n’est qu’une question d’échelle. Pourtant, l’imaginaire réduct(u)eur (à bas la neutralité journalistique) du “couple” est encore célébré par notre campus. Paradoxal quand seulement 30% croient aux âmes-sœurs. C’est que la pluralité est de nouveau invoquée, même si “certaines personnes matchent dans ce monde”. La faute au “changement” que nous subissons tous au cours de notre vie : peut-on rester les mêmes ? Je dédie un sourire à cet humour perdu parmi les sérieuses philosophies des moitiés : “j’ai une âme et une sœur mais je ne comprends pas la question ?”. Une réponse tragiquement poétique se doit d’être citée quant au mythe platonique de l’âme sœur : “est-ce qu’on en tombe forcément amoureux ?”.
C’est curieux d’ailleurs cette expression, “tomber amoureux”. Comme si l’amour était synonyme de perte de conscience, ou bien d’obstacle. Quelque part, c’est ce qu’avancent les défenseurs du célibat de notre campus : liberté, recentrement sur soi, bonheur… Excepté quelques désespoirs rancuniers, la plupart se disent “contents pour ceux en couple”. Il vaut mieux attendre que l’amour nous tombe dessus plutôt que de se forcer à tomber dedans, au risque d’être “mal accompagné·e”. En bref, “si ça arrive c’est cool, sinon pas de souci”. Quant à la relation d’amour parfaite, “ça n’existe pas” me répète-t-on, entre un “c’est la mienne” et un “j’aime parler d’amour paisible”. D’un côté, “c’est ça qui en fait toute la beauté” !
Et les histoires égarées au bord de LSO1 alors ? Rétablissons la vérité, les romances à Sciences Po sont une minorité. Entre les personnes déjà en couple et celles fantasmant sur leurs profs, peu disent avoir trouvé l’amour, ou bien “c’est un peu tôt pour le dire”. De toute manière ici “les gens sont méchants”, et Reims “c’est guez” répondent quelques désillusioné·es. Il y a débat sur la longévité des amours universitaires, mais je propose que nous adoptions le paradigme suivant : “C’était un amour éphémère qui n’était pas amené à durer (je méritais mieux mdrr). Pourtant, chaque personne que j’ai aimé restera toujours dans mon cœur, je crois sincèrement que les humains sont des êtres d’amour (que ça soit romantique, platonique ou familial)”. Que c’est beau.
Laissons l’idéalisme de côté pour un paragraphe. “Je pense qu’il y a un peu une ‘idéalisation’ de l’idée du couple dans notre génération surtout avec tous les TikToks de couples avec les musiques et tout. On a tous très envie d’être en couple et de trouver LA personne mais je pense que c’est en train de changer. On commence à être un peu fatigués de cette grosse recherche mdr” ; aperçu d’une réflexion étudiante. La pression sociale existe toujours, engendre “insécurités”, “attentes envers l’autre”, et “tensions”. La longévité du couple en pâtirait. Sociologie brunocousinesque à part, beaucoup dénoncent une construction de l’amour comme idéal, et rappellent cyniquement les mêmes implications de la Saint-Valentin : consommation, augmentation des prix, stress, marginalisation du célibat… Heureusement, nos étudiants sont créateurs. On le fête entre potes, on loue la “Sainte Valentine”, on subvertit l’hétéronormativité. Le campus jette des regards interrogateurs : après tout, pourquoi célébrer l’amour un seul jour par an ?
Enfin, parlons naissance des passions. Ma plus belle histoire d’amour, c’est… “compliqué”. Un florilège de conseils pour votre œil attentif : “passez de meilleurs amis à couple”, “datez le fils du principal”, “allez ensemble à un évènement SPE”, “faites les olympiades nationales de chimie”, “soyez voisins”, “allez le/la voir”… Au diable Tinder, les dates “devant Friends” ou “le Crous, ça rapproche” ! Laissez-vous surprendre chers lecteurs, et n’hésitez pas à faire le premier pas. Ironique de la part de votre humble narrateur de vous dire ça…
Résultat de mon enquête artificielle dans les méandres du campus : nos étudiants sont plus romantiques qu’ils ne le montrent. Entre naïveté et lucidité, leurs réponses dessinent un portrait classique de l’amour, tout en peinture consciente de la nécessaire centralité du respect mutuel. Pensée amicale, aussi, pour celles et ceux qui tentent, par leurs mots et leurs gestes, de chaque jour réinventer l’amour. Toujours dans ma poche, les Fragments du discours amoureux de Roland Barthes me chuchotent une dernière évidence : si l’on contemple attentivement, on peut déceler l’amour dans chaque instant.
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