Les bourrasques aspiraient Céleste d’une brutalité ineffable. Ils s’agrippaient l’un à l’autre de toute leur force. On ne voyait plus que leurs yeux scintiller dans l’obscurité, perçant les ténèbres.
- “Courage, mon frère !” hurla Juste.
- “Je maintiendrai !” répondit Céleste dans la nuit.
Ils sentaient bien cependant, qu’à mesure qu’ils se débattaient, le ciel se déchaînait.
La nuit, le vent, et désormais la pluie, diluvienne, glaciale, inarrêtable, et les éclairs se confondaient dans un spectacle mortifère. On avait décidé à leur place : l’un d’entre eux serait avalé par le vent ce soir.
Au cours de ces très courtes minutes, leur zèle demeurait infléchissable. Mais l’expression d’une force supérieure restait insensible au drame qui se passait ci-bas sur Terre. Quelques secondes tragiques suffirent à emporter à jamais Céleste, sa bravoure honorable et la tendresse de ses yeux.
***
Le jour réapparaissait, offrant à Juste un sinistre tableau. Ni les fleurs magiques, ni les montagnes de son enfance, ni même les cours d’eau n’avaient survécu. Il ne restait qu’un vaste domaine de cendres fumantes, des ruines à perte de vue. Aucune dépouille à pleurer, aucune sépulture à orner, aucune larme même à verser.
Rien.
Un effroyable vent avait dérobé les couleurs de la vie et le chant des oiseaux. De désespoir, Juste chercha une branche rescapée pour se crever les deux yeux. Réalisant qu’il n’y avait plus rien, il s’effondra.
Était-ce même possible ?
Il tomba à genoux et demeura ainsi, immobile, des jours durant.
Quand il fut fin prêt, il chuchota ce qu’il lui restait de voix : “À présent, me voilà anéanti. Anéanti et pourtant toujours en vie. Hier, un être suprême s’est exprimé. La vie, la nature, Dieu, le Diable ou le hasard, je ne puis le dire. Peu importe, simplement écoutez ma voix.
Voyez cette terre, elle miroite mon cœur. Ni plus, ni moins. Dévasté. Mais s’il m’est donné de vivre ce déchirement suprême alors je n’oublierai pas pourquoi Céleste et moi sommes nés. Nos cœurs portaient une mission qui dépassait tout entendement. Nous avons grandi l’un dans l’autre avec l’assurance que rien ne pourrait nous détourner de notre quête. Nous avions quelque chose à annoncer au Royaume, une bonne nouvelle. Je jure solennellement que rien n’ébranlera la confiance que nous avions. Je le sais, d’où je viens, les fleurs guérissent et les étoiles guident. Les fleuves désaltèrent et le soleil réchauffe. Mais quelque part existe un monde où il n’y a nul besoin d’être guéri ni guidé. Un monde où la soif et le froid ne sont plus. À présent, il m’est donné d’annoncer cette joie dans la désolation. Entendez-moi, sa mort ne sera pas vaine. Sur Terre, tout est ruines, mais il me reste la lune, les étoiles et tous les astres qui sauront guider mes pas. Avec ce Ciel, tout est grâce. S’il n’y a pas de chemin, je saurai tracer le mien. Donnez-moi la force nécessaire ! Donnez-moi des raisons d’espérer ! Je suis déterminé à retrouver mon frère qui m’attend, où qu’il soit.”
Il finissait en pensant, peut-être, qu’il était devenu fou. D’un seul coup, une lumière éblouissante irradia l’horizon. La terre en fut imbibée. Les mains plaquées sur ses paupières, Juste ne vit pas l’herbe grasse jaillir du sol aride. Il sentit néanmoins, du bout de ses doigts, le sol frémir et l’éclosion des fleurs. L’ombre d’un immense chêne sur lequel des merles se posèrent, une source d’eau vive et finalement, les couleurs, resurgirent majestueusement. Retirant ses mains, il sut qu’ils avaient raison. Que la vie triomphait et que c’était l’Amour qui la guidait.
Alors, il se leva et se mit en marche.
Il marcha avec patience et abnégation, des milliers de jours, dans un silence profond voué à la contemplation. En rencontrant les premiers villageois, il leur raconta son histoire. Il parla de Dame pivoine, des cours d’eau, des bourrasques, des ruines, de la renaissance et de l’Amour. Et d’autres se mirent à le suivre. Les sentiers furent bientôt trop étroits pour accueillir tous les routiers. Ils décidèrent donc de se séparer à travers les contrées pour rencontrer d’autres hommes, leur parler de cette bienheureuse espérance.
La marche des hommes ne s’est plus jamais arrêtée depuis. On entend même dire qu’on ne connut pas de route plus joyeuse et plus belle.
Car il ne reste qu’une chose à un cœur brisé : faire silence et avancer sur sa route, car elle n’existe que par sa marche. C’est ainsi, qu’au crépuscule de nos vies, nous trouverons L’OR DU SOIR.
FIN
Crédit de la couverture : Image par Günther Schneider de Pixabay
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