Pourquoi les films d’art et d’essai ont-ils du mal à attirer du public ?
Au-delà de se référer aux goûts esthétiques de ses spectateurs, le cinéma est également un événement social qui réunit des admirateurs de films devant l’écran. C’est ainsi une expérience collective, qui s’éloigne largement d’un visionnage en solitaire dans son salon sur l’écran de son ordinateur. Par ailleurs, il existe une grande variété de genres dans le domaine du cinéma, mais certains restent encore méconnus par rapport à d’autres. Tandis que certains long-métrages fédèrent un large public en réunissant divers goûts, d’autres peinent à émerger.
De longues scènes figées sur de vastes paysages, des répliques égrenées de longs intervalles et des regards qui se font entendre par leur ardeur…
Ce sont des éléments de description fréquents que l’on entend lorsqu’on demande aux spectateurs ce qu’ils pensent des films d’art et d’essai. La plupart d’entre eux les jugent ennuyants, voire dénués de sens. Pour certains, ces films appartiennent à un segment des spectateurs de cinéma plus élitiste. Toutefois, à son origine, le film d’art et d’essai n’a pas l’objectif de ne viser qu’un public d’Élite.
Ce nouveau type de filmographie, tout à fait expérimental, émerge en France dans les années 1920. Il est avant tout une création artistique, dont la volonté culturelle est de faire passer un message pertinent. L’un des exemples emblématiques de ce type de films est le long métrage de Robert Wiene, intitulé Le Cabinet du docteur Caligari, sorti en 1922. Avec son protagoniste Cesare, un somnambule ordonné de commettre des meurtres, le film est composé de six actes étrangement filmés, incorporant des personnages loufoques aux gestes extravagants. À l’instar de Wiene, d’autres réalisateurs ont accordé de plus en plus d’importance au visuel de leurs films. Pendant l’après-guerre, à partir des années 1940, de nouvelles tendances cinématographiques émergent. Les narrations novatrices du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague en France engendrent une réflexion esthétique qui a laissé un impact significatif sur ‘l’art et essai’.
Dans ces nouvelles réalisations, les plans mêlent réalité et fantaisie pour raconter des scènes du quotidien, entre mise en scène théâtrale et scénarios littéraires. Avec l’essor du Nouvel Hollywood à la fin des années 1960, les récits cinématographiques ont gagné en complexité. Les cinéastes ont mis en scène des structures de récits non linéaires grâce à des connexions rétrospectives et à des fins ambiguës. Les sujets tabous tels que l’aliénation sociale, l’immoralité et les réalités dystopiques y sont relatés ; introduisant parfois des anti-héros qui s’opposent entièrement à l’image du citoyen exemplaire. One Flew Over the Cuckoo’s Nest s’inscrit dans ce courant avec son protagoniste, McMurphy, qui incarne la rébellion contre le système rigide des institutions basées sur l’oppression des faibles. Par l’intermédiaire d’un personnage défectueux, une critique du contrôle sociétal est délivrée, soulignant le fardeau social imposé aux citoyens contraints à l’obéissance.
De nos jours, l’art et essai continue encore d’évoluer, mais, à mon avis, l’authenticité initiale de ces films semble s’estomper. De nombreux facteurs, tels que l’avènement de technologies numériques et l’omniprésence des médias grand public ont joué leur part au sein de cette redéfinition d’identité. Pourtant, les spécificités de ces films demeurent essentielles et contribuent à leur particularité autant qu’à leur marginalisation.
Tout d’abord, dans l’industrie cinématographique actuelle, les films grands publics investissent une grosse partie de leur budget dans la publicité afin de maximiser le nombre de leurs spectateurs. Ce processus commence par une première identification du public visé par le film, suivie d’une stratégie marketing efficace, sine qua non à notre époque. Les ressources numériques sont mobilisées, à travers des collaborations et des travaux d’influenceurs, visant éventuellement à générer un effet viral par le bouche-à-oreille.
D’autre part, préserver la popularité du film après sa sortie en salle constitue un véritable défi. Les films à gros budget, en particulier, tirent souvent parti du merchandising et des produits dérivés tels que des souvenirs, voire des figurines des protagonistes et des parcs à thème. Ces produits s’apparentent à une production en série, ayant pour objectif de prolonger l’impact commercial et médiatique du film.
Au-delà des stratégies de visibilité, ces films partagent un point commun essentiel : leur capacité à toucher des émotions universelles. Certains pourraient qualifier ces pratiques de clichés, mais ils résultent, en réalité, d’une compréhension bien établie des attentes du public. Accusés parfois de répétitivité ou de banalité, ces clichés répondent pourtant au besoin de l’escapisme chez l’être humain. Par la voie d’une expérience à laquelle les spectateurs pourraient s’identifier, ces films se révèlent comme étant des sanctuaires où les spectateurs peuvent accepter leurs émotions et aspirations étouffées.
Cependant, les films d’art et d’essai suivent une démarche différente. Ces films se révèlent en premier lieu à travers leur originalité, que ça soit en termes de scénario ou de tournage, avec de nouveaux éléments tordus dont, par exemple, les films de David Lynch se servent. En créant une atmosphère onirique où se révèlent des personnages bizarres possédés par des fétiches et faisant preuve d’une fantaisie inégalée, Lynch démantèle la démarche classique de narration. Dans l’un de ses films les plus connus, Lost Highway, il crée des personnages à double personnalité et des objets qui symbolisent la route, le voyeurisme et notamment la surnaturalité. Bien évidemment, ces éléments sans pareil sont parfois jugés sensationnels, comme on le voit dans les films de Lars von Trier, puisque le réalisateur filme des scènes extrêmement violentes ou moralement condamnables pour des raisons d’hypersexualité, de nudité ou de cruauté. D’abord Dogville et six ans plus tard Antichrist, ont choqué le public par l’affichage d’une violence extrême et de scènes obscènes dégradant pour le corps humain et ses limites morales.
La complexité des scénarios et de la mise en scène pousse les spectateurs, souvent perdus devant l’écran, à tenter de décrypter la signification des scènes. Au-delà de la confusion générale que ces films peuvent susciter, les spectateurs se retrouvent parfois face à la tâche ardue de se familiariser avec un système d’images qui leur est totalement étranger. Dans ce cas, une distance se creuse entre le spectateur et le film, qui peut être trouvée dans le cinéma de Michael Haneke, à mesure que le plaisir de l’expérience cinématographique s’estompe. Dans Code inconnu, Haneke raconte de manière fragmentaire en compilant diverses séquences, au détriment d’une résolution absolue. Le reflet de la société moderne à travers une narration assez déconnectée peut rendre le film encore plus ambigu pour les spectateurs, qui peuvent avoir du mal à s’identifier au film et à éprouver des sensations esthétiques.
Malgré leurs défis, les films d’art et d’essai restent un pilier essentiel de l’innovation cinématographique et de la réflexion culturelle. Leur rôle dépasse la simple consommation de divertissement en offrant un espace unique pour des récits originaux et des perspectives audacieuses.
À titre d’exemple, certains films de ce courant ont réussi à se démarquer. Parmi eux, le film Persona réalisé par Ingmar Bergman me vient à l’esprit lorsque je pense aux films éminents qui m’ont familiarisé avec le genre d’art et d’essai. Basé sur l’exploration identitaire, dont l’évocation était considérée tabou dans les années 1960, avec sa narration captivante, forte de symbolisme, ce film a intrigué un large public. Dès son lancement, le film a connu une forte visibilité. Son succès cumulatif dans de nombreux festivals et les critiques élogieuses sont dus surtout à son interprétation réussie des thématiques psychanalytiques. Celle-ci a suscité l’intérêt des gens qui n’avaient jadis pas beaucoup de connaissances dans ce domaine. Dans le cadre de la psychanalyse, le double et le transfert d’identité abordés dans le film examinent la nature de la psyché humaine, et la manière dont les personnalités peuvent être projetées à un autre être humain. Cela engendre un effet miroir qui résulte en une dissolution du sujet lacanien. Par conséquent, en mettant en scène une crise existentielle autour de la question du “moi”, Persona a réussi à transcender les frontières du cinéma d’art et d’essai grâce aux dynamiques inter-identitaires de ses personnages.
En définitive, l’avenir des films d’art et d’essai réside dans leur capacité à se réinventer tout en restant fidèles à leur essence : provoquer, questionner et émouvoir. Compte tenu de la commercialisation générale des médias et de la vitesse à laquelle on consomme l’art, la piste des films d’art et d’essai a été davantage restreinte, ce qui les a poussés à chercher des moyens alternatifs pour attirer le public. L’un des moyens efficaces pourrait être d’augmenter l’accessibilité des films en faisant des efforts pour les rendre disponibles en ligne, comme beaucoup de mes amis ont actuellement des difficultés à les trouver en ligne et à visionner des films “niches”. Pour cela, les plateformes de streaming doivent élargir et diversifier leur sélection filmographique, pour offrir également un espace aux films non traditionnels. Du côté des cinéastes, la structure des films d’art et d’essai pourrait être nuancée, de sorte à fournir une expérience cinématographique plus immersive aux spectateurs en les faisant sentir comme des observateurs engagés au sein des scènes. Dans ce cadre, il faudrait enrichir les interactions entre l’image et le son, en jouant sur les perceptions sensorielles du public avec des symboles pertinents, des bandes sonores ou des coups pittoresques.
Néanmoins, cela ne signifie pas que le cinéma “art et essai” doit renoncer à toutes ses propriétés pour le divertissement du grand public. Il pourrait plutôt s’adapter aux métriques d’attention de la vie contemporaine, tout en restant fidèle à ses valeurs. Les nouvelles technologies peuvent être utilisées pour multiplier les avenues esthétiques, tout en stimulant la réflexion chez les spectateurs. Ainsi, ce cinéma ne se limiterait pas à un groupe prédéterminé d’individus avec des intérêts spécifiques, mais doit réussir à attirer le “public perdu”, en prouvant que la cinématographie expérimentale est compatible avec l’engagement du public.
Illustration taken from this video : https://www.youtube.com/watch?v=nXlVhBacfZA
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