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By Heloïse Trouvé

 

Picture: Journal La Croix

 

En 2008, la crise économique ravage la Hongrie. Le parti socialiste hongrois, présidé par Ferenc Gyurcsány, alors au pouvoir, emprunte massivement à l’UE, au FMI et à la banque mondiale. Afin de rembourser ces emprunts, qui atteignent la somme colossale de 20 milliard d’euros (soit presque 13% du PIB en 2008), le gouvernement multiplie les mesures impopulaires : le plafonnement des pensions de retraites, le gel des salaires de la fonction publique ou encore la suppression du 13ème mois pour les fonctionnaires ou pour les actifs proches de la retraite sont au programme.  La violente récession qui s’ensuit a alors raison du premier ministre qui démissionne. Gordon Bajnai, ministre en charge de l’économie, lui succède sans parvenir à apaiser le pays. Animés par un mécontentement général, des conditions de vie détériorées et de plus en plus précaires, les Hongrois optent pour les idées du parti concurrent, Fidesz, lors des élections législatives d’avril 2010.

Cet ancien parti libéral et contestataire de l’identité communiste de la Hongrie dans les années 1980 s’est cependant éloigné de ses valeurs d’origine en devenant progressivement très conservateur. Débute alors le développement d’une politique nationaliste agressive, foncièrement ploutocratique, qui néglige voire puni les plus démunis. Au sein d’un pays pourtant récemment libéralisé, mené par Viktor Orban, le nouveau premier ministre, les réformes imposées sont douloureuses et ont un goût amères. Elles contrastent avec les valeurs promues jusqu’alors et s’écartent de surcroît de celles défendues par l’Union Européenne dont la Hongrie fait partie depuis 2004 et qu’elle se doit, de respecter. Ces nouvelles orientations gouvernementales inquiètent et fâchent. Un vent d’autoritarisme soufflerait -il sur le pays ?

L’ascension de Fidesz tient à un possible malentendu. Elle prend certes racines au cœur de la société hongroise, en reflétant les idéaux partagés par une part conséquente de la population. Cependant, elle s’appuie aussi sur un phénomène plus global de protectionnisme et de nationalisme, marqueur de la scène internationale de ces dernières années. Revêtu d’une façade socialement acceptable et muni de slogans parlant au plus grand nombre, l’argumentaire du parti parvient, plus ou moins avec succès selon les pays, à faire oublier son relent fasciste ou nazi, souvenir qui perdure dans la conscience collective, non sans raisons.  Viktor Orban, à la tête de Fidesz ne déroge pas à la règle et joue de la même tactique.  De plus, il ne manque pas de se flatter de son rapprochement, remarqué, avec la Russie de Poutine et du soutien témoigné à Donald Trump pendant la campagne présidentielle américaine de 2016. Fort de cette position internationale nouvellement acquise, la Hongrie dessinée par Orban s’affirme. En mai 2016, il la revendique même de « démocratie non libérale ». Cette drôle de formule, au ton provocateur, révèle le tournant officiel imposé au pays, désormais en guerre ouverte contre les « diktats » de Bruxelles.

Au sein de cette « démocratie non libérale » fraîchement établie, les mesures s’accélèrent, refermant progressivement la Hongrie sur elle-même. Dans un premier temps, la liberté de la presse s’affaiblit. Déjà en 2011, Fidesz tentait de faire passer une loi sur les médias, fragilisant sévèrement leur pouvoir et leur indépendance. Malgré la mise en garde de la Commission Européenne, qui a conduit à la réécriture de certains articles de ce projet législatif, le régime continue implicitement ses manœuvres. En effet, la loi a permis l’instauration d’un « conseil des médias » dont les membres font évidemment partie de Fidesz. Le Conseil les contrôle, joue de la censure, et muselle les derniers réfractaires.

Une autre croisade menée par le gouvernement repose sur la ségrégation de la population. Celui-ci s’attache à différencier ceux considérés comme « véritables » Hongrois des « autres », autrement dit les roms ou migrants. Les roms, estimés à 8% de la population hongroise sont les premières cibles des mesures discriminatoires d’Orban. Déjà sur les bancs de l’école, les jeunes roms sont victimes de ségrégation raciale, et souvent ne reçoivent pas la même éducation que leurs camarades de classe.  Les roms sont aussi les plus touchés par le chômage. Depuis 2011, le gouvernement impose des travaux publics obligatoires pour ceux bénéficiant d’allocation chômage. Mais la rémunération est dérisoire, de l’ordre de 150€ par mois. Ces roms ne sont pas les seuls dans la ligne de mire d’Orban qui s’oppose par ailleurs radicalement à l’entrée des migrants, présentés comme ennemis et parias du régime. Déjà en 2015, il refusait la relocalisation décidée par le Conseil de l’Union Européenne de 120 000 d’entre eux.

        Le parti au pouvoir attise, d’une manière générale, les tensions sociales et instrumentalise la xénophobie exhibant le philanthrope américain d’origine hongroise et juive, George Soros, en bouc émissaire. Ce brillant financier reconverti dans l’humanitaire lui sert d’épouvantail pour justifier des décisions qui touchent à la jeunesse et la culture. Selon le projet de loi proposé en avril dernier, les universités d’un pays non membre de l’UE auraient désormais besoin d’un accord bilatéral entre d’un côté la Hongrie et de l’autre côté, le pays en question ainsi qu’une branche de son programme universitaire, pour continuer leur formation. L’université d’Europe Centrale (CEU), fondée par le milliardaire américain était l’une des premières visées et ainsi menacée de fermeture. Dernièrement, un statu quo entre la Hongrie et l’Etat de New York dans lequel cette université a implanté l’une de ses branches, permet son maintien. Orban, en « bon père de famille », dit s’inquiéter pour les siens et, sous ce prétexte fallacieux, prétend les avertir de la menace que ferait peser « Soros » et les ONG que ce dernier soutient, distordant leurs messages, singeant leurs visions libérales présentées comme favorables à l’entrée massive de migrants. Désormais les ONG sont tenues de spécifier clairement leurs donateurs étrangers. Orban a aussi lancé une vaste campagne publicitaire à l’effigie du milliardaire sous-titrée « Ne laissons pas Soros rire le dernier », d’un goût douteux mais malheureusement efficace !

Il serait rassurant de penser qu’il s’agit d’un cas à part, que les autres Européens ne sont pas prêts à suivre les mêmes excès d’autoritarisme et de penchants dictatoriaux, menés par des dirigeants peut être plus avisés que Orban et donc plus aptes à résister aux extrêmes de tous bords. Cependant, force est de constater que d’autres pays lui emboîtent le pas. La Pologne, en restreignant l’indépendance du système judiciaire et peu à peu l’état de droit, a d’ailleurs été récemment sanctionnée par l’Union Européenne qui après de vaines menaces a finalement déclenché l’exceptionnel article 7 qui suspend certains droits décisionnels de l’Etat Membre concerné. Rappelons que l’Autriche a aussi choisi à sa tête un jeune leader très conservateur, M. Kurz, dont le verbe mêle habilement les promesses paradoxales d’un pays moderne mais reste intransigeant sur la question migratoire, ce qui n’a pas manqué de susciter une nouvelle source d’inquiétude au sein des europhiles.

Alors, assisterons-nous à la propagation insidieuse d’une nouvelle forme de fracture politique au sein de l’UE dont certains Etats Membres seraient mis à l’index ? Surtout, autoriserons-nous, après toutes les avancées fièrement acquises, de tels petits compromis voire renonciations ? Dans ces pays, les libertés seraient réduites et seuls certains citoyens, triés sur le volet, pourraient jouir des pleins droits démocratiques. Sans jouer les alarmistes, l’interrogation demeure légitime.

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